<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Covid-19. Des croyances pulvérisées

14 mai 2020

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : La pandémie du coronavirus : l'échec de la mondialisation libérale ? Auteurs : SIPA, Numéro de reportage : 00954701_000013.

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Covid-19. Des croyances pulvérisées

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La crise du coronavirus oblige à repenser l’organisation du monde. Mais c’est avant tout au niveau de l’Etat qu’une restructuration est attendue. Mis en échec, le libéralisme occidental laissera-t-il sa place à un retour de la souveraineté ?

Le choc de la pandémie apparue en Chine « est en train de pulvériser un certain nombre de réflexes, d’idéologies et de croyances très enracinées », annonçait l’ancien ministre Hubert Védrine au Figaro, le 22 mars. Première visée : la « mondialisation heureuse », credo politico-économique d’une grande partie de nos élites. Cette idéologie de l’open space mondial ne porte pas, seule, la responsabilité de la crise sanitaire, mais elle en est la première accusée, la première victime. Le Covid-19 a remis en question ce « monde moderne qui fait le malin » déjà dénoncé par Charles Péguy dans Notre jeunesse, en 1910.

Fondée sur l’idée d’un brassage commercial et humain permanent, ce modèle d’« économie casino » sans frontières, évaluée à la seule aune des profits financiers, a aggravé les risques et confirmé le dangereux monopole de la Chine sur des productions stratégiques (80 à 90 % pour le médical et l’électronique). Choqués, les Européens ont découvert leur grave dépendance à l’égard de Pékin (près de 30 % de la production manufacturière mondiale est en Chine). Après avoir tant défendu les délocalisations, au nom de la rentabilité, puis encouragé la fin des frontières et les mouvements migratoires, supposés bénéfiques aux économies, les élites mondialisées et les institutions internationales (UE, ONU, OMS, Banque mondiale) ont été dépassées. Divisée, déclassée, l’Union européenne n’a pas su réagir, contrairement aux pays asiatiques. Comble de l’humiliation pour notre « Europe passoire », la Chine et la Russie sont venues au secours de l’Italie et de l’Espagne, dans le cadre d’une stratégie d’influence très politique, très opportuniste…

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Début mars, nos dirigeants refusaient toujours de fermer les frontières, au nom de « l’esprit de Schengen » ou des droits de l’homme. En France surtout, des décisions vitales étaient retardées. Emmanuel Macron fut l’un des derniers à accepter la fermeture de l’Europe et le confinement de la France. Il redoutait un « repli nationaliste » ! Dans le doute et la peur, le pays légal (« progressiste ») a finalement rallié le pays réel (« populiste »), en exaltant le cadre protecteur de la nation, acceptant une forme de souverainisme (face à la pénurie de médicaments et d’équipements) et de préférence nationale (« patriotisme alimentaire »). Le discours « de guerre » de M. Macron, le 16 mars – la nation est citée huit fois, la France dix fois –, illustre le revirement de ces élites biberonnées à l’utopie mondialiste : « Cette pandémie révèle qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. » Il était temps.

La crise est venue rappeler l’importance des frontières et le rôle légitime des États. L’Asie l’a compris, jusqu’à l’autoritarisme. Elle a ainsi limité les dégâts. En Chine, notamment, le flottement initial a été de courte durée. Le régime communiste a ensuite su resserrer son contrôle du pays et renforcer la dépendance du monde à son égard. Pékin sort renforcé de la crise. Pour l’UE, au contraire, c’est un KO debout. Responsable de l’affaiblissement des nations, des délocalisations excessives et des migrations incontrôlées, le modèle européiste est en faillite. Des dogmes (politiques, budgétaires) réputés intouchables sont suspendus. Ce qui, hier, paraissait impossible ne l’est plus. C’est encourageant pour les chantiers de l’après-crise : la relocalisation de productions stratégiques, la remise en cause de Schengen et des critères de Maastricht, le retour aux nations, le durcissement de la politique migratoire. « Ce qui est en jeu, c’est la survie du projet européen », reconnaissait Emmanuel Macron le 26 mars.

Rattrapés par la brutalité de la crise, les décideurs doivent tirer les leçons de ces souffrances. En sont-ils capables ? Presque tous adhèrent au projet irénique du « grand village mondial ». Ont-ils la culture, le courage, la volonté, pour affronter le retour du tragique et redéfinir un horizon stratégique à leurs peuples, sans se limiter aux seuls calculs comptables ? Dans Le Figaro du 19 mars, le voyageur-philosophe Sylvain Tesson posait la seule vraie question : « Que ferons-nous de cette épreuve ? »

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À propos de l’auteur
Frédéric Pons

Frédéric Pons

Journaliste, professeur à l'ESM Saint-Cyr et conférencier.

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