L’économie n’est pas une science occulte ! C’est le cri d’alarme lancé par Didier Marrec dans son dernier livre pour démontrer que l’économie repose sur des principes simples et des piliers que tout le monde peut comprendre pour mieux appréhender les grands sujets économiques.
Dans son ouvrage Comment prospèrent les peuples (Éditions du Télémètre), Didier Marrec nous démontre que l’économie, loin d’être inaccessible ou réservée à quelques initiés, repose sur des concepts fondamentaux étonnamment simples. Il propose d’éclairer ces principes universels et d’en explorer les conséquences inéluctables, observées tout au long de l’histoire. Selon lui, comprendre l’économie, c’est avant tout revenir à l’essentiel : les mécanismes productifs, la division du travail et la baisse des prix. Dans cet entretien, il revient sur ces idées fondatrices, sur les observations qu’il en tire et sur les leçons que l’on peut appliquer aux sociétés modernes.
Didier Marrec, Comment prospèrent les peuples, Télémètre, 2020
Propos recueillis par Paulin de Rosny
P. de R. : Avant de parler de votre livre, pourriez-vous revenir sur votre parcours, et nous expliquer ce qui vous a conduit à écrire ce livre ?
D. M. : Mon parcours est assez atypique, et c’est peut-être ce qui m’a donné cette perspective particulière sur les questions économiques. J’ai commencé par des études de sciences physiques à Jussieu, mais j’ai vite bifurqué vers une autre voie. J’ai beaucoup voyagé en travaillant dans des secteurs variés, notamment dans le tourisme.
Avec la fermeture de certains marchés suite au contrôle des changes, j’ai dû repartir de zéro. Je suis devenu commercial, ce qui m’a appris l’importance de l’effort et de la persévérance. Cela a bien marché : j’ai rapidement gravi les échelons, jusqu’à occuper des postes de direction commerciale, chez Panasonic puis chez Yamaha. Par la suite, j’ai monté ma propre entreprise. Ces expériences m’ont permis d’avoir une vision très concrète du fonctionnement des systèmes économiques.
Mais à un moment, je me suis posé une question fondamentale : « Comment tout cela fonctionne réellement ? » J’ai voulu comprendre les mécanismes sous-jacents de l’économie. Cela m’a conduit à un travail de recherche intense : j’ai lu les philosophes du XVIIIᵉ siècle, puis les auteurs grecs qui les ont inspirés, et bien sûr une bonne partie des économistes contemporains. Cette démarche m’a pris une dizaine d’années, et au terme de ce processus, j’ai ressenti le besoin de synthétiser ces idées dans un livre.
P. de R. : Votre livre semble donc mêler une réflexion théorique à une approche profondément ancrée dans le réel. Comment avez-vous structuré cet ouvrage et quelles sont les grandes idées qui le traversent ?
D. M. : Absolument, le livre s’appuie sur un équilibre entre théorie et pratique. Je voulais qu’il soit clair, accessible, mais aussi rigoureux. La structure suit une progression historique, car pour comprendre l’économie, il faut remonter à ses origines. J’ai commencé par étudier comment, dès les débuts de l’humanité, les hommes ont cherché à améliorer leurs conditions de vie, principalement par le travail. Cela m’a conduit à identifier un principe universel qui traverse toute l’histoire : la division du travail.
La division du travail est au cœur de mon livre. C’est un concept fondamental, à la fois philosophique et économique, qui a été principalement formalisé par Adam Smith au XVIIIᵉ siècle. Smith a démontré que diviser les tâches permet d’accroître l’efficacité et la productivité, mais ce principe s’inscrit dans une continuité intellectuelle qui remonte à Descartes. Ce dernier prônait la division intellectuelle des tâches pour comprendre le monde. Smith a simplement appliqué cette méthode à la production économique.
Ce principe va bien au-delà des métiers ou des tâches. Il concerne aussi les gestes, les outils et, avec l’évolution technologique, les machines. C’est un fondement de l’organisation humaine, qui s’est affiné au fil du temps pour devenir un véritable moteur de la prospérité. Ce qui est fascinant, c’est que ce principe est si universel qu’il transcende les époques et les disciplines.
P. de R. : Vous accordez une grande importance aux machines dans l’économie.
D. M. : Les machines jouent un rôle essentiel dans ce que j’appelle l’économie productive. Depuis les premières inventions rudimentaires jusqu’à l’intelligence artificielle, elles n’ont cessé de transformer la manière dont nous produisons et consommons. Adam Smith en avait déjà identifié l’importance en les plaçant aux côtés du travail humain comme piliers de la productivité. Mais depuis la révolution industrielle, leur influence n’a cessé de croître.
Aujourd’hui, les machines ne sont plus seulement des outils ; elles redéfinissent la nature même du travail. L’intelligence artificielle, par exemple, représente une forme extrême de division du travail : elle analyse des données, réalise des calculs complexes et produit des résultats en un temps record. Cela peut sembler une rupture radicale, mais en réalité, c’est une continuité logique de la spécialisation et de l’automatisation.
Cependant, il est important de souligner que les machines ne remplacent pas l’homme. Elles modifient la nature de son travail, le libérant des tâches répétitives pour se concentrer sur des activités plus complexes ou créatives. Cela a toujours été le cas : chaque révolution technologique crée de nouveaux métiers, même si certains anciens disparaissent.
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P. de R. : Vous abordez également dans votre livre la question du rôle de l’État. Quelle est votre vision sur cette question souvent controversée ?
D. M. : C’est un sujet central, et je pense qu’il est important de poser des limites claires. Je me définis comme libéral, ce qui signifie que je crois en la supériorité du marché pour allouer les ressources de manière optimale. Cela ne veut pas dire que l’État est inutile. Il est indispensable pour garantir un cadre légal, protéger les droits fondamentaux et fournir des services publics essentiels.
Cependant, lorsqu’il s’agit de diriger directement l’économie, l’État est rarement efficace. Les entreprises d’État ont souvent échoué à cause de leur manque de flexibilité et de leur incapacité à s’adapter aux dynamiques du marché. Le marché, avec sa fameuse « main invisible », est bien plus précis et réactif pour ajuster l’offre et la demande.
Cela dit, je comprends que le marché puisse être perçu comme brutal. Par exemple, supprimer une ligne de train non rentable peut sembler injuste, mais c’est nécessaire pour réorienter les ressources vers des projets plus productifs. C’est là que l’État peut intervenir, non pas pour remplacer le marché, mais pour amortir les chocs sociaux et redistribuer les bénéfices de la prospérité.
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P. de R. : Vous mettez également en avant l’importance de la productivité et de la baisse des prix. Pourquoi ces deux éléments sont-ils si cruciaux pour la prospérité ?
D. M. : La productivité est au cœur de l’économie. Elle mesure combien nous produisons avec les ressources disponibles. Lorsque la productivité augmente, les coûts de production baissent, et cette baisse se répercute sur les prix de vente.
Pour comprendre sur le long terme l’évolution des sociétés civiles vers la prospérité, ce n’est pas l’idée de salaire qu’il faut prendre en compte, mais celle de PIB. En effet, les gains de productivité obtenus grâce à la division du travail et aux machines, permettent de produire plus avec moins, tout en réduisant les coûts. Depuis des siècles nous assistons à une baisse permanente des prix sur tous les produits et sur tous les services accessibles au progrès technique. De cette manière, quel que soit le niveau de salaire considéré, il est possible à chacun d’acheter beaucoup plus. Nous retrouvons ici la définition du pouvoir d’achat.
Un exemple concret est celui des technologies comme les smartphones ou les ordinateurs : leur prix baisse constamment, même s’ils deviennent de plus en plus performants. Ce mécanisme est un phénomène historique aux immenses répercussions. Mon livre les présente en détail.
P. de R. : L’économie peut-elle prédire l’avenir ?
D. M. : La théorie de l’ordre spontané de F. Hayek, montre que le marché s’organise de manière optimale en suivant ses propres contraintes, mais qu’il est impossible de les connaître toutes.
Très proche, la théorie du chaos est fascinante, car elle montre que de petits changements dans les conditions initiales peuvent avoir des impacts majeurs. Appliquée à l’économie, elle remet en question l’idée que nous pourrions prévoir l’avenir de manière précise. Les systèmes économiques sont complexes, et chaque décision individuelle peut entraîner des conséquences inattendues.
Cela ne signifie pas que nous sommes dans le flou total. Les principes fondamentaux, comme la division du travail ou la productivité, restent des repères fiables. Mais il faut accepter que l’économie soit un système dynamique, où l’incertitude fait partie intégrante du processus.
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P. de R. : Enfin, vous critiquez le débat autour du capitalisme. Pourquoi pensez-vous que cette notion est mal comprise ?
D. M. : Le terme « capitalisme » est souvent utilisé de manière idéologique, ce qui brouille le débat. En réalité, il n’existe pas de société non capitaliste, car toute production nécessite des capitaux. Que ces capitaux soient publics ou privés, ils sont indispensables pour financer les cycles d’exploitation.
Le véritable débat porte sur l’allocation des capitaux : doivent-ils appartenir à des entités privées ou à l’État ? Mais supprimer le capitalisme n’a aucun sens. Il est au cœur de toute organisation économique. Ce que j’essaie de montrer, c’est qu’il faut dépasser ces débats stériles pour se concentrer sur des questions plus constructives.