Après une crise sanitaire qui n’a pas été vue depuis longtemps (grippe espagnole, deux pandémies de grippe en France, dans les années 1950-1960), et une crise économique sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale, le coronavirus a révélé l’action de tous les services de renseignement de la planète, sous fond de guerre économique.
Si les services de renseignement ont un rôle à jouer dans des situations de pandémie, c’est qu’il en va de la sécurité même de la Nation, et pas seulement en matière sanitaire. C’est pourquoi cette menace a été prise en compte dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de 2013. Si le risque sanitaire comme une pandémie massive est « plus difficile à évaluer, […] leur impact peut être majeur. C’est pour l’État une obligation que d’y faire face »[1].
Le but est non seulement de procéder à une analyse de la situation sanitaire, mais aussi de prévenir des risques annexes aux conséquences funestes : panique de la population, contestation des règles de sécurité imposées pendant cette période, accroissement de la délinquance, et plus encore.
Confronter services de renseignement et Covid-19 ne doit cependant pas être l’objet d’élucubrations. La discussion sur l’origine de ce virus ne saurait souffrir d’affirmations catégoriques, quand bien même le renseignement extérieur britannique (MI6) estime dans un rapport que le coronavirus se serait accidentellement échappé du laboratoire chinois P4 de Wuhan[2]. Ce même laboratoire avait déjà été l’objet d’une alerte en 2018. L’ambassadeur des États-Unis à Pékin avait alors averti le Département d’État, afin de lui signaler l’insuffisance des mesures de sécurité de ce laboratoire.
L’urgence a d’abord été de lutter contre la propagation de l’épidémie. Si la CIA et le Mossad ont travaillé à la collecte des renseignements sur le nombre exact de personnes contaminées en Chine et sur l’origine précise du coronavirus, le renseignement intérieur israélien (Shabak) participa à l’analyse des données dans les smartphones pour cartographier les mouvements des individus contaminés[3].
Les services de renseignement sont donc actuellement sur le pied de guerre, en plus des menaces préexistantes et permanentes : terrorisme, prolifération des armes de destruction massive, espionnage politique et industriel, et cyberattaques. C’est d’ailleurs sur ces deux derniers points (en lien avec le coronavirus) que les services spécialisés ont dû principalement s’atteler.
Une crise sanitaire sur fond de guerre économique
Dans un monde globalisé où les économies sont devenues interdépendantes, les conséquences afférentes majeures se sont ajoutées à la crise sanitaire. C’est la raison pour laquelle États et entreprises se livrent une guerre économique acharnée. Chaque État ayant les moyens d’agir participe à ce processus, par exemple l’association de l’État français avec Sanofi, et un investissement à hauteur de 490 millions d’euros pour la recherche d’un vaccin.
Cette guerre économique ne concerne pas uniquement les vaccins, mais aussi les médicaments. Quand le chiffre d’affaires de l’industrie pharmaceutique a avoisiné les 1 200 milliards de dollars pour la seule année 2019, il n’est pas étonnant que les grands groupes pharmaceutiques (et les lobbyistes) souhaitent avoir leur rôle à jouer face au coronavirus. C’est notamment le cas pour la société Gilead, qui produit le Remdésivir, un antiviral qui serait potentiellement un traitement efficace, avec un coût non négligeable de 2 340 dollars (2 076 euros) pour un traitement de cinq jours.
Le médicament est, en tout état de cause, un outil essentiel dans la guerre économique, surtout avec les pays émergents : « 80 % des médicaments vendus légalement en Europe et aux États-Unis sont fabriqués à partir de principes actifs importés d’Inde et de Chine »[4]. Les pays émergents disposent là d’un atout majeur face aux puissances occidentales, dépendantes de leurs principes actifs.
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Le second virus de la crise sanitaire
Le premier virus a une origine biologique, mais il ne présageait en rien de la présence d’un second virus, quant à lui cyber, et motivé par la guerre économique latente entre États. La crise sanitaire mondiale doit en ce sens être perçue comme un catalyseur d’attaques, ici informatiques (les hôpitaux de Paris ont été victimes d’une attaque informatique au début du confinement, et les hôpitaux américains dernièrement). Dans son rapport de mars 2020 intitulé Pandemic profiteering : How criminals exploit the Covid-19 crisis, Europol a d’ailleurs insisté sur le fait que « l’impact de la pandémie de Covid-19 sur la cybercriminalité a été le plus visible et le plus frappant par rapport à d’autres activités criminelles ».
C’est dans ce contexte de guerre économique que s’inscrit donc la flambée des cyberattaques, orchestrées par des groupes criminels, mais encore par des services de renseignement. Les services russes ont ainsi été accusés de piratage informatique par le Royaume-Uni, les États-Unis et le Canada, dans le but d’acquérir les différentes recherches sur un vaccin. Sur le même sujet, des laboratoires israéliens auraient aussi été la cible de cyberattaques.
En plus des tentatives d’ingérence, les déstabilisations sont manifestes. L’Union européenne a d’ailleurs accusé la Chine d’avoir orchestré des cyberattaques contre les hôpitaux européens, en rendant des serveurs inaccessibles, via l’envoi d’un nombre important de requêtes, jusqu’à la saturation et la panne, ou le dysfonctionnement.
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Une pandémie révélant la lutte féroce des services de renseignement
Le renseignement est un outil plus qu’essentiel, tant dans une optique défensive, que proactive. Concernant le versant proactif, le Mossad a participé de manière officieuse à l’obtention de matériel médical. Fin mars 2020, le renseignement extérieur israélien avait déjà acquis « 20 000 kits de test, 25 000 respirateurs, 10 millions de masques chirurgicaux et des centaines de combinaisons pour les équipes de soignants »[5].
Mais les services de renseignement sont aussi dans une position défensive face aux nombreuses cyberattaques. Le Service canadien du renseignement et de sécurité (SCRS) a ainsi alerté sur les brèches informatiques et sur d’éventuels risques d’ingérence et d’espionnage dans les centres de recherche canadiens focalisés sur les vaccins et traitements contre le coronavirus. Pour le Centre canadien de la sécurité des télécommunications, « il est presque certain que les acteurs parrainés par des États ont [orienté leurs efforts vers de nouvelles cibles] pendant la pandémie et que la propriété intellectuelle canadienne représente une cible précieuse »[6].
Concernant la France, mais sans disposer d’informations précises à ce propos, c’est dans le versant offensif que la Direction technique (DT) de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) a un rôle essentiel à jouer dans le domaine informatique. À titre défensif, la France peut compter sur l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information (ANSSI) et sur la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). En plus de l’aspect informatique, la DGSI a eu pour rôle d’intervenir face à la pénurie de masques.
Il ne faut pas non plus oublier le travail du Service central du renseignement territorial (SCRT, ex-RG) missionné pour dresser un état des lieux de l’économie et de la société. A cet effet, il redoute dans une note les conséquences du déconfinement et une radicalisation de la contestation sociale.
Sur fond de lutte entre les services de renseignement de tous pays, mais surtout américains, israéliens, russes et chinois, la crise sanitaire aurait exacerbé une rupture géopolitique, qui serait vue pour Éric Dénécé comme une « guerre froide 2.0. », dont le coronavirus ne serait qu’un prétexte.
[1]Livre blanc sur la Défense et la sécurité nationale 2013, La Documentation française, Paris, 2013, p. 49.
[2]https://www.dailystar.co.uk/news/world-news/top-secret-mi6-dossier-claims-21963975
[3]https://www.asafrance.fr/item/coronavirus-covid-19-et-services-de-renseignement.html
[4]https://www.revueconflits.com/medicaments-guerre-economique-david-simmonet/
[5]https://fr.timesofisrael.com/le-mossad-devrait-acheminer-dautres-respirateurs-et-masques/
[6]https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1704741/coronavirus-enquete-breches-informatiques-recherches-ccc-cst-scrs