Comment la guerre du Golfe (1991) a façonné le nouveau monde

24 mars 2021

Temps de lecture : 59 minutes

Photo : 4 F-111 lors de la campagne aérienne de 1991. (c) Nasa

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Comment la guerre du Golfe (1991) a façonné le nouveau monde

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La guerre du Golfe a tout à la fois signifié la fin de la guerre froide par la victoire américaine, l’entrée dans un nouvel ordre mondial, l’hégémonie américaine et son hyper-puissance, mais aussi les fractures du monde occidental et du monde musulman, qui n’ont cessé de s’aggraver par la suite. Trente ans après cet événement fondateur, Samuel Helfont analyse la façon dont cette guerre a structuré les relations internationales et contribué à faire émerger un nouvel ordre.

 

Article original paru sur le site de la TNSR

 

Auteur : Samuel Helfont. Traduction de Conflits.

 

On se souvient souvent de la guerre du Golfe comme d’une « bonne guerre », un conflit de haute technologie qui a atteint ses objectifs rapidement et proprement. Pourtant, de nouvelles preuves, provenant d’archives, font la lumière sur les retombées prolongées de la guerre et remettent en question ce récit soigné. La guerre du Golfe a placé les décideurs politiques face à un dilemme qui a tourmenté les administrations américaines successives. La guerre a contribué à créer une crise humanitaire aiguë en Irak, et les États-Unis se sont efforcés de trouver un moyen de contenir un Saddam Hussein toujours récalcitrant tout en soulageant les souffrances d’Irakiens innocents. L’incapacité des dirigeants américains à résoudre ce dilemme, alors que plusieurs occasions de le faire se sont présentées, a permis au régime de Saddam d’enfoncer un coin au cœur de l’ordre de l’après-guerre froide dirigé par les Américains. Si, à court terme, la guerre a semblé être un triomphe, sa fin a causé des dommages irréparables aux intérêts américains au fil des ans.

 

 

En juin 1991, près de 5 millions de spectateurs ont accueilli avec enthousiasme les troupes américaines de retour de la guerre du Golfe, alors qu’elles défilaient dans le « Canyon des héros » de New York1. Cette image de la guerre du Golfe comme un triomphe s’est montrée durable. Comme l’ont écrit deux historiens de la guerre une décennie plus tard, la guerre du Golfe a été « l’une des campagnes les plus réussies de l’histoire militaire américaine2. » Pour de nombreux Américains, cette guerre a exorcisé les démons du Vietnam3. D’autres ont comparé le succès de la guerre du Golfe de 1991 à l’échec de la guerre d’Irak de 20034. Ces éloges ont transcendé la politique intérieure américaine. Les administrations Clinton et Obama ont toutes deux admiré la manière dont le président George H. W. Bush a géré le conflit5. Malgré quelques hésitations sur le maintien au pouvoir de Saddam Hussein et le fait qu’il n’y ait pas eu de capitulation à la manière de la Seconde Guerre mondiale, le conflit est toujours considéré comme une « bonne guerre » ou, comme l’a décrit un général des Marines, comme une « belle chose »6. Sans surprise, il a eu un impact considérable sur la manière dont les Américains pensent que la guerre devrait être menée7.

 

Pourtant, à quelques kilomètres seulement au nord du défilé de juin 1991, les difficultés rencontrées par les diplomates américains aux Nations unies ont donné une image bien différente de la place de cette guerre dans l’histoire. La guerre du Golfe avait causé beaucoup plus de dommages aux infrastructures irakiennes que les responsables américains ne l’avaient prévu ou reconnu. En conséquence, le conflit a contribué à une crise humanitaire aiguë qui s’est développée pendant et après la guerre. De plus, le régime irakien a commis des atrocités contre son propre peuple et n’a pas respecté l’accord de cessez-le-feu de la guerre du Golfe qui permettait aux inspecteurs de l’ONU d’avoir un accès complet à ses sites d’armement. En réponse, les États-Unis ont insisté sur le maintien des sanctions économiques contre l’Irak afin de contraindre le régime irakien à les respecter pleinement. Cependant, ces sanctions ont encore aggravé la crise humanitaire qui se dessinait en Irak, en punissant les civils pour les crimes d’un régime qu’ils n’avaient guère la possibilité d’influencer. Tout au long de la décennie suivante, l’incapacité des États-Unis à trouver une issue à ce dilemme a nui à la diplomatie américaine et a affaibli la position internationale du pays.

 

Ce résultat n’était pas inévitable. Après la guerre, au moins deux occasions se sont présentées pour trouver une formule permettant de tenir Bagdad pour responsable tout en atténuant la crise humanitaire en Irak. Comme le montrent clairement les nouveaux documents d’archives, l’incapacité des États-Unis à saisir l’une ou l’autre de ces occasions a causé des dommages durables, et probablement irréparables, aux intérêts américains et à l’ordre de l’après-guerre froide que les États-Unis voulaient mettre en place. La première opportunité est née d’un plan, à l’été 1991, visant à séparer la situation humanitaire en Irak des efforts fournis par les Nations unies pour éliminer les programmes d’armement irakiens illicites. La deuxième opportunité s’est présentée à la suite de l’élection de Bill Clinton en 1992. Les dossiers irakiens montrent qu’une fois que Clinton a remplacé Bush, Bagdad était prête à ajuster son approche vis-à-vis des États-Unis et de la communauté internationale. En conséquence, les États-Unis avaient une chance évidente de mettre en place une politique plus durable à l’égard de l’Irak. Ces deux possibilités offraient une issue au dilemme auquel l’Amérique était confrontée au lendemain de la guerre du Golfe et les saisir aurait conduit à des résultats plus favorables pour les intérêts américains et pour le système de l’après-guerre froide.

 

Bush avait vendu la guerre du Golfe comme un moyen de forger le système international de l’après-guerre froide en un « nouvel ordre mondial » qui unirait le monde dans un système libéral, dirigé par les États-Unis et ancré dans l’État de droit8. Cependant, les retombées de cette guerre ont fini par saper tout espoir de mettre en place un tel système. De nouveaux documents provenant des archives du parti Baas irakien et de la bibliothèque Clinton montrent comment les questions humanitaires en Irak ont empoisonné les relations étrangères américaines et sont devenues une arme pour l’Irak et d’autres États dans l’entreprise de saper le leadership américain dans le système international. La frustration et la mauvaise volonté qui en ont résulté ont propulsé les États-Unis dans la guerre en Irak en 2003, ce qui n’a fait que saper davantage leur position internationale.

 

La plupart des analyses critiques de la guerre du Golfe ne tiennent pas compte des conséquences de la guerre9. Lorsqu’elles le font, elles débattent souvent de la question de savoir si les États-Unis ont gagné la guerre du Golfe mais ont perdu la paix10. Toutefois, ce débat établit une séparation artificielle entre la guerre et ses retombées politiques, y compris la guerre d’Irak de 2003. En fait, la plupart des débats sur l’Irak qui ont eu lieu en 2003 – y compris les débats sur le changement de régime – trouvent leur origine dans le dilemme que la guerre du Golfe a créé pour la politique américaine. Cet article établit un lien explicite entre ces événements et propose un correctif aux récits historiques des guerres en Irak.

 

Ces idées sont le fruit de nouvelles recherches dans les archives irakiennes, américaines et de l’ONU11. Les archives irakiennes sont particulièrement intéressantes et ont donné lieu à une abondante littérature nouvelle au cours de la dernière décennie12. Cependant, une plongée dans les sources irakiennes et arabes, donne presque immédiatement à voir une disparité entre les destructions qu’elles décrivent en Irak dans les années 1990 et les récits américains d’une guerre propre et précise en 199113. Comme le montre la deuxième partie de cet article, cette disparité a facilité les tentatives irakiennes de creuser un fossé entre les États-Unis et leurs partenaires internationaux. Le régime de Saddam a consacré beaucoup de temps et d’efforts à mettre en lumière, dans des détails cinématographiques, les souffrances que le peuple irakien a endurées à cause de la guerre du Golfe et des sanctions internationales, en les juxtaposant aux récits américains sur la guerre et ses conséquences dévastatrices.

 

Cet article décrit tout d’abord le dilemme politique auquel les États-Unis ont été confrontés après la guerre du Golfe. Il aborde ensuite les occasions que les États-Unis ont manquées pour faire face à ce dilemme. Enfin, l’article montre comment ces occasions manquées ont affaibli le système international de l’après-guerre froide et ont finalement contribué à la décision américaine d’envahir l’Irak en 2003.

 

Le dilemme de l’Amérique après la guerre du Golfe

 

Les mois qui ont suivi la fin de la guerre du Golfe ont présenté à la communauté internationale des images concurrentes de triomphe et de désespoir : triomphe pour les États-Unis et les Nations Unies, désespoir pour l’Irak et sa population civile. Ce dénouement à visage de Janus a créé un dilemme. Comment la communauté internationale pouvait-elle préserver les acquis de la guerre du Golfe en consolidant un système d’après-guerre froide fondé sur l’État de droit, tout en s’attaquant à la crise humanitaire aiguë qui avait englouti des millions de civils irakiens ?

 

Triomphe

 

Les sentiments de triomphe qui ont émergé à la fin du conflit ont dépassé ce que l’on pouvait attendre d’une guerre régionale limitée. Comme l’a fait valoir l’ambassadeur britannique auprès des Nations unies, la guerre a été « d’une importance bien plus grande et bien plus positive pour tous les pays du monde, et pour [les Nations Unies] dans leur ensemble, que les nombreux conflits régionaux auxquels nous avons tenté de nous attaquer au cours des dernières décennies »14. Le conflit, a-t-il affirmé, « a marqué une détermination claire, ferme et efficace de la communauté mondiale à ne pas permettre à la loi de la jungle de l’emporter sur l’État de droit »15. L’ambassadeur américain a qualifié l’accord de cessez-le-feu de la guerre d’« unique et historique », affirmant qu’il « répond à l’espoir de l’humanité »16. Signe de l’air du temps, l’ambassadeur de l’Union soviétique a abondé dans le même sens, soutenant que le conflit démontrait « le bien-fondé de la nouvelle pensée, du nouveau système de relations internationales »17.

 

Ces sentiments découlaient de la façon dont l’administration Bush a vendu la guerre. Peu après l’invasion du Koweït par l’Irak le 2 août 1990, Bush a commencé à promouvoir une guerre pour libérer le Koweït en la reliant aux visions d’un ordre libéral et plus humain de l’après-guerre froide.18 Le 11 septembre 1990, il a plaidé en faveur de la guerre dans un discours largement diffusé au Congrès. Il a établi un lien entre la crise du Golfe et la fin de la guerre froide, expliquant que « la crise du Golfe Persique, aussi grave soit-elle, offre également une rare occasion de s’engager dans une période historique de coopération »19. Il a déclaré explicitement qu’un « nouvel ordre mondial » était l’un des objectifs du prochain conflit du Golfe et a fait valoir que la crise donnerait naissance à « une nouvelle ère, plus libre de la menace de la terreur, plus forte dans la poursuite de la justice et plus sûre dans la quête de la paix ». Ce n’était pas une entreprise de politique étrangère ordinaire. Comme l’a expliqué Bush, « Cent générations ont cherché ce chemin insaisissable vers la paix, tandis qu’un millier de guerres ont fait rage dans toute l’étendue de l’activité humaine ». Pourtant, le conflit du Golfe Persique allait enfin mettre à portée de main un « monde dans lequel les nations reconnaissent la responsabilité partagée de la liberté et de la justice. Un monde où les forts respectent les droits des faibles »20.

 

Cette rhétorique presque utopique sur un nouvel ordre mondial s’est inspirée de l’esprit du temps [zeitgeist] à la fin de la guerre froide. Un an plus tôt, en 1989, le politologue Francis Fukuyama avait déclaré la « fin de l’histoire » dans les pages de la revue National Interest. Pour Fukuyama, la victoire prochaine de la démocratie libérale pendant la guerre froide représentait la fin de la longue évolution de l’idéologie politique21. Bush avait lui-même avancé un argument similaire, bien que moins philosophique, sur le triomphe de la démocratie libérale dans son discours inaugural de 198922. Cette pensée s’est mêlée et unie à d’autres idées quant à l’évolution de la politique internationale et de la guerre à la fin des années 1980 et au début des années 1990. Une série d’intellectuels éminents ont affirmé que la démocratie libérale avait triomphé et que les phénomènes connexes de la guerre et de l’autoritarisme devenaient obsolètes23. Ces « attentes millénaires », comme les a appelées un éminent historien, ont permis à Bush de soutenir qu’un nouvel ordre mondial pourrait remplacer les calculs des âges précédents autour de la loi du plus fort24.

 

L’ordre mondial promis par Bush n’était pas exactement nouveau. Un ordre libéral ancré dans la sécurité collective existait en théorie depuis l’avènement des Nations Unies après les guerres mondiales. Cependant, la guerre froide avait bloqué sa pleine mise en œuvre. Le réchauffement des relations entre Moscou et Washington à la fin des années 1980 a montré la possibilité d’un nouvel ordre fondé sur la coopération plutôt que sur le conflit aux Nations Unies, rendant ainsi possible un système fondé sur des règles. Comme l’a déclaré Bush, cela créerait un monde « où l’État de droit supplante la loi de la jungle »25.

 

Bush est souvent décrit comme un réaliste de la politique étrangère plutôt qu’un idéaliste26. Il est difficile de savoir s’il a été influencé par les idées libérales qui sous-tendent un nouvel ordre mondial et, si oui, dans quelle mesure, ou bien s’il a adopté une telle rhétorique dans le seul but de vendre la guerre sur le plan intérieur et à l’étranger. Quoi qu’il en soit, sa rhétorique a clairement fait naître l’espoir que les actions américaines imiteraient les idéaux exprimés par Bush. Les États-Unis ont obtenu un soutien international enthousiaste pour la guerre, ce qui a conduit à une série sans précédent de résolutions contraignantes du Conseil de sécurité des Nations Unies. Javier Pérez de Cuéllar, secrétaire général des Nations Unies à l’époque, a fait valoir que l’application de ces résolutions représentait une nouvelle approche des relations internationales. Il a insisté sur le fait que l’« application » des résolutions du Conseil de sécurité était « qualitativement différente de la façon de faire la guerre » parce qu’elle mettait l’accent sur « les efforts diplomatiques pour parvenir à une solution pacifique » et s’efforçait de « réduire au minimum les souffrances non méritées »27. En tant que tel, si le fait de lier la crise du Golfe aux rêves idéalistes d’un nouvel ordre mondial a été utile à l’obtention de soutien, il a également suscité des attentes élevées et peut-être irréalistes quant à l’ampleur des dommages et des souffrances que la guerre causerait en Irak.

 

Sur les plans tactique et opératique, la guerre du Golfe a remporté des succès remarquables. La coalition dirigée par les États-Unis a rapidement expulsé les militaires irakiens du Koweït en janvier et février 1991. Le monde semblait s’être rassemblé pour mettre en place un nouveau système mondial et le cessez-le-feu du conflit a déclenché la rhétorique triomphaliste et internationaliste mise en évidence ci-dessus28. Cependant, peu après la fin de la guerre, cette impression de triomphe a rapidement été éclipsée par les dilemmes que la guerre avait engendrés.

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Désespoir

 

La promesse d’avant-guerre de « minimiser les souffrances non méritées ne s’est pas vérifiée dans les faits, sur le terrain, pour les Irakiens29. La guerre du Golfe a été clairement moins destructrice que d’autres conflits du XXe siècle, comme les guerres mondiales ou les guerres de Corée et du Vietnam. Néanmoins, en plus de cibler l’armée irakienne directement au Koweït et dans ses environs, l’armée de l’air américaine a mené une campagne de bombardement stratégique destinée à remporter la guerre en neutralisant l’État irakien et ses infrastructures essentielles30. Les évaluations académiques de la guerre ont fait valoir que le bombardement stratégique en Irak avait été largement inefficace et que la campagne aérienne aurait tout aussi bien réussi à expulser les forces irakiennes du Koweït si elle avait limité ses cibles aux systèmes militaires et de commandement et de contrôle irakiens31.

 

Les dommages de guerre ont été aggravés par la répression par Saddam des soulèvements de masse dans tout le pays après la défaite de l’Irak. Le régime a déployé sa Garde républicaine d’élite dans le sud de l’Irak, dominé par les Chiites, où il a dévasté plusieurs villes et endommagé d’importants sanctuaires religieux. Dans certaines villes, les corps se sont littéralement empilés dans les rues32. La contre-attaque du régime dans le nord de l’Irak a conduit plus d’un million de Kurdes à fuir leurs maisons pour des camps de fortune le long des frontières turques et iraniennes. Le régime avait utilisé des armes chimiques contre les Kurdes lors d’une campagne génocidaire connue sous le nom d’al Anfal à la fin des années 1980, et de nombreux Kurdes craignaient que Saddam ne prépare une nouvelle série d’atrocités33. Ainsi, la guerre a non seulement endommagé l’Irak directement avec des bombes, mais a également entraîné plusieurs séries de troubles et une répression sévère de la part du gouvernement irakien, qui ont encore aggravé la situation humanitaire.

 

L’ampleur des dommages causés par la guerre et ses conséquences est apparue clairement lorsque plusieurs équipes d’enquête indépendantes se sont rendues en Irak au printemps et à l’été 1991. Une équipe des Nations unies dirigée par le secrétaire général adjoint Martti Ahtisaari a déclaré que « rien de ce que nous avions vu ou lu ne nous avait vraiment préparés à la forme particulière de dévastation qui s’est abattue sur le pays »34. L’équipe a fait valoir que la guerre « a eu des conséquences quasi apocalyptiques sur l’infrastructure économique de ce qui était, jusqu’en janvier 1991, une société assez fortement urbanisée et mécanisée ». En mai, une équipe d’experts médicaux et juridiques de l’Université de Harvard s’est rendue en Irak et a réalisé une étude revue par des pairs. Ils sont parvenus aux mêmes conclusions que l’équipe des Nations Unies, estimant qu’« au moins 170 000 enfants irakiens de moins de cinq ans risquent de mourir de maladies épidémiques à moins que la situation en Irak ne change radicalement pour le mieux »35. Comme l’ont montré ces rapports, 9 000 maisons ont été détruites et plus de 70 000 personnes se sont retrouvées sans abri au lendemain de la guerre. Les bombardements de la coalition ont endommagé ou détruit 17 des 20 centrales électriques irakiennes. Onze d’entre elles ont été jugées irréparables. Ces centrales électriques étaient nécessaires pour maintenir des infrastructures essentielles comme les installations de traitement de l’eau. Sans elles, les Irakiens ont eu du mal à trouver de l’eau potable. Dans l’ensemble, ces rapports et d’autres rapports similaires sont en accord avec les conclusions de l’équipe d’Ahtisaari, selon lesquelles « la plupart des moyens de subsistance modernes ont été détruits ou rendus précaires » 36.

 

La destruction des infrastructures irakiennes et les souffrances des civils irakiens qui ont résulté de la guerre et de ses suites ont montré un grand contraste avec les récits idéalistes sur une guerre propre et précise que les responsables américains avaient présentés pendant le conflit. En avril 1991, le New York Times rapportait que la réalité sur le terrain en Irak « semblait être en contradiction avec l’insistance des responsables militaires alliés qui affirmaient que les dégâts en Irak étaient en grande partie limités aux sites militaires et aux voies de transport »37. En juin 1991, le Washington Post rapportait que « le bombardement stratégique de l’Irak, décrit dans les briefings de temps de guerre comme une campagne contre les capacités militaires offensives de Bagdad, apparaît maintenant comme ayant été plus large dans ses objectifs et dans le choix des cibles »38.

Cette situation a été exacerbée par le fait que les planificateurs américains avaient prévu des dommages excessifs aux infrastructures irakiennes parce qu’ils supposaient que les États-Unis interviendraient rapidement pour reconstruire l’Irak, une fois qu’elle aurait capitulé et changé de régime39. Ainsi, le cessez-le-feu n’a pas fixé les conditions de la reconstruction40.

 

Dilemme : équilibrer l’application de la loi et l’humanitarisme

 

La crise humanitaire en Irak a été compliquée par la nécessité de faire respecter par l’Irak l’accord de cessez-le-feu de la guerre. Le gouvernement irakien a accepté de renoncer à ses armes de destruction massive et aux programmes qu’il avait utilisés pour les produire. Cependant, comme les troupes de la coalition avaient quitté l’Irak à la fin de la guerre, les sanctions économiques étaient le seul moyen de pression réel des Nations unies contre le régime irakien. À la mi-juin, il est apparu clairement que l’Irak tentait de limiter les actions et l’efficacité des inspecteurs en désarmement des Nations Unies. Le régime irakien a commis plusieurs violations flagrantes de l’accord de cessez-le-feu, et le régime a poursuivi la répression brutale contre sa propre population41.

 

Les sanctions étaient un outil problématique pour faire respecter l’accord car elles nuisent à la population irakienne au moins autant qu’elles nuisent au régime. Une fois qu’est apparue clairement l’ampleur des dommages causés par la guerre et ses conséquences, certains États et responsables de l’ONU ont commencé à demander un assouplissement des sanctions pour des raisons humanitaires, même si l’Irak ne se conformait pas entièrement aux diktats de l’ONU. L’équipe d’enquête des Nations Unies a recommandé de mettre immédiatement fin à l’embargo contre l’Irak afin d’éviter une « catastrophe imminente »42. Lors des discussions sur le cessez-le-feu au Conseil de sécurité, le représentant français a cité le rapport de l’équipe d’enquête des Nations Unies et a fait valoir que « l’objectif nécessaire du rétablissement d’une paix durable dans le Golfe ne devrait pas impliquer des mesures inutilement punitives ou vindicatives contre le peuple irakien. Il serait injuste qu’ils soient tenus responsables des actions de leur chef »43.

 

En juin 1991, le Conseil de sécurité a montré sa division. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont exigé que Saddam soit écarté du pouvoir. Bien que les objectifs officiels des États-Unis dans la guerre du Golfe, tels que décrits dans la directive de sécurité nationale 5444, ne prévoyaient pas de changement de régime, la guerre avait fait naître l’espoir que les jours de Saddam en tant que leader de l’Irak étaient comptés. Le secrétaire à la Défense Richard Cheney a plus tard admis que l’armée américaine avait Saddam dans sa ligne de mire dès le premier jour du conflit45. Bush a lui-même affirmé avoir « mal calculé » dans son hypothèse « que Saddam ne pourrait pas survivre à une défaite humiliante ». Il a déploré que Saddam soit resté au pouvoir après la guerre et a déclaré plus tard que les États-Unis « auraient pu faire plus » pour affaiblir son régime46. Rétrospectivement, il semble clair que l’administration Bush s’est sentie embarrassée à l’idée d’utiliser l’armée américaine pour marcher sur Bagdad et renverser Saddam. Cependant, Bush et ses conseillers voulaient un changement de régime et supposaient qu’il se ferait soit par une frappe de précision, soit par des actions internes à l’Irak. Ces sentiments se sont prolongés dans l’après-guerre, Washington voulant résoudre le dilemme « conformité contre humanitarisme » en chassant Saddam du pouvoir47.

 

D’autres États au Conseil de sécurité étaient mal à l’aise avec cette approche. Les Nations Unies n’avaient jamais approuvé un changement de régime en Irak et la demande du gouvernement américain à cet égard ressemblait à un changement radical vers l’unilatéralisme. Les préoccupations concernant la situation humanitaire et les violations de la souveraineté irakienne ont poussé une majorité au Conseil de sécurité – menée par la Chine, l’Inde, le Yémen et Cuba – à faire pression pour un assouplissement des sanctions48. Cette divergence a amorcé un long processus qui s’est finalement terminé par l’éclatement de l’unité du Conseil de sécurité de l’après-guerre froide.

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Les occasions manquées

 

Pour éviter une impasse au Conseil de sécurité sur l’Irak à l’été 1991, les États membres devaient trouver une formule qui permettrait de régler la situation humanitaire en Irak tout en empêchant le régime de contourner les résolutions contraignantes et de se réarmer. Au milieu de l’été, le secrétaire général a présenté les grandes lignes d’une telle approche au Conseil de sécurité. Malheureusement, les États-Unis n’ont pas saisi l’occasion.

 

L’approche américaine

 

Le secrétaire général des Nations Unies a nommé le Prince Sadruddin Aga Khan, homme d’État de haut rang, comme délégué exécutif pour la crise humanitaire en Irak. En juillet, Sadruddin est revenu d’Irak avec un rapport détaillé sur l’ampleur du problème et des recommandations pour le résoudre dans le cadre des résolutions existantes du Conseil de sécurité. L’impact des sanctions, a-t-il affirmé, « a été et reste très important sur l’économie et les conditions de vie de la population civile irakienne »49. A cette époque, l’Irak ne pouvait plus produire que 25% de l’énergie électrique dont il disposait avant la guerre50. Les Irakiens n’avaient pas accès à l’eau potable, les eaux usées non traitées coulaient dans les rues de certaines villes et des épidémies de typhoïde et de choléra s’étaient déjà déclarées51. En outre, les sanctions avaient entraîné des pénuries alimentaires et menaçaient de « provoquer une famine massive dans tout le pays »52.

 

Le plus grand obstacle à la résolution de la crise humanitaire en Irak était d’ordre financier. Le rapport a passé en revue les secteurs critiques de la société irakienne (agriculture, médecine, eau, électricité, etc.) afin d’estimer leurs besoins. Même l’effort le plus minime, à court terme, pour fournir l’aide humanitaire nécessaire a requis des dizaines de milliards de dollars. Ces « besoins financiers massifs » étaient « d’une ampleur bien supérieure à ce qui est, ou sera probablement, disponible dans le cadre de tout programme parrainé par les Nations unies »53. Après tout, l’appel des Nations unies aux donateurs pour l’aide humanitaire à l’Irak, au Koweït et aux zones frontalières avec l’Iran et la Turquie n’avait permis de réunir que 210 millions de dollars54.

 

Le seul État capable de financer la reconstruction de l’Irak était l’Irak. Ses ressources pétrolières pouvaient financer la reconstruction, mais les sanctions des Nations Unies ont empêché Bagdad de vendre son pétrole ou d’importer les matériaux nécessaires à la reconstruction du pays. Le rapport de Sadruddin a souligné que les résolutions existantes permettaient des exceptions aux interdictions d’exportation et d’importation irakiennes afin de garantir que le gouvernement irakien dispose de « ressources financières adéquates » pour subvenir aux « besoins civils essentiels ». Les exceptions pourraient clairement inclure les exportations de pétrole et l’importation de biens essentiels à la reconstruction. Toutefois, ces exceptions devaient être approuvées par le Comité des sanctions du Conseil de sécurité55.

 

Pour garantir que Bagdad utilise les revenus du pétrole pour faire face à la crise humanitaire du pays plutôt qu’à d’autres fins illicites comme le réarmement, le rapport soutient que les mécanismes de contrôle existants pourraient facilement être étendus « pour fournir des informations adéquates sur la destination et l’utilisation des biens en question ». Tout l’argent passerait par des banques aux États-Unis et, comme le rapport le précise, « les transactions commerciales relatives à l’exportation du pétrole et à l’importation des biens et services susmentionnés » seraient « suffisamment transparentes au niveau international pour permettre des contrôles adéquats en ce qui concerne leur expédition et leur entrée en Irak »56. Avant de quitter l’Irak, Sadruddin a reçu l’assurance que le pays accepterait ce plan et ses mécanismes de contrôle57.

 

Cette proposition a été conçue pour répondre aux besoins du peuple irakien tout en maintenant l’architecture de sécurité qui visait à empêcher l’Irak de se réarmer en violation des résolutions du Conseil de sécurité. Elle a également laissé en place des inspections d’armes et des sanctions plus ciblées contre le régime. En pratique, la proposition dissociait les questions humanitaires de la sécurité internationale. Le rapport a reçu un soutien enthousiaste de la part de la majorité des membres du Conseil de sécurité. Début août, l’Inde a loué ses « suggestions utiles », affirmant qu’elles soulignaient « l’évidence que les objectifs humanitaires que nous visons peuvent être atteints grâce à des dispositions simples mais efficaces en matière d’observation et de rapports réguliers »58. La Chine a clairement indiqué qu’elle soutenait avec vigueur les « recommandations judicieuses » du rapport59.

 

Les États-Unis sont moins enthousiastes. Washington n’était pas heureux que Saddam ait survécu à la guerre, et le considérait toujours comme le principal obstacle à un Irak coopératif après la guerre du Golfe. L’administration Bush, en incapacité de rassembler suffisamment de soutien aux Nations Unies pour exiger le retrait de Saddam, ne voulait pas permettre à ce dernier de reconsolider son pouvoir. En donnant à Bagdad le pouvoir de vendre son pétrole et de fournir des services à la population irakienne, les recommandations de ce rapport ont fourni à Saddam les moyens de renforcer son autorité. Ainsi, Washington a mené un effort minoritaire au Conseil de sécurité pour bloquer la mise en œuvre des recommandations du rapport60.

 

Les États-Unis ont soutenu un plan séparé dans lequel les Nations Unies géreraient la vente du pétrole irakien et utiliseraient le produit de cette vente pour livrer de la nourriture et des fournitures essentielles aux Irakiens. Comme la proposition de Sadruddin, cet arrangement « pétrole contre nourriture » fournissait une aide humanitaire à la population irakienne tout en limitant la capacité de Saddam à détourner l’argent vers des programmes illicites. Toutefois, il a écarté le régime de Bagdad de l’équation. Les États qui avaient soutenu la proposition de Sadruddin ont également soutenu ce plan, bien que plusieurs d’entre eux aient émis des réserves quant à l’unilatéralisme d’une Amérique qui bloquait ce qu’ils considéraient comme une meilleure formule. La Chine, l’Inde et plusieurs petits États craignaient que le programme soutenu par les États-Unis ne fournisse pas suffisamment d’aide humanitaire et qu’il empiète excessivement sur la souveraineté de l’Irak61.

 

Le programme « pétrole contre nourriture » soutenu par les États-Unis a remporté sans difficulté un vote au Conseil de sécurité, mais il s’est immédiatement heurté à un problème majeur. La résolution supposait que Saddam se souciait davantage du peuple irakien que de son propre pouvoir. Ce postulat s’est avéré faux, le chef d’Etat rejetant le programme même en cas de catastrophe humanitaire. Malgré les efforts considérables déployés par de hauts fonctionnaires de l’ONU, dont le secrétaire général Boutros Boutros-Ghali, qui a pris ses fonctions à la fin de 1991, Saddam a continué à rejeter la résolution, la considérant comme une violation de la souveraineté irakienne62.

 

Face au refus de Saddam de coopérer, l’administration Bush lui a imputé la responsabilité de la situation humanitaire plutôt que les sanctions. Techniquement, Bush avait raison. Saddam aurait pu alléger considérablement les souffrances de son peuple en coopérant. Pourtant, en s’appuyant sur ce qu’ils percevaient comme le succès de la guerre du Golfe, les responsables politiques américains n’ont pas compris la puissance politique de la souffrance irakienne ni les dommages qu’elle pourrait causer aux intérêts américains à l’avenir. En revanche, Saddam savait que la souffrance du peuple irakien était une arme politique importante pour son régime. De bien des façons, il a profité de l’angoisse de son peuple et, comme l’ont démontré des recherches plus récentes, son régime a manipulé les enquêtes internationales pour montrer que les Irakiens souffraient encore plus qu’eux63. Un pays libéral comme les États-Unis ne pouvait pas gagner ce type de lutte contre un régime qui se souciait peu de l’angoisse de son propre peuple.

 

Avec le recul, Washington a fait preuve d’une attitude excessive en rejetant la proposition de Sadruddin. Le gouvernement américain est apparu insensible aux souffrances du peuple irakien et a agi de manière de plus en plus unilatérale au Conseil de sécurité. La proposition était loin d’être parfaite et Saddam aurait pu tenter de la manipuler pour contourner les restrictions imposées à son régime. Pourtant, une communauté internationale unifiée aurait été bien équipée pour faire face à son intransigeance. Comme le montre cet article plus bas, la situation humanitaire non résolue en Irak a contribué à briser l’ordre international coopératif que la guerre du Golfe avait forgé et a rendu plus difficiles les efforts des États-Unis pour contenir l’Irak.

 

Sensibilisation de l’Irak

 

L’échec du programme « pétrole contre nourriture » en 1991 et au début de 1992 a fait que l’Irak et les États-Unis se sont accusés mutuellement du sort du peuple irakien. Cette impasse s’est poursuivie jusqu’en novembre 1992, lorsque Bush a perdu l’élection présidentielle face à Bill Clinton. Saddam et d’autres Irakiens de haut rang ont interprété l’élection américaine comme un référendum sur l’approche de Bush vis-à-vis de l’Irak64. Lors des réunions à huis clos qui ont suivi l’élection de Clinton, Saddam et ses principaux conseillers ont pensé que l’administration Clinton offrait de nouvelles opportunités. Lors d’une discussion, Saddam a déclaré : « Je crois que pendant le règne [de Clinton], un changement va se produire », et des documents internes irakiens révèlent que Bagdad a vu la victoire de Clinton comme une chance de « tourner une nouvelle page »65.

 

Le régime irakien a brièvement changé de ton et a tenté d’ouvrir un dialogue avec Washington. Comme l’indiquait un rapport du régime en novembre 1992, la presse irakienne devait, « au moins pour le moment », « ne pas faire de gros titres négatifs » sur le président américain élu66. Le régime envoya des câbles à toutes les missions irakiennes dans le monde entier pour demander à ses représentants de profiter des changements à Washington. En plus d’organiser des « activités de solidarité avec le peuple irakien », ils devaient rencontrer les ambassadeurs américains, britanniques et français pour les convaincre que les sanctions contre l’Irak violaient le droit international et les droits de l’homme. Ils devaient souligner que ces États pouvaient faire de 1993 une année de paix. Dans la mesure du possible, les missions devaient envoyer des messages similaires à Clinton, aux membres du Congrès américain, au secrétaire d’État américain et à d’autres hauts fonctionnaires américains67.

 

Dans un autre cas, Bagdad a tendu la main à Clinton par l’intermédiaire du Conseil des organisations libano-américaines, dont le régime irakien pensait qu’il avait des contacts directs avec Clinton et une grande influence politique aux États-Unis68. Les Irakiens ont également essayé de contacter Clinton par l’intermédiaire d’Oscar Wyatt, qui était le fondateur de la société pétrolière et énergétique Coastal Corporation, basée à Houston. Wyatt a travaillé avec l’Américain d’origine irakienne Samir Vincent, qui a ensuite été arrêté pour corruption liée au programme « pétrole contre nourriture » et pour avoir agi en tant qu’agent illégal du régime irakien69. Le vice-premier ministre irakien Tariq Aziz a remis à Wyatt et à Vincent une lettre à remettre à Clinton au nom du régime qui, espéraient les Irakiens, contribuerait à établir de meilleures relations. Comme un fonctionnaire irakien l’a dit à Saddam, « Samir et Oscar sont très optimistes »70.

 

Ces efforts de sensibilisation n’étaient pas simplement une tentative de changer la politique américaine. Les Irakiens ont compris qu’ils devaient, eux aussi, adopter une nouvelle approche et mener des réformes internes. Comme l’indique un rapport du bureau du parti Baas chargé des relations extérieures, l’Irak et les États-Unis ont des intérêts communs dans l’« équilibre stratégique de l’Iran » et dans le domaine du pétrole. Ces intérêts pourraient constituer la base d’une nouvelle relation sous l’administration Clinton. Cependant, a-t-il ajouté, l’Irak doit « suivre le rythme des temps modernes ». Le rapport aborde la nécessité de s’attaquer aux violations des droits de l’homme dans le pays et même d’introduire certaines réformes démocratiques71. Ce n’était pas la première ni la dernière fois que le régime irakien parlait de la nécessité d’une démocratisation, et il faut lire ces documents avec une bonne dose de scepticisme72. Saddam a dirigé un régime brutal et tyrannique. Il n’était pas sur le point de devenir une démocratie libérale. En effet, les auteurs du rapport ont précisé qu’ils avaient « de vives réserves » sur la plupart des formes de démocratie et que la démocratie de type occidental n’était ni bonne ni viable pour l’Irak.

Néanmoins, le rapport affirme que « les dirigeants du régime ne sont pas à l’abri d’une orientation mondiale vers la mise en place de pratiques démocratiques ». Ainsi, le rapport a suggéré que le Parlement irakien discute de la formation de comités représentant toutes les couches de la société et organise ensuite des « élections libres » pour ces comités auxquelles tous les Irakiens pourraient participer. Le rapport a fait valoir qu’au lendemain de la guerre du Golfe, le régime ne pouvait pas prendre ces mesures sans donner l’impression de succomber aux pressions internes et internationales. Une telle impression aurait donné du pouvoir aux adversaires du régime. Cependant, ce temps était passé. Si le rapport recommandait au régime de procéder avec « une extrême prudence », il indiquait clairement que les appels à des réformes démocratiques « trouveraient un écho dans le monde entier ». En prenant de telles mesures, le régime pourrait coopérer avec les « organisations mondiales concernées » aux Nations Unies et aux États-Unis pour améliorer le statut international de l’Irak73.

 

Ce rapport n’était pas sans susciter des critiques au sein du régime, notamment parce qu’il suggérait que les membres du parti Baas pourraient perdre une partie de leur statut privilégié au profit de non-Baasistes74. Il y avait également des limites à l’apaisement de Saddam envers Clinton. « En fait, c’est Clinton, a-t-il dit à ses conseillers, qui est censé être prêt à gérer soigneusement ses relations avec nous de sorte que nous ne soyons pas fâchés contre lui »75. L’existence de ce rapport et d’autres rapports similaires sur les réformes irakiennes ne doit pas être considérée comme une preuve que l’Irak était sur le point de faire volte-face. Pourtant, le rapport indique qu’une discussion a eu lieu à huis clos au sein du régime et que certaines de ses suggestions ont été mises en œuvre par la suite76. Rétrospectivement, le rapport a clairement montré que des voix puissantes à Bagdad estimaient que l’administration Clinton présentait de nouvelles possibilités et que des Irakiens de haut rang envisageaient des mesures difficiles pour saisir cette occasion. Si l’administration Clinton avait exploré cette ouverture, aussi difficile que cela ait été, elle aurait eu l’occasion de modifier le comportement des Irakiens et, avec lui, la politique américaine.

 

Soit l’administration Clinton a manqué les signaux que l’Irak envoyait, soit elle les a ignorés. Dès le début, la nouvelle administration à Washington a indiqué qu’elle avait l’intention de poursuivre l’approche qui avait été celle de son prédécesseur sur les questions de politique étrangère telles que l’Irak77. En interne, l’administration était divisée sur l’attention à accorder à l’Irak, mais comme l’a affirmé un ancien membre du Conseil national de sécurité, « il y avait un consensus… sur le fait que Saddam était malfaisant »78. Bagdad a semblé confirmer ce point de vue lorsqu’elle a provoqué une confrontation militaire avec l’administration Bush sortante en janvier 1993 et a ensuite tenté d’assassiner l’ancien président en avril 1993. Il n’est pas surprenant que Washington ne se soit pas intéressé à l’influence du régime irakien.

 

L’interprétation de Bagdad de l’élection de Clinton était sans doute erronée. L’élection n’était pas un référendum sur la politique de Bush envers l’Irak. Néanmoins, ce contresens a au moins ouvert, à Bagdad, une possibilité de réforme et de remise à plat de la relation avec Washington. Au lieu d’explorer cette opportunité, l’administration Clinton a adopté une politique inapplicable héritée de son prédécesseur. Le Conseil national de sécurité de Clinton a soutenu la résolution « pétrole contre nourriture » que l’administration Bush avait parrainée en août 1991 et a fait valoir que « l’Irak refuse de se conformer à ces résolutions … parce que le régime préférerait que le peuple irakien souffre »79. Publiquement, l’administration Clinton a introduit une politique de double confinement visant à la fois l’Irak et l’Iran, mais en 1994, la CIA a commencé à mener une opération portant le nom de code « DB Achilles », qui a tenté de renverser Saddam par un coup d’État80. En 1997, la secrétaire d’État Madeleine Albright a déclaré : « Nous ne sommes pas d’accord avec les nations qui affirment que si l’Irak respecte ses obligations en matière d’armes de destruction massive, les sanctions devraient être levées »81. En 1998, Clinton a signé la loi de libération de l’Irak, qui avait été adoptée à l’unanimité au Sénat et qui faisait du changement de régime la politique officielle du gouvernement américain82.

 

L’approche de Clinton a tué toute chance de réforme à Bagdad ou d’un nouvel arrangement qui pourrait résoudre la crise humanitaire en cours en Irak. Comme Saddam l’a dit à ses conseillers à plusieurs reprises, « Nous pouvons avoir des sanctions avec des inspecteurs ou des sanctions sans inspecteurs ; que voulez-vous ? »83. Compte tenu des actions du régime irakien au cours des dernières années, il n’aurait pas été facile de rétablir la relation avec Saddam et les contours de l’arrangement potentiel restent flous car la fenêtre d’opportunité s’est fermée sans avoir été pleinement approfondie auparavant. Pourtant, avec le recul, l’ouverture de l’Irak au début de l’administration Clinton a offert une chance d’éviter les dommages qui en ont résulté pour les relations étrangères américaines.

 

Les effets de la crise irakienne non résolue sur l’ordre mondial

 

La pression de l’administration Bush pour une politique finalement inapplicable face à des alternatives viables et la décision de l’administration Clinton de poursuivre cette politique ont laissé bouillonner une crise humanitaire aiguë en Irak. Cette crise non résolue a fourni à Bagdad un outil politique puissant qu’elle pouvait utiliser contre les États-Unis. Au cours de la décennie suivante, les souffrances du peuple irakien ont contribué à pousser des États comme la France et la Russie à sortir du système dirigé par les États-Unis. La position de l’Amérique s’est considérablement affaiblie et l’ordre de l’après-guerre froide a commencé à s’effilocher.

 

À bien des égards, les conséquences de la guerre du Golfe ont été désastreuses pour l’Irak. L’armée, l’économie et la société irakiennes ont été presque totalement paralysées. Des soulèvements généralisés ont menacé le régime de Saddam dans les mois qui ont suivi la guerre. De plus, les Baasistes ont commencé à faire des hémorragies parmi les hauts fonctionnaires. L’ambassadeur d’Irak aux États-Unis avait fait défection au Canada pendant la guerre84, et plusieurs autres ambassadeurs irakiens et même le chef des services de renseignements militaires irakiens ont suivi le mouvement dans les années qui ont suivi la guerre85.

 

Cependant, il y avait quelques bons côtés à Saddam. Contrairement à la plupart des autres dictateurs arabes, il n’a pas gravi les échelons de l’armée et n’est pas arrivé au pouvoir par un coup d’État militaire. Sa position découle de son implication dans un parti politique populiste – le Baas – et il a vu son pouvoir à travers le prisme de la politique de masse. La crise humanitaire non résolue en Irak et son obstination face à l’écrasante puissance occidentale lui ont donné l’occasion de saisir le manteau du leadership dans une opposition globale et ascendante à l’hégémonie américaine dans l’ère de l’après-guerre froide.

 

Pendant la guerre, les Irakiens et ceux qui compatissaient à leurs souffrances ont commencé à souligner le contraste entre la rhétorique idéaliste du nouvel ordre mondial et la réalité à laquelle ils étaient confrontés. Comme l’a noté une intellectuelle irakienne dans son journal après 20 jours de bombardements, « Bush dit que nous faisons la guerre pour avoir la paix. Quelle absurdité ! Quelle paix destructrice. Un nouvel ordre mondial ? Je l’appelle le désordre »86. Puis, quelques jours plus tard, elle écrivait simplement : « Tuer est le nouvel ordre mondial »87.

 

Saddam s’est rendu pour la première fois compte de la puissance politique de cette rhétorique lorsque les États-Unis ont bombardé le bunker d’al-Amiriyah au plus fort de la campagne de bombardement stratégique de la guerre du Golfe. L’armée américaine a cru à tort que l’endroit était un centre de commandement militaire. Il s’agissait en fait d’un abri antiaérien, et le bombardement a tué des centaines de civils irakiens. Lorsque la nouvelle de ce bombardement s’est fait connaître, la condamnation du monde entier a forcé les États-Unis à mettre fin à leur bombardement stratégique à Bagdad88. En ce sens, al-Amiriyah a eu un rôle plus grand dans la réduction des opérations militaires de la coalition que tout système antiaérien irakien. Cet événement, plus que toute autre chose, a enseigné à Saddam le pouvoir de la faiblesse. Au début de la crise, Saddam a dit à ses conseillers que l’Irak devait paraître puissante pour attirer les soutiens89. Par conséquent, comme l’a fait remarquer un journaliste américain qui travaillait en Irak à l’époque, le régime irakien a d’abord essayé de cacher les victimes civiles pour tenter de faire montre de sa force. En revanche, après le bombardement d’al-Amiriyah, le régime s’est donné beaucoup de mal pour mettre l’accent sur les victimes irakiennes. Saddam s’est rendu compte que le récit d’un Irak faible et sans défense, soumis à des brimades par une superpuissance néo-impérialiste, était beaucoup plus efficace qu’un récit d’un Irak fort tenant tête aux États-Unis90.

 

Cette prise de conscience a constitué le cœur de la stratégie politique de l’Irak pour briser la coalition dirigée par les États-Unis, qui appliquait les sanctions et les inspections après la guerre. Après le cessez-le-feu, l’Irak a commencé à lier « le nouvel ordre mondial et le désastre des enfants irakiens ». Le parti Baas a utilisé la guerre pour mettre en évidence les contradictions du système international naissant. En raison de « l’intérêt de la coalition pour les droits de l’homme », un pamphlet baasiste affirmait que « des milliers d’enfants irakiens sont confrontés à la mort, à la difformité et au vagabondage ». Il affirme que « les sanctions injustes imposées à l’Irak ont entraîné la mort de 14 232 enfants irakiens au cours des premiers mois [après la guerre], en raison de la contamination, de la malnutrition et des pénuries aiguës de vaccins et de médicaments »91. Le régime irakien a également affirmé que les États-Unis visaient des hôpitaux et des écoles, ce qui était exagéré ou simplement faux, mais il y avait suffisamment de vérité dans sa propagande pour que le public mondial la prenne au sérieux. Bagdad a prêté une attention particulière aux études menées par les Nations unies et l’université de Harvard qui ont mis en évidence la manière dont la guerre du Golfe et les sanctions ont détruit l’économie irakienne et les fonctions essentielles de l’État. Les baasistes irakiens ont ensuite largement diffusé les résultats de ces études, notamment auprès de secteurs clés de la communauté internationale. Comme le montrent les dossiers internes du parti Baas, ils l’ont fait à la fois par des canaux ouverts et dans le cadre d’opérations secrètes, qui visaient à dissimuler le rôle du régime dans la diffusion de l’information92.

 

Fin 1991, Saddam a convoqué un comité composé de hauts fonctionnaires du régime issus du ministère des affaires étrangères, du parti Baas, du service de renseignement irakien, du ministère de la santé et du ministère de la culture et de l’information pour mettre en œuvre une stratégie destinée à rompre l’alliance internationale contre l’Irak. Cela s’est fait principalement par des opérations d’influence, qu’ils ont appelées taharruk (mouvement). Ces opérations mettaient l’accent sur des arguments moraux et humanitaires comme ceux évoqués ci-dessus pour créer une pression politique ascendante dans des États clés, comme ceux qui avaient des sièges au Conseil de sécurité des Nations unies ou qui occupaient des positions géostratégiques importantes au Moyen-Orient. Les opérations ont ensuite combiné cette pression politique avec la manipulation d’intérêts économiques et géopolitiques plus traditionnels93.

 

Il est difficile, et peut-être impossible, de dissocier les effets des opérations d’influence irakienne des autres facteurs qui ont conduit la politique internationale dans les années 1990. De plus, les efforts irakiens les plus fructueux ont renforcé ces autres forces indépendantes. Il est donc difficile de déterminer où s’arrêtent les effets de l’une de ces autres forces et où commencent les effets sur les opérations d’influence irakiennes. Néanmoins, les archives irakiennes révèlent de vastes efforts, jusqu’alors inconnus, pour manipuler la politique intérieure dans des États clés du monde entier. Comme le montrent des documents internes irakiens, des baasistes irakiens travaillant dans des dizaines de pays ont espionné pour le compte de Bagdad, ont obtenu une couverture médiatique favorable et ont contacté ouvertement et secrètement « toutes les personnes, organisations, syndicats, associations, partis politiques et toute autre personne ayant une influence politique, populaire, syndicale et professionnelle »94. Ils ont également tenté d’intimider et de réduire au silence toute personne qui se trouvait sur leur chemin95.

 

Les baasistes irakiens ont souvent travaillé à l’échelle internationale avec des personnes et des groupes qui n’avaient que peu de choses en commun avec le régime de Bagdad, si ce n’est le fait qu’ils s’opposaient aux sanctions contre l’Irak. Par conséquent, les baasistes ont régulièrement eu recours à des organisations mandataires et se sont dissociés de l’ambassade irakienne « pour couvrir leurs activités pour leur parti [Baas] »96. Ce faisant, ils ont pu éviter les questions politiques de division au sujet du régime et ont plutôt fait valoir leur seule préoccupation pour le bien-être de leurs familles et amis qui souffraient en Irak. Les baasistes courtisaient des gens de gauche et de droite : universitaires, organisations d’étudiants, islamistes militants, pacifistes, militants libéraux et isolationnistes conservateurs. Ils ont trouvé des alliés dans les médias et même parmi certains hommes politiques du courant dominant. Ils ont ensuite tenté de rassembler ces groupes incongrus en une force politique peu organisée, mais puissante, conçue pour atteindre les objectifs stratégiques de l’Irak tout au long des années 1990 et au début des années 200097.

 

Les Baasistes ont utilisé ces opérations d’influence pour pousser les partisans de l’ordre de l’après-guerre froide à reconsidérer leur soutien au système dirigé par les Américains. Les retombées ont été les plus évidentes en France et en Russie, qui ont toutes deux soutenu les États-Unis pendant la guerre du Golfe et ses suites immédiates, mais qui ont par la suite utilisé leur position au Conseil de sécurité pour résister aux politiques américaines sur l’Irak plus tard dans les années 1990. Les États arabes qui ont soutenu la guerre du Golfe ont connu une transition similaire. Ainsi, les opérations d’influence irakiennes ont enfoncé un coin dans le système international au détriment des intérêts américains.

 

France

 

Les hauts fonctionnaires irakiens ont compris qu’il fallait adapter les approches aux différents Etats. En décembre 1991, Aziz, le ministre irakien des affaires étrangères, a fait valoir dans une note interne que la situation politique et le sentiment public aux États-Unis empêchaient toute chance d’influencer avec succès le gouvernement américain. Ces observations se sont révélées judicieuses. La France était beaucoup plus sensible à la souffrance du peuple irakien. De plus, si la France a soutenu la guerre du Golfe et les sanctions, elle a évité de présenter sa politique en Irak comme le signe avant-coureur d’un nouvel ordre mondial. Dans les discussions du Conseil de sécurité des Nations unies qui ont suivi la guerre du Golfe, le représentant de la France a mis l’accent sur l’instauration d’un cessez-le-feu et le « rétablissement de la sécurité régionale »99. Cet accent sur la sécurité régionale différait sensiblement de la tentative américaine de lier le conflit à des idéaux grandioses d’ordre mondial et à un nouveau système international. Après la guerre, l’approche de la France envers l’Irak est restée beaucoup plus flexible et Aziz a vu que la France offrait de réelles opportunités.

 

Les groupes de substitution prétendument indépendants dans le cadre desquels les baasistes travaillaient ont révélé la façon dont les différents gouvernements voyaient l’Irak. En 1994, un groupe irakien, se présentant comme une organisation humanitaire et culturelle, a présenté à Clinton des détails sur la crise humanitaire en Irak et lui a demandé de lever les sanctions. Clinton a répondu sèchement. Il a fait valoir que Saddam faisait l’objet d’une enquête pour divers crimes contre l’humanité, « y compris un génocide », et que les sanctions contre son régime devaient rester en place. L’administration Clinton a reconnu que les Irakiens souffraient, mais elle a reproché à Saddam d’avoir rejeté la formule « pétrole contre nourriture »100. Lorsque le même groupe de mandataires irakiens a tendu la main au président français François Mitterrand, il a répondu que les informations qu’il lui avait fournies sur la crise humanitaire en Irak avaient eu un grand impact sur lui. Bien que Mitterrand ne se soit pas engagé à changer la politique française, les responsables irakiens à Bagdad ont pris note de sa « réponse positive », qui était généralement révélatrice de la sympathie plus générale pour les Irakiens en France101.

 

Vers 1994, les diplomates américains ont clairement déclaré que les Français s’éloignaient des États-Unis sur la question de l’Irak102. La politique française sur l’Irak a ensuite changé de manière progressive mais plus spectaculaire avec l’élection du président Jacques Chirac en 1995. Jacques Chirac estimait que l’approche américaine ne fonctionnait pas. Alors que le gouvernement américain voulait contraindre Saddam par des sanctions et des frappes aériennes, Chirac a reconnu que la politique américaine était inapplicable. Il a dit à Clinton : « J’ai peur que nous travaillions ici avec une arme non armée. » Il voulait dire par là que pour Saddam, « la meilleure façon de reprendre le contrôle du peuple est de faire semblant d’être un martyr ». Ainsi, plus Chirac et Clinton punissaient Saddam, plus il devenait fort103.

 

En tant que conservateur et gaulliste, Chirac voulait protéger la puissance diplomatique traditionnelle de la France contre la montée de l’hégémonie américaine. Il s’est donc opposé à la politique américaine, presque par instinct. De plus, en 1996, Saddam a finalement accepté une version modifiée du programme « pétrole contre nourriture » des Nations Unies, version qui lui donnait plus de contrôle. Comme l’ont montré des enquêtes ultérieures, Bagdad a manipulé ce programme pour canaliser l’argent vers des acteurs internationaux ayant une influence au Conseil de sécurité des Nations unies. Les fonctionnaires français ont été une cible majeure de cet effort. Certains d’entre eux ont accepté des incitations importantes destinées à acheter leur influence ou à récompenser des positions politiques favorables à l’Irak, ce qui a pu affecter la politique française104.

Cependant, la crise humanitaire non résolue en Irak – amplifiée par les opérations d’influence irakienne – a fourni à Chirac des options politiques qui lui auraient manqué autrement. Comme le gouvernement français était beaucoup plus compatissant à l’égard des souffrances des Irakiens sous les sanctions de l’ONU, il était plus ouvert à la dissociation des sanctions et des inspections d’armement. Alors que le conflit se poursuivait dans les années 1990, les États-Unis ont commencé à signaler que leur but ultime était effectivement d’éliminer Saddam plutôt que de le forcer à se conformer aux résolutions de l’ONU. La France ne voyait pas cela comme une option viable ou comme une option soutenue par une résolution de l’ONU. Elle voulait plutôt donner à Saddam une voie pour sortir de l’isolement et des sanctions internationales105. En substance, Paris continuait à favoriser les politiques que les États-Unis avaient rejetées au cours de l’été 1991. L’inflexibilité américaine sur cette question a enflammé l’opposition française à la politique américaine envers l’Irak pour des raisons humanitaires et a permis à Paris de s’écarter politiquement de Washington.

 

En 1996, le gouvernement français a commencé à se retirer de la coalition en veillant à l’application des zones d’interdiction de vol au-dessus de l’Irak106. Au cours des années suivantes, il est devenu de plus en plus hostile à la stratégie américaine en Irak et au régime de sanctions lui-même. Bien que la France ait continué à soutenir le contrôle des armements en Irak et qu’elle ait continué à soutenir officiellement les États-Unis aux Nations unies, les fonctionnaires du ministère français des affaires étrangères ont déclaré aux Irakiens en visite, lors de réunions à huis clos, que, indépendamment de ce qui se passait au Conseil de sécurité, ils « travaillaient dur pour lever les sanctions »107. En outre, comme l’a noté un historien de la politique étrangère française, la question irakienne a commencé à définir les relations franco-américaines : « Les Français ont été tentés d’identifier le problème irakien avec ce que Paris, et d’ailleurs de nombreuses capitales dans le monde, considéraient de plus en plus comme un problème américain – les tendances croissantes de Washington à l’unilatéralisme »108. En ce sens, les questions résultant de la guerre du Golfe ont considérablement sapé le leadership américain dans le système international.

 

Russie

 

Les retombées de la guerre du Golfe ont également conduit d’autres pays à contester un ordre dirigé par les Américains. L’Union Soviétique avait été un allié de l’Irak jusqu’à la fin de la guerre froide. Ensuite, Moscou s’est rangée du côté de Bush pendant la guerre du Golfe et a reconnu le rôle de la guerre dans la naissance d’un nouveau système de relations internationales de l’après-guerre froide. Lorsque la Russie est sortie de l’Union soviétique, elle a d’abord accueilli favorablement les tentatives américaines de se servir de la question irakienne pour forger un nouvel ordre mondial. Pour l’Irak, la perte de son protecteur a été un désastre. Les diplomates irakiens ont affirmé que la Russie était tombée sous l’influence des États-Unis et du « lobby juif-sioniste en Russie ». Les efforts déployés par l’Irak pour rétablir ses relations avec les dirigeants russes en 1991 et au début de 1992 ont été repoussés à plusieurs reprises. Une série d’invitations à des politiciens russes de premier plan à se rendre en Irak ont été ignorées ou détournées109.

Plus tard, en 1992, le régime irakien a adopté une nouvelle approche indirecte. Comme l’a rapporté l’ambassadeur irakien à Moscou, « nous avons été obligés d’inviter l’opposition au Parlement [à visiter l’Irak] ». Contrairement aux dirigeants, l’opposition a « répondu avec enthousiasme » et « lorsque la délégation est retournée [en Russie], elle a entrepris de nombreuses activités à l’intérieur et à l’extérieur du parlement ». L’opposition russe a travaillé « pour expliquer la vérité sur la situation en Irak, elle a défendu le point de vue irakien et a exigé que le gouvernement russe change sa position sur l’Irak et travaille à la levée du blocus économique ». L’ambassadeur irakien a expliqué que « de larges cercles du peuple russe commencent à comprendre la juste position irakienne, et à sentir que la position russe envers l’Irak est une erreur ». Les politiques russes en direction de l’Irak, a-t-il affirmé, « intensifient particulièrement l’opposition nationaliste dans ses activités au sein du parlement et des conférences du peuple, dans les médias et dans les manifestations »110. Les baasistes irakiens en Russie ont continué à faire pression sur ces questions à la fois auprès des politiciens et dans la presse populaire. Ce faisant, ils ont aidé les partis d’opposition russes à transformer le fait que les puissances occidentales avaient écrasé et humilié un allié traditionnel de la Russie en un problème de coin qui a enflammé les passions nationalistes dans le pays. Ces pressions intérieures ont forcé le gouvernement russe, dirigé par Boris Eltsine, à changer de cap. Il a commencé à défendre l’Irak et à tenter de lever les sanctions111.

 

Comme pour la France, plusieurs raisons ont poussé Moscou à s’éloigner de Washington dans les années 1990. La Russie était en profond désaccord avec la politique américaine dans les Balkans et avec l’expansion de l’OTAN en Europe de l’Est. Certains segments de la société russe ont également blâmé les États-Unis pour leurs malheurs économiques dans les années 1990. La plupart des ouvrages sur les divergences de la Russie avec l’Amérique à l’époque se concentrent sur ces questions. Cependant, l’Irak a joué un rôle critique et largement négligé dans les relations russo-américaines.

 

Les incitations économiques que l’Irak a proposées à la Russie et aux responsables russes ont presque certainement influencé la politique de Moscou112. Tout aussi importants, cependant, étaient les dommages persistants en Irak causés par la guerre et les sanctions. Lorsque la Russie a voulu contester la politique américaine en Irak au Conseil de sécurité, le représentant russe a souvent mené avec des critiques sur la situation humanitaire113. Comme l’affirment de nombreux rapports de la période, l’un des principaux catalyseurs de la divergence entre la Russie et les États-Unis à l’époque était la pression politique intérieure exercée par l’opposition nationaliste et communiste114.

 

Les Baasistes irakiens ont exploité des cellules en Russie qui ont continué à influencer les opérations tout au long des années 1990. Comme le montrent les dossiers internes du parti Baas, ils ont régulièrement tenu des réunions avec les chefs des partis politiques russes. Ils ont également organisé des manifestations populaires, publié des articles de soutien à l’Irak dans la presse russe et, de leur propre aveu, contribué à « l’érosion de la position américano-britannique »115. Ces actions ont a minima amplifié les positions politiques en Russie qui rendaient la coopération avec les États-Unis sur l’Irak difficile pour les dirigeants russes.

La divergence de la Russie avec l’Amérique sur l’Irak a créé un véritable dilemme pour Washington et a eu d’importantes implications pour l’ordre mondial. Les États-Unis ont estimé qu’il était nécessaire d’appliquer militairement les résolutions de l’ONU à plusieurs reprises dans les années 1990. Cela a posé un problème pour les relations américano-russes. Comme Clinton l’a expliqué au Premier ministre britannique Tony Blair, si le gouvernement russe était au courant d’éventuelles opérations américaines en Irak, il en informerait probablement le régime irakien et mettrait des vies américaines en danger. Si les États-Unis ne le disaient pas à la Russie, la confiance nécessaire à la mise en place d’un système international coopératif s’effondrerait116. Le plus souvent, l’administration a décidé de ne pas informer la Russie des opérations américaines en Irak, ce qui a eu pour effet de séparer les deux parties.

La dégradation des relations américano-russes autour de la question irakienne a également eu des répercussions sur d’autres questions importantes. Dès 1993, des rapports de la CIA affirmaient que les actions américaines en Irak affectaient la perception qu’avait la Russie du conflit dans les Balkans117. Moscou a fini par rappeler son ambassadeur aux États-Unis en réponse aux attaques américaines et britanniques contre l’Irak en 1998118. C’était la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale que les Russes agissaient de la sorte, et cela s’est produit à cause de l’Irak – et non des Balkans ou de l’expansion de l’OTAN119. Dans un appel téléphonique à Clinton, Eltsine a clairement indiqué que « les enjeux ne se restreignent pas à la personne de Saddam Hussein mais aussi à nos relations avec les États-Unis »120. Les relations russo-américaines, qui offraient tant de promesses et d’espoir au début de la décennie, ne se sont jamais complètement rétablies.

 

Le Moyen-Orient

 

Les conséquences de la guerre du Golfe se sont également avérées particulièrement problématiques pour les États du Moyen-Orient. Saddam a mis en lumière les souffrances du peuple irakien et ses opérations d’influence ont répandu une propagande conspiratrice sur les acteurs américains, impérialistes, juifs et sionistes malfaisants ainsi que sur leurs collaborateurs dans les capitales arabes. Les Irakiens ont trouvé un terrain particulièrement fertile pour ce message auprès des islamistes et même de certains extrémistes violents du monde arabe121. L’une des tactiques favorites du régime irakien a été d’accorder des bourses aux dissidents islamistes étrangers pour qu’ils étudient à l’université Saddam d’études islamiques de Bagdad, où des professeurs soigneusement sélectionnés les ont endoctrinés. Les Baasistes recrutaient des étudiants d’organisations telles que les Frères musulmans et le Jihad islamique palestinien. Une fois rentrés dans leur pays d’origine, ces étudiants provoquaient de l’agitation, parfois violemment, au nom de l’Irak122.

 

En 1994, le fils de Saddam, Uday, a lancé l’une des plus intéressantes opérations d’influence de l’Irak en établissant un contact avec Oussama Ben Laden au Soudan. Après plusieurs discussions approuvées par Saddam lui-même, le service de renseignement irakien a accédé à la demande de Ben Laden de diffuser en Arabie Saoudite les sermons salafistes et islamiques du dissident saoudien Salman al Awda. Après avoir commencé les diffusions, les agents des services de renseignement irakiens et Ben Laden ont également accepté de « mener des opérations conjointes contre les forces étrangères du Hijaz », bien qu’il ne soit pas certain qu’ils l’aient réellement fait123.

 

Les régimes arabes craignaient les retombées des opérations d’influence irakiennes et des récits politiques que les Baasistes encourageaient. Au milieu des années 1990, les dirigeants locaux de tout le Moyen-Orient ont commencé à prendre leurs distances par rapport aux États-Unis, même s’ils ont déclaré en privé aux responsables américains qu’ils étaient d’accord avec la politique américaine en Irak et qu’ils voulaient la soutenir. Il n’était tout simplement pas politiquement viable pour eux de le faire124. En 1996, le gouvernement américain a voulu lancer des frappes contre l’armée irakienne en réponse à son déplacement vers le nord pour intervenir dans un conflit kurde. Comme l’a déploré plus tard un officier de l’armée de l’air américaine, la Turquie, la Jordanie et l’Arabie saoudite ont refusé que les États-Unis utilisent leurs bases pour lancer des frappes de la coalition, « même si les frappes étaient déjà planifiées et prêtes à être exécutées »125. A partir de ce moment, la capacité des États-Unis à opérer à partir d’endroits comme l’Arabie saoudite, qui était un État essentiel dans la coalition initiale contre l’Irak, a été sévèrement limitée. Là encore, les retombées de cette rupture des relations ont eu des implications mondiales.

 

Frustrations américaines : Tracer une ligne de démarcation entre la guerre du Golfe et la guerre en Irak

 

Les retombées internationales de la guerre du Golfe ont également porté atteinte à la perception qu’ont les Américains du système international de l’après-guerre froide. Les États-Unis n’ont jamais complètement accepté ce qui s’était passé en Irak pendant la guerre du Golfe. Le rapport du Commandement central américain sur les suites du conflit n’a pas mentionné les dommages que la guerre a infligés à la société irakienne. De même, le rapport final de 500 pages du ministère américain de la défense au Congrès a passé sous silence les destructions que la guerre a laissées dans son sillage126.

 

Le rapport le plus influent sur le conflit a été le Gulf War Air Power Survey, qui a rassemblé les principaux experts du gouvernement, de l’armée et du monde universitaire pour produire une étude définitive en cinq volumes totalisant plus de 3 000 pages. Bien qu’elle reconnaisse l’ampleur des dommages causés aux infrastructures irakiennes et les souffrances de la population irakienne qui en résultent – dont des dizaines de milliers de morts – l’étude conclut finalement que « la campagne aérienne stratégique a non seulement été précise, efficace et légale, mais qu’elle a fait très peu de victimes civiles [directes] »127. L’étude sur la puissance aérienne de la guerre du Golfe a eu un effet considérable sur la façon dont les dirigeants américains ont compris la guerre. Cependant, l’idée que la guerre a été menée, comme le soutient l’étude, avec « une stratégie conçue pour paralyser l’armée irakienne sans détruire le pays » ne reflète pas le sentiment sur le terrain en Irak ou dans les capitales étrangères128.

 

Il est aisé de remarquer comment les récits officiels sur la crise humanitaire en Irak ont conduit à des faux pas politiques et renforcé la perception de l’insensibilité américaine. Le plus tristement célèbre est peut-être l’émission de télévision 60 Minutes, en 1996, on a demandé à Albright si « le prix en valait la peine » alors qu’un « demi-million d’enfants sont morts » en Irak à cause de la politique américaine. Elle a répondu : « Je pense que c’est un choix très difficile, mais le prix – nous pensons que le prix en vaut la peine »129. Albright a ensuite déclaré qu’elle regrettait ce commentaire130. Néanmoins, ses paroles reflétaient un sentiment authentique qui isolait de plus en plus les États-Unis du reste de la communauté internationale.

Les membres du parti Baas ont tenté d’exploiter le point aveugle de l’Amérique en ce qui concerne la souffrance irakienne. Comme l’avait prédit Aziz, les baasistes irakiens ne parvenaient pas à influencer directement le gouvernement américain. Bien qu’ils aient ciblé des membres du Congrès et des hommes politiques tels que les anciens candidats respectivement républicain et démocrate à la présidence Patrick Buchanan et Gary Hart, il n’y a guère de preuves que ces efforts aient été efficaces131. Les Baasistes ont eu plus de succès en organisant une campagne indirecte pour influencer le débat politique général dans le pays. Ils ont identifié des journalistes qui étaient sympathiques à la situation critique de l’Irak et à la politique américaine et qui pouvaient atteindre un large public américain. Ensuite, les Baasistes opérant en Amérique ont fourni à ces journalistes des articles ou les ont amenés en Irak, où ils ont bénéficié d’un accès privilégié aux responsables irakiens et, dans un cas, même d’une opportunité d’interviewer Saddam132.

Les cellules baasistes aux États-Unis ont également organisé des manifestations très médiatisées contre la politique américaine et ont travaillé avec des militants locaux d’organisations aussi disparates que le Parti vert et l’Association chrétienne des jeunes femmes, qui partageaient l’objectif de mettre fin aux sanctions contre l’Irak133. Les baasistes irakiens ont pu travailler par le biais de ces organisations sympathisantes pour atteindre un public plus large. Ils ont, par exemple, coordonné leur action avec une organisation basée en Allemagne et aux États-Unis, le Comité pour sauver les enfants d’Irak, qui a publié et distribué des documents sur le sort des enfants irakiens134. Par l’intermédiaire de cette organisation, les baasistes ont attiré des voix sans méfiance mais influentes qui avaient peu de sympathie pour le régime irakien mais qui étaient consternées par la situation humanitaire de ce pays. En 1993, le boxeur Muhammad Ali a organisé un dîner de collecte de fonds à 50 dollars l’assiette pour 200 personnes, dont la totalité des recettes a été versée au Comité pour sauver les enfants d’Irak135. Louis Farrakhan, qui dirigeait la Nation of Islam et exerçait une influence considérable sur certains secteurs de la communauté afro-américaine, s’est rendu plusieurs fois en Irak dans les années 1990. En 1995, il a été nommé membre du conseil d’administration de l’Organisation populaire de la conférence islamique, basée à Bagdad et parrainée par le régime, et a ouvertement fait campagne en faveur du régime irakien136.

 

Les opérations baasistes ont contribué à modifier les discours politiques sur l’Irak aux États-Unis. Le changement d’humeur a peut-être été le plus évident en 1998, lorsque CNN a accueilli le conseiller à la sécurité nationale de Clinton, Sandy Berger, le secrétaire à la défense William Cohen et Albright à l’université d’État de l’Ohio pour un débat télévisé sur la politique de l’administration en Irak. Une grande partie du public était ouvertement hostile à la politique américaine, et la foule nombreuse et bruyante a interrompu les orateurs à plusieurs reprises. Les membres de la foule ont crié les éléments de la discussion qu’ils n’aimaient pas et ont frustré les responsables de l’administration en accusant Clinton d’essayer d’« envoyer un message » à Saddam « avec le sang d’hommes, de femmes et d’enfants irakiens »137.

 

Malgré ce recul politique, certains universitaires ont fait valoir qu’en termes d’effets matériels, la politique américaine visant à contenir l’Irak dans les années 1990 a été un succès138. Pour étayer leurs affirmations, les partisans de ces arguments soulignent le fait que l’Irak est resté un pays pauvre, avec peu de moyens économiques ou militaires à sa disposition. De plus, bien que les États-Unis ne le savaient pas à l’époque, l’Irak a effectivement renoncé à ses armes de destruction massive et a mis fin aux programmes qui les produisaient139. Cependant, ces arguments se concentrent sur les moyens matériels irakiens et supposent qu’ils étaient nécessaires à Saddam pour atteindre ses objectifs. Pourtant, la stratégie de Saddam était de mettre fin au régime de sanctions et de normaliser la situation diplomatique de l’Irak afin de reconstruire les moyens plus traditionnels du pouvoir dur. À la fin de la décennie, il avait clairement progressé vers ces objectifs, malgré ses contraintes matérielles.

 

Le système conçu pour le freiner s’effondrait. En 1998, Saddam a violé l’accord de cessez-le-feu de la guerre du Golfe en mettant fin aux inspections d’armement de l’ONU. Les États-Unis et le Royaume-Uni ont lancé des frappes aériennes en réaction, mais, à ce moment-là, la communauté internationale était trop divisée et n’avait pas le pouvoir de forcer l’Irak à se conformer à nouveau. Saddam s’enrichissait de la corruption dans la version modifiée du programme « pétrole contre nourriture » que le Conseil de sécurité avait approuvé en 1995 et que, comme mentionné précédemment, il a finalement accepté en 1996. Il a progressivement normalisé la situation diplomatique et économique de l’Irak tout en faisant fi des résolutions de l’ONU. En juillet 2001, le Joint Intelligence Council britannique a qualifié Saddam de « provocateur » et de « fiable ». Il a affirmé que « Saddam juge que sa position est la plus forte depuis la guerre du Golfe »140.

 

En conséquence, la frustration des décideurs politiques américains n’a fait que grandir. En mars 2000, les auditions du Sénat américain sur les sanctions contre l’Irak ont montré une désillusion bipartite évidente à l’égard des Nations Unies ainsi que de l’alliance transatlantique qui était censée sous-tendre le système de l’après-guerre froide. Le sénateur Joseph Biden a alors affirmé que « Saddam est le problème ». Toutefois, Biden a précisé qu’« il est clair que les Français et d’autres pays préféreraient, pour l’essentiel, normaliser les relations »141. Le secrétaire d’État adjoint aux affaires du Proche-Orient, Edward Walker, a précisé que « la perception » selon laquelle les sanctions étaient « responsables des problèmes auxquels le peuple irakien est confronté » a érodé la capacité à les appliquer. Aux États-Unis, comme ailleurs, la situation non résolue en Irak a rongé non seulement les relations bilatérales entre les différents États, mais aussi la confiance dans le système de l’après-guerre froide dans son ensemble. Aucun doute n’était plus permis sur ce sujet après les attentats du 11 septembre 2001, lorsque l’administration du président George W. Bush a commencé à faire pression pour une stratégie plus agressive afin de mettre en œuvre un changement de régime en Irak. Lorsque Bush est arrivé au pouvoir en janvier 2001, il a adopté la politique de Clinton sur l’Irak : son administration était officiellement engagée dans un changement de régime, mais n’était pas encline à le réaliser militairement. Les attaques du 11 septembre ont créé de nouvelles possibilités de rallier le soutien national à des stratégies plus musclées pour poursuivre le changement de régime143. Bien que la guerre qui en a résulté ait été source de divisions par la suite, elle a d’abord bénéficié d’un large soutien bipartite parmi les décideurs politiques à Washington. Hillary Clinton a voté pour autoriser la guerre avec une majorité de sénateurs démocrates. Albright a écrit plus tard qu’elle s’est retrouvée à approuver de la tête lorsque Bush a plaidé en faveur de la guerre144.

Ces sentiments n’étaient pas partagés au niveau international. La guerre du Golfe était censée cimenter le rôle de l’Amérique en tant qu’organisateur du système international. Au moment de la guerre en Irak, en 2003, la situation avait changé. Au lieu de « l’Irak contre le monde », comme l’avait affirmé George H. W. Bush en 1990145, c’étaient les États-Unis contre le monde. Même des alliés solides comme le Canada ont refusé d’y participer. Les dirigeants internationaux qui se sont joints à la campagne de Bush en Irak, dont Blair et le Premier ministre espagnol José María Aznar, ont souvent payé un prix politique important.

 

La crise diplomatique de 2003 au sujet de l’Irak est née d’une défaillance du système international. Au début des années 1990, le nouvel ordre mondial de George H. W. Bush offrait l’espoir d’un compromis et d’une coopération. Par exemple, alors que les désaccords sur la situation humanitaire de l’Irak au Conseil de sécurité étaient vifs à l’été 1991, les États membres ont accepté les bonnes intentions des uns et des autres et étaient prêts à faire des compromis. Ils ont continué à travailler ensemble pour résoudre les problèmes internationaux, y compris en Irak146. Au début des années 2000, la question irakienne avait aigri ces relations au point que chaque partie supposait que l’autre était de mauvaise foi. Washington avait le sentiment que les dirigeants russes et européens sapaient l’ordre mondial au profit de leur portefeuille et d’un anti-américanisme impulsif. Les gouvernements européens estimaient que les États-Unis ne faisaient que souscrire du bout des lèvres aux résolutions de l’ONU et ce uniquement lorsqu’elles s’alignaient sur les objectifs américains. Ils ont accusé Washington de pousser au changement de régime à Bagdad, ce que les Nations Unies n’avaient pas autorisé, et d’insister pour que les dirigeants étrangers suivent aveuglément les diktats américains. Aucun compromis n’était possible. George W. Bush a répété nombre des arguments que son père avait avancés sur l’histoire et l’ordre mondial, mais les paroles du jeune Bush sont tombées dans l’oreille d’un sourd.

 

Certains théoriciens libéraux de l’ordre international de l’après-guerre froide ont surestimé la robustesse du système et sous-estimé la capacité de l’administration de George W. Bush à agir en dehors de celui-ci dans des cas tels que la guerre en Irak147. La fragilité du système en 2003 peut s’expliquer, au moins en partie, par le fait que la désillusion des Américains vis-à-vis des Nations unies et du système international en général n’a cessé de croître depuis – et dans une certaine mesure, en conséquence de – la guerre du Golfe. Ce désenchantement et ce cynisme ont fait avancer le plan de guerre de l’administration George W. Bush face à une forte opposition internationale et sans résolution des Nations Unies.

 

Cependant, ces frustrations n’étaient pas nouvelles. Elles n’étaient pas non plus propres à l’administration George W. Bush. Comme l’a fait valoir la conseillère à la sécurité nationale de Bush, Condoleezza Rice, « nous avons envahi l’Irak parce que nous pensions être à court d’autres options. Les sanctions ne fonctionnaient pas, les inspections étaient insatisfaisantes et nous ne pouvions pas faire partir Saddam par d’autres moyens »148. Ce sont tous des problèmes auxquels les États-Unis ont été confrontés au début des années 1990 et qu’ils ont eu l’occasion de résoudre à cette époque. Laissées sans solution, elles ont depuis lors tourmenté la diplomatie américaine. Les politiques américaines problématiques sur l’Irak sont clairement antérieures à l’administration de George W. Bush. En fait, la justification officielle et légale de l’invasion de 2003 reposait sur les résolutions de l’ONU adoptées pendant la guerre du Golfe. Ainsi, l’administration Bush a fait valoir qu’elle ne faisait que mettre en œuvre les politiques dont elle avait hérité149.

 

Les dilemmes non résolus que la guerre du Golfe a créés ont été mal gérés pendant une décennie, pour finalement aboutir à un conflit en 2003 qui a été mené sur des bases juridiques douteuses et avec un soutien extérieur limité. Cette guerre est rapidement tombée dans un bourbier qui a coûté des milliers de vies et des billions de dollars. Au moment où nous écrivons ces lignes, en 2021, les forces américaines combattent toujours les insurgés qui sont apparus en Irak après le renversement du régime de Saddam en 2003150.

 

Conclusion

 

Il est notoirement difficile de prédire les effets de second et de troisième ordre d’entreprises politiques complexes telles que la guerre et la diplomatie. Toutefois, ce n’est pas une excuse pour en ignorer les conséquences 30 ans plus tard. En fait, une telle analyse critique post-hoc est essentielle pour tirer les bonnes leçons de la guerre du Golfe et de ses conséquences. Les États-Unis auraient pu être plus prudents pendant la guerre, plus lucides sur les dommages qu’elle a causés et plus engagés dans l’atténuation de la crise humanitaire qui en a résulté. Surtout, pour créer un système international coopératif, l’Amérique devait être plus disposée à faire des compromis avec ses alliés. Ce faisant, elle aurait pu être mieux équipée diplomatiquement pour construire et consolider le nouvel ordre mondial dont la création, selon George H. W. Bush, était l’un des principaux objectifs de la guerre du Golfe.

Au lieu de cela, les retombées de la guerre du Golfe ont presque immédiatement divisé la communauté internationale et mis au défi le leadership américain. Les États-Unis ont échoué plus d’une fois à saisir les occasions de changer de cap lorsqu’elles se sont présentées. Il est impossible de savoir si un système international de l’après-guerre froide basé sur la sécurité collective, le libéralisme et l’État de droit était même possible. Les universitaires ne peuvent pas rejouer l’histoire pour savoir comment les événements auraient pu se dérouler si la guerre avait été menée différemment ou si les États-Unis avaient basé leurs stratégies d’après-guerre sur une évaluation plus réaliste des possibilités en Irak. De même, il est impossible de savoir dans quelle mesure les désaccords sur l’Irak ont divisé la communauté internationale ou si l’Irak n’a fait qu’aggraver des différences qui auraient de toute façon surgi. Néanmoins, avec le recul, la guerre et ses conséquences ont clairement endommagé, plutôt que facilité, le travail des hommes d’État et des diplomates dans leurs efforts pour construire un système international libéral de l’après-guerre froide ou même de poursuivre les intérêts américains de manière plus générale. En ce sens, la guerre a généré des coûts politiques considérables. Elle était loin d’être le conflit propre et décisif que décrivent les récits américains.

 

Samuel Helfont est professeur assistant de stratégie et de politique dans le programme du Naval War College à la Naval Postgraduate School de Monterey, en Californie. Il est l’auteur de Compulsion in Religion : Saddam Hussein, Islam, and the Roots of Insurgency in Iraq (Oxford University Press, 2018). Son projet de livre actuel, Iraq Against the World, examine les stratégies internationales de l’Irak de 1990 à 2003 et l’impact qu’elles ont eu sur l’ordre de l’après-guerre froide. Il est titulaire d’un doctorat en études du Proche-Orient de l’université de Princeton et est un ancien combattant de la guerre d’Irak.

 

Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne représentent pas les vues du ministère de la défense, de la marine américaine, du Naval War College ou de la Naval Postgraduate School.

 

Remerciements : Je tiens à remercier Galen Jackson, Doyle Hodges, Dom Tierney, Tim Hoyt, Scott Douglas, Don Stoker, Michael Brill, John Sheehan, Mike Jones et Tally Helfont pour leur aide dans la rédaction de cet article.

 

A lire aussi : Arabie Saoudite et Golfe : or noir et billet vert

 

Notes

1Susan Baer, “Desert Storm Takes N.Y. 5 Million Attend Ticker-Tape Parade,” Baltimore Sun, June 11, 1991, https://www.baltimoresun.com/news/bs-xpm-1991-06-11-1991162064-story.html.

2Edward J. Marolda and Robert J. Schneller Jr., Shield and Sword: The United States Navy and the Persian Gulf War (Annapolis: Naval Institute Press, 2001), xiii.

3E.J. Dionne Jr., “Kicking the Vietnam Syndrome,” Washington Post, March 4, 1991, https://www.washingtonpost.com/archive/politics/1991/03/04/kicking-the-vietnam-syndrome/b6180288-4b9e-4d5f-b303-befa2275524d/.

4Richard N. Haass, “The Gulf War: Its Place in History,” in Into the Desert: Reflections on the Gulf War, ed. Jeffrey A. Engel (New York: Oxford University Press, 2013), 57–83; and Daniel P. Bolger, Why We Lost: A General’s Inside Account of the Iraq and Afghanistan Wars (New York: Mariner Books, 2014).

5Warren Christopher, In the Stream of History: Shaping Foreign Policy for a New Era (Stanford, CA: Stanford University Press, 1998), 11; and Jeffery Goldberg, “The Obama Doctrine,” The Atlantic, April 2016, https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2016/04/the-obama-doctrine/471525/.

6Kirk Spitzer, “25 Years Later, Desert Storm Remains the Last Good War,” USA Today, Feb. 27, 2016, https://www.usatoday.com/story/opinion/2016/02/27/column-25-years-later-desert-storm-remains-last-good-war/81033112/.

7Rebecca Friedman Lissner, “The Long Shadow of the Gulf War,” War on the Rocks, Feb. 24, 2016, https://warontherocks.com/2016/02/the-long-shadow-of-the-gulf-war/.

8George H. W. Bush, “Address Before a Joint Session of Congress,” Speech, Washington, DC, Sept. 11, 1990, available at the Miller Center, University of Virginia, https://millercenter.org/the-presidency/presidential-speeches/september-11-1990-address-joint-session-congress.

9For example, see Michael R. Gordon and Bernard E. Trainor, The Generals’ War: The Inside Story of the Conflict in the Gulf (New York: Little, Brown and Company, 1995); Marvin Pokrant, Desert Storm at Sea: What the Navy Really Did (Westport, CT: Greenwood Press, 1999); Marolda and Schneller, Shield and Sword; James A. Winnefeld, Preston Niblack, and Dana J. Johnson, A League of Airmen: U.S. Air Power in the Gulf War (Santa Monica, CA: Rand Corp., 1994); and Daryl G. Press, “The Myth of Air Power in the Persian Gulf War and the Future of Warfare,” International Security 26, no. 2 (Fall 2001): 5­–44, https://www.jstor.org/stable/3092121.

10Though he takes a different position than this article, Joshua Rovner provides a good overview of this debate in Joshua Rovner, “Delusion of Defeat: The United States and Iraq, 1990–1998,” Journal of Strategic Studies 37, no. 4 (2014): 482–507, https://doi.org/10.1080/01402390.2014.891074.

11In addition to some primary documents from the George H. W. Bush administration, archival records used in this article include the Ba‘th Regional Command Collection, housed at the Hoover Archives and Library, Stanford University (hereafter cited as BRCC); the Conflict Records Research Center, formerly housed at the National Defense University, Washington, DC (hereafter cited as CRRC); the Clinton Library Archives, housed at the William J. Clinton Presidential Library and Museum, Little Rock, AR and online at the Clinton Digital Library, https://clinton.presidentiallibraries.us (hereafter cited as Clinton Library); and the National Security Archive at George Washington University, Washington, DC and online at https://nsarchive.gwu.edu/ (hereafter cited as the National Security Archive). The United Nations records can be found in the Dag Hammarskjöld Library, https://research.un.org/en/docs/sc/quick/meetings/2020 (hereafter cited as UNSC Records).

12For example, see Dina Rizk Khoury, Iraq in Wartime: Soldiering, Martyrdom, and Remembrance (New York: Cambridge University Press, 2013); Kevin M. Woods, David D. Palkki, and Mark E. Stout, eds., The Saddam Tapes: The Inner Workings of a Tyrant’s Regime, 1978–2001 (New York: Cambridge University Press, 2011); Joseph Sassoon, Saddam Hussein’s Ba’th Party: Inside an Authoritarian Regime (Cambridge: Cambridge University Press, 2012); Aaron Faust, The Ba’thification of Iraq: Saddam Hussein’s Totalitarianism (Austin: University of Texas Press, 2015); Samuel Helfont, Compulsion in Religion: Saddam Hussein, Islam, and the Roots of Insurgencies in Iraq (New York: Oxford University Press, 2018); and Lisa Blaydes, State of Repression: Iraq under Saddam Hussein (Princeton, NJ: Princeton University Press, 2018).

13For an example of the narratives that emerge from Iraqi records, see Khoury, Iraq in Wartime, 35–47.

14“Provisional Record of the 2981st Meeting, U.N. Security Council,” UNSC Records, S/PV. 2981, April 3, 1991, 111, https://undocs.org/en/S/PV.2981.

15“Provisional Record of the 2981st Meeting, U.N. Security Council,” 112; and Boutros Boutros-Ghali, “Introduction,” in The United Nations and the Iraq-Kuwait Conflict 1990-1996, ed. Boutros Boutros-Ghali, The United Nations Blue Books Series, vol. IX, Department of Public Information, United Nations, New York, 1996, 33–34.

16“Provisional Record of the 2981st Meeting, U.N. Security Council,” 82.

17“Provisional Record of the 2981st Meeting, U.N. Security Council,” 99.

18Jeffrey A. Engel, When the World Seemed New: George H. W. Bush and the End of the Cold War (New York: Houghton Mifflin Harcourt, 2017), 396; and George H. W. Bush and Brent Scowcroft, A World Transformed (New York: Vintage, 1999), 317–18.

19George H. W. Bush, “Address Before a Joint Session of Congress,” Speech, Washington, DC, Sept. 11, 1990, available at the Miller Center, University of Virginia, https://millercenter.org/the-presidency/presidential-speeches/september-11-1990-address-joint-session-congress.

20George H. W. Bush, “Address Before a Joint Session of Congress.”

21Francis Fukuyama, “The End of History?” National Interest, no. 16 (Summer 1989): 3–18, https://www.jstor.org/stable/24027184.

22George H. W. Bush, “Inaugural Address,” Speech, Washington, DC, Jan. 20, 1989, available at the Miller Center, University of Virginia, https://millercenter.org/the-presidency/presidential-speeches/january-20-1989-inaugural-address; and Engel, When the World Seemed New, 73.

23See, for example, John Mueller, Retreat from Doomsday: The Obsolescence of Major War (New York: Basic Books, 1989); John Keegan, A History of Warfare (New York: Robert F. Knopf, 1993), 48–49; and John Lewis Gaddis, “Toward the Post-Cold War World,” Foreign Affairs 70, no. 2 (Spring, 1991): 103–4, https://www.foreignaffairs.com/articles/1991-03-01/toward-post-cold-war-world. It should be noted that Gaddis’ analysis does not suppose that these ideas will succeed, or even that they should.

24Mark Mazower, Governing the World: The History of an Idea, 1815 to the Present (New York: Penguin Books, 2012), xi.

25Bush, “Address Before a Joint Session of Congress.”

26Joshua R. Itzkowitz Shifrinson, “George H. W. Bush: Conservative Realist as President,” Orbis 62, no. 1 (2018): 56–75, https://doi.org/10.1016/j.orbis.2017.11.001.

27“Security Council resolution calling for strict compliance with the sanctions against Iraq and confirming that these sanctions apply to all means of transport, including aircraft,” UNSC Records, S/RES/670, Sept. 25, 1990, https://undocs.org/en/S/RES/670%20(1990); and Boutros-Ghali, “Introduction,” 21-23.

28For an operational history of the war, see Gordon and Trainor, The General’s War.

29See “Security Council resolution calling for strict compliance with the sanctions against Iraq,” 174–75; and Boutros-Ghali, “Introduction,” 21–23.

30Alexander S. Cochran et al., Gulf War Air Power SurveyVol. 1: Planning (Washington, DC, U.S. Government Printing Office, 1993), 155.

31Robert A. Pape, Bombing to Win: Air Power and Coercion in War (Ithaca, NY: Cornell University Press, 1996), 211–53; Press, “The Myth of Air Power.”

32For an overview of these events and the myths that surround them, see Fanar Haddad, Sectarianism in Iraq: Antagonistic Visions of Unity (London: Hurst & Company, 2011), 13, 65–84, 117–32; Khoury, Iraq in Wartime, 135–36; Charles Tripp, A History of Iraq (Cambridge, UK: Cambridge University Press, 2002), 264–71; and Helfont, Compulsion in Religion, 121–24.

33Scott Peterson, “Kurds Say Iraq’s Attacks Serve as a Warning,” Christian Science Monitor, May 13, 2002, https://www.csmonitor.com/2002/0513/p08s01-wome.html.

34“Report to the Secretary-General on Humanitarian Needs in Kuwait and Iraq in the Immediate Post-Crisis Environment by a Mission to the Area Led by Mr. Martti Ahtisaari, Under-Secretary-General for Administration and Management,” in The United Nations and the Iraq-Kuwait Conflict 1990-1996, ed. Boutros Boutros-Ghali, March 20, 1991, 187.

35“Harvard Study Team Report: Public Health in Iraq After the Gulf War,” Harvey Study Team, Harvard University, May 1991, BRCC, 2749_0000, 0311–88. Quote found on page 312.

36Paul Lewis, “After the War; U.N. Survey Calls Iraq’s War Damage Near-Apocalyptic,” New York Times, March 22, 1991, https://www.nytimes.com/1991/03/22/world/after-the-war-un-survey-calls-iraq-s-war-damage-near-apocalyptic.html; and Barton Gellman, “Allied Air War Struck Broadly in Iraq,” Washington Post, June 23, 1991, https://www.washingtonpost.com/archive/politics/1991/06/23/allied-air-war-struck-broadly-in-iraq/e469877b-b1c1-44a9-bfe7-084da4e38e41/.

37Lewis, “After the War.”

38Gellman, “Allied Air War Struck Broadly in Iraq.”

39Cochran et al., Gulf War Air Power Survey, Vol. 1, 94.

40For a discussion of alternative plans, see Thomas G. Mahnken, “A Squandered Opportunity? The Decision to End the Gulf War,” in The Gulf War of 1991 Reconsidered, eds. Andrew J. Bacevich and Efraim Inbar (New York: Routledge, 2003), 121­–48.

41“Provisional Record of the 2995th Meeting, U.N. Security Council,” UNSC Records, S/PV.2995, June 26, 1991, https://undocs.org/en/S/PV.2995.

42Lewis, “After the War.”

43“Provisional Record of the 2981st Meeting, U.N. Security Council,” 93.

44George H. W. Bush, National Security Directive 54, The White House, Jan. 15, 1991, George H. W Bush Presidential Library and Museum, https://bush41library.tamu.edu/files/nsd/nsd54.pdf.

45“Oral History: Richard Cheney,” PBS Frontline, January 1996, https://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/gulf/oral/cheney/1.html. For analysis, see Donald Stoker, Why America Loses Wars: Limited War and US Strategy from the Korean War to the Present (New York: Cambridge University Press, 2019), 195–96.

46James Gerstenzang, “Bush Airs Thoughts on End of Gulf War,” Los Angeles Times, Jan. 15, 1996, https://www.latimes.com/archives/la-xpm-1996-01-15-mn-24868-story.html; and Bush and Scowcroft, A World Transformed, 487. For analysis of unclear objectives in the war, see Stoker, Why America Loses Wars, 195–96.

47Meir Litvak, “Iraq (Al-Jumhuriyya al-‘Iraqiyya),” in Middle East Contemporary Survey XV: 1991, ed. Ami Ayalon (Boulder CO: Westview Press, 1993), 440–41.

48“Provisional Record of the 2995th Meeting, U.N. Security Council;” “Provisional Record of the 3004th Meeting, U.N. Security Council,” UNSC Records, S/PV 3004, Aug. 15, 1991, https://undocs.org/en/S/PV.3004; and Litvak, “Iraq (Al-Jumhuriyya al- ‘Iraqiyya),” 440–41.

49“Report to the Secretary-General Dated 15 July 1991 on Humanitarian Needs in Iraq Prepared by Mission Led by

Sadruddin Aga Khan, Executive Delegate of the Secretary General,” United Nations, July 15, 1991, 11, https://digitallibrary.un.org/record/162775?ln=en.

50“Report to the Secretary-General Dated 15 July 1991,” 13.

51“Report to the Secretary-General Dated 15 July 1991,” 12.

52“Report to the Secretary-General Dated 15 July 1991,” 13.

53“Report to the Secretary-General Dated 15 July 1991,” 15.

54“Report to the Secretary-General Dated 15 July 1991,” 15.

55“Report to the Secretary-General Dated 15 July 1991,” 16.

56“Report to the Secretary-General Dated 15 July 1991,” 17.

57“Report to the Secretary-General Dated 15 July 1991,” 16.

58“Provisional Record of the 3004th Meeting, U.N. Security Council,” 98.

59“Provisional Record of the 3004th Meeting, U.N. Security Council,” 81.

60See David M. Malone, The International Struggle Over Iraq: Politics in the UN Security Council, 1980–2005 (Oxford: Oxford University Press, 2006), 114-6; Litvak, “Iraq (Al-Jumhuriyya al-‘Iraqiyya),” 440–41; and “Provisional Record of the 3004th Meeting, U.N. Security Council.”

61“Provisional Record of the 3004th Meeting, U.N. Security Council,” 56, 81–82, 98, 101.

62See for example, Boutros Boutros-Ghali, “Document 77. Letter to Jose Luis Jesus, President of the Security Council,” July 15, 1992, in The Papers of United Nations Secretary-General Boutros Boutros-Ghali, vol. 1, ed. Charles Hill, (New Haven: Yale University Press, 2003), 173–76; and Boutros Boutros-Ghali, “Document 88. Letter to Tariq Aziz, Deputy Prime Minister, Republic of Iraq,” Aug. 4, 1992, in The Papers of United Nations Secretary-General Boutros Boutros-Ghali, vol. 1, 193–94.

63See Tim Dyson, “New Evidence on Child Mortality in Iraq,” Economic and Political Weekly 44, no. 2 (2009): 56–59, https://www.jstor.org/stable/40278386.

64Kevin M. Woods and Mark E. Stout, “Saddam’s Perceptions and Misperceptions: The Case of ‘Desert Storm,’” Journal of Strategic Studies, 33, no. 1 (2010): 25–26, https://doi.org/10.1080/01402391003603433.

65“Saddam and Senior Advisers Discuss Clinton’s Desire for Talks with Iraq and Impediments to Improved Relations, January 13, 1993,” in The Saddam Tapes, 44–45; “برقية جفرية” [Cable], Cable from the Secretary General of the Branch of the Bureau of Iraqis Outside the Region to the Regional Command of Iraq/Office of the Secretariat of the Region, BRCC, 033-4-2, Nov. 23, 1992, 766.

66For example, see “No Subject,” Memo from Member of the Branch of the Bureau of Iraqis Outside the Region to the Secretary General of the Branch Command, BRCC, 2721_0000, Nov. 25, 1992, 307. Tariq Aziz made a similar recommendation in a meeting with Saddam. See “Saddam and Top-Level Ba’ath Officials Discuss the Causes and Consequences of Clinton’s Election Victory and Potential for Improved Relations, circa November 4th, 1992,” in The Saddam Tapes, 41.

67“برقية جفرية” [Cable], Cable from the Secretary General of the Branch of the Bureau of Iraqis Outside the Region to the Regional Command of Iraq/Office of the Secretariat of the Region, BRCC, 033-4-2, Dec. 19, 1992, 717.

68“برقية جفرية” [Cable], Cable from the Secretary General of the Branch of the Bureau of Iraqis Outside the Region to the Regional Command of Iraq/Office of the Secretariat of the Region,” BRCC, 2721_0000, Nov. 25, 1992, 130.

69“Q&A: Oil-for-Food Scandal,” BBC, Sept. 7, 2005, http://news.bbc.co.uk/2/hi/4232629.stm.

70“Saddam and His Advisers Discuss the Decline of the United States and the Possibility of Rapprochement with the Incoming Clinton Administration, circa January 14, 1993,” in The Saddam Tapes, 47–50.

71“مقترحات” [Recommendations], Memo from the Secretary General of the Branch of the Bureau of Iraqis Outside the Region to the Regional Command of Iraq/Office of the Secretary General of the Region,” BRCC, 3187_0001, Feb. 10, 1993, 484–87.

72Ofra Bengio, “Iraq (Jumhuriyyat al-‘Iraq),” Middle East Contemporary Survey XIX: 1995, ed. Bruce Maddy-Weitzman (Boulder CO: Westview Press, 1997), 221­–22.

73“مقترحات” [Recommendations], BRCC, 3187_0001, Feb. 10, 1993, 484–87.

74“مقترحات” [Recommendations], Memo from the Director General of the Office of the Secretariat of the Region to the Branch Command of the Bureau of Iraqis Outside the Region, BRCC, 3187_0001, Feb. 18, 1993, 473.

75“Saddam and Top-Level Ba’ath Officials Discuss the Causes and Consequences of Clinton’s Election Victory,” 44.

76Bengio, “Iraq (Jumhuriyyat al-‘Iraq),” 221.

77Christopher, In the Stream of History, 11, 28.

78Kenneth M. Pollack, The Threatening Storm: The Case for Invading Iraq (New York: Random House, 2002), 56.

79“Points to Be Made on Iraq,” Oct. 11, 1994, Clinton – Iraq/Haiti Insert 10/13/94 for National Association of Broadcasters, Clinton Library, 13, https://clinton.presidentiallibraries.us/items/show/9074.

80David Ignatius, “The CIA and the Coup that Wasn’t,” Washington Post, May 16, 2003, https://www.washingtonpost.com/archive/opinions/2003/05/16/the-cia-and-the-coup-that-wasnt/0abfb8fa-61e9-4159-a885-89b8c476b188/.

81Marc Trachtenberg, “History Teaches,” Yale Journal of International Affairs 7, no. 2 (September 2012): endnote 16,32, https://www.yalejournal.org/publications/history-teaches-by-marc-trachtenberg; and David M. Malone, The International Struggle Over Iraq: Politics in the UN Security Council, 1980–2005 (Oxford: Oxford University Press, 2006), 121.

82Iraqi Liberation Act of 1998, Public Law 105–338, Oct. 31, 1998, https://www.govinfo.gov/content/pkg/PLAW-105publ338/pdf/PLAW-105publ338.pdf.

83Trachtenberg, “History Teaches,” endnote 16, 32; and Comprehensive Report of the Special Advisor to the DCI on Iraq’s WMD, September 2004, vol. 1, 61.

84Muhammad al Mashat, كنت سفيرا للعراق في واشنطن: حكايتي مع صدام في غزو الكويت [I was Iraq’s Ambassador in Washington: My story with Saddam during the invasion of Kuwait] (Beirut: The Iraqi Institute for Research and Publishing, 2008).

85For example, see, “هروب السفير من تونس الى لندن” [The Fleeing of the Ambassador from Tunis to London], Memo from the Secretary General of the Branch of the Bureau of Iraqis Outside the Region to the Regional Command/Office of the Secretariat of the Region, BRCC 039-4-1, Aug. 15, 1993, 318–19; and Wafiq al -Samarra’i, “طام البوابة الشرقية” [Wreckage of the Eastern Gate] (Kuwait: Al Qabas, 1997).

86Nuha al Radi, Baghdad Diaries: A Woman’s Chronicle of War and Exile (New York: Vintage, 2003), 29.

87al Radi, Baghdad Diaries, 31.

88Gordan and Trainor, The General’s War, 326.

89“Saddam Appraises American and International Reactions to the Invasion of Kuwait,” Aug. 7, 1990, in The Saddam Tapes, 176.

90Author interview with Jon Alpert by phone, April 19, 2017.

91“النظام الدولي الجديد و كارثة اطفال العراق” [The New World Order and the Disaster of the Iraqi Children], BRCC, 2749_0000, 1991, 656–67.

92See various files in, BRCC, 2749_0000, 1991.

93“جمعيات وشخصيات” [Associations and People], Memo from the Deputy Prime Minister, Tariq Aziz, to the Regional Command/Office of the Secretariat of the Region, BRCC, 3203_0003, Dec. 22, 1991, 355–56.

94“برقية جفرية” [Cable], BRCC, 033-4-2, Nov. 23, 1992, 766. For an overview of the Iraqi Baath Party’s structure outside Iraq, see Samuel Helfont, “Authoritarianism Beyond Borders: The Iraqi Ba’th Party as a Transnational Actor,” Middle East Journal 72, no. 2 (Spring 2018): 229–45, https://doi-org/10.3751/72.2.13.

95Kevin M. Woods et al., Saddam and Terrorism: Emerging Insights from Captured Iraqi Documents Vol. 1, Iraqi Perspectives Project, Institute for Defense Analysis, 2007.

96“محضر اجتماع هيأع مكتب الامانة العامة” [Proceedings of the Meeting of the General Secretariat Group], BRCC, 026-5-5, Feb. 15, 1989, 207.

97The Baath Party archives contain thousands of pages on the party’s influence operations in the 1990s and early 2000s. In addition to sources cited above and below, see the following for a small sampling: “مقترح” [Recommendation], Memo from the Director of the Office of the Secretariat of the Region to the Presidential Diwan, BRCC, 2837_0002, April 1992, 585; “برنامج عمل” [Work Plan], Memo from the Secretary General of the Central Office of Students and Youth to the Office of the Secretariat of the Region, BRCC, 2749_0000, Dec. 22, 1991, 567–73; and “نشاطات” [Activities], Memo from the Assistant to the Secretary General of the Founding Leader Branch Command to the Regional Command of Iraq/Office of the Secretariat of the Region, BRCC, 2099_0003, Feb. 24, 1999, 505.

98“جمعيات وشخصيات” [Associations and People], BRCC, 3203_0003, Dec. 22, 1991, 355–56.

99“Provisional Record of the 2981st Meeting, U.N. Security Council,” 93; and Boutros-Ghali, “Introduction,” 33–34.

100“اجابة الرئس الامريكي وزوجته” [Answer from the American President and His Wife], Memo from the General Secretary of the Branch of the Bureau of Iraqis Outside the Region to the Iraqi Regional Command/Office of the Secretariat of the Region, BRCC, 2847_0002, July 7, 1994, 589–91.

101“اجابة الرئس الفرنسي” [Answer from the French President], Memo from the General Manager of the Office of the Secretariat of the Region to the Presidency of the Republic – the Secretary, BRCC, 2847_0002, Aug. 10, 1994, 573–79.

102“Cable: Presidential Call to PM Balladur,” Cable from the American Embassy, Paris, to the Secretary of State, Washington, D.C., Declassified Documents Concerning Rwanda, Clinton Library, 62–63, https://clinton.presidentiallibraries.us/items/show/47967.

103“Telcon with President Chirac of France,” Memorandum of Telephone Conversation Between the President and French President Jacques Chirac, Nov. 4, 1998, Declassified Documents Concerning Iraq, Clinton Library, 17–18, https://clinton.presidentiallibraries.us/items/show/16192.

104Paul A. Volcker, Richard J. Goldstone, and Mark Pieth, Independent Inquiry into the United Nations Oil-For-Food Programme: Manipulation of the Oil-For-Food Programme by the Iraqi Regime, Oct. 27, 2005, 47–78.

105Frédéric Bozo, “‘We Don’t Need You’: France, the United States, and Iraq, 1991–2003,” Diplomatic History 41, no. 1 (January 2017): 188, https://doi.org/10.1093/dh/dhw011.

106Paul K. White, “Crises After the Storm: An Appraisal of U.S. Air Operations in Iraq since the Persian Gulf War,” The Washington Institute for Near East Policy, Military Research Papers, no. 2 (1999): 41–47.

107“تقرير” [Report], Memo from Secretary General of the Central Office of Students and Youth to the Office of the Secretariat of the Region, BRCC, 2699_0000, July 3, 2001, 325–33.

108Bozo, “‘We Don’t Need You,’” 192.

109“التقرير السياسي السنوي لعام 1992” [The Annual Political Report for the Year 1992], Report from the Ambassador (to Russia) to the Foreign Ministry/Third Political Department, BRCC, 033-4-2, Jan. 1, 1993, 663–65. Quote on page 663.

110“التقرير السياسي السنوي لعام 1992” [The Annual Political Report for the Year 1992], Jan. 1, 1993, 664.

111For example, see “Letter from the Representatives of Iraq and of the Russian Federation Transmitting the Text of a Joint Communique Containing Iraq’s Announcement that It Had Withdrawn Its Troops to Rearguard Positions on 12 October 1994. S/1994/1173, 15 October 1994,” in The United Nations and the Iraq-Kuwait Conflict 1990-1996, ed. Boutros-Ghali, 695.

112Volcker, Goldstone, and Pieth, Independent Inquiry into the United Nations Oil-For-Food Programme, 22–46.

113“Provisional Record of the 3519th Meeting, U.N. Security Council,” UNSC Records, S/PV.3519, April 14, 1995, 14, https://undocs.org/en/S/PV.3519.

114See, for example, “Russia’s Yugoslav Policy Reaching Critical Juncture,” Intelligence Memorandum, Office of Slavic and Eurasian Analysis, Jan. 27, 1993, 1993-01-27B, Office of Slavic and Eurasian Analysis re Moscow’s Yugoslav Policy Reaching Critical Juncture, 4, Clinton Library, https://clinton.presidentiallibraries.us/items/show/12302; “Memorandum of Telephone Conversation,” Conversation Between President Clinton and President Jacques Chirac, Dec. 17, 1998, Declassified Documents Concerning Iraq, Clinton Library, 53–56, https://clinton.presidentiallibraries.us/items/show/16192; and “Meeting with Prime Minister John Major of Great Britain,” Memorandum for the President from Clifton Wharton, Jr., Feb. 18, 1993, Declassified Documents Concerning John Major, Clinton Library, 43, https://clinton.presidentiallibraries.us/items/show/36622.

115“نشاطات” [Activities], Memo from the Assistant to the Secretary General of the Founding Leader Branch Command to the Regional Command of Iraq/Office of the Secretariat of the Region, BRCC, 2099_0003, Feb. 24, 1999, 505.

116“Memorandum of Telephone Conversation,” Conversation Between the President and Prime Minister Tony Blair of the United Kingdom, Dec. 18, 1998, Declassified Documents Concerning Iraq, Clinton Library, 57–59, https://clinton.presidentiallibraries.us/items/show/16192.

117“Serbia and the Russian Problem,” Memorandum for the Acting Director for Central Intelligence from Roger Z. George and George Kolt, Jan. 25, 1993, 1993-01-25, NIC Memo re Serbia and the Russian Problem, Clinton Library, 4, https://clinton.presidentiallibraries.us/items/show/12300; and “Russia’s Yugoslav Policy Reaching Critical Juncture,” 2–4.

118White, “Crises After the Storm,” 51–64.

119Ian Jeffries, The New Russia: A Handbook of Economic and Political Developments (New York: Routledge, 2013), 587.

120“Memorandum of Telephone Conversation,” Conversation Between President Clinton and President Boris Yeltsin, Dec. 30, 1998, Declassified Documents Concerning Iraq, Clinton Library, 72–76, https://clinton.presidentiallibraries.us/items/show/16192.

121Samuel Helfont, “Saddam and the Islamists: The Ba’thist Regime’s Instrumentalization of Religion in Foreign Affairs,” Middle East Journal 68, no. 3, (Summer 2014): 361–65, https://www.jstor.org/stable/43698590.

122“Correspondence from the General Secretariat of the Popular Islamic Conference Organization Regarding Nominating Students for Higher Studies in the Baghdad Islamic Universities,” CRRC, SH-MISC-D-001-443, 2002.

123“Iraqi Efforts to Cooperate with Saudi Opposition Groups and Individuals,” CRRC, SHMISC-D-000-503, 1997.

124Madeleine Albright, Madam Secretary: A Memoir (New York: HarperCollins, 2013), 280.

125White, “Crises After the Storm,” 40.

126Conduct of the Persian Gulf War: Final Report to Congress, Department of Defense, April 1992, 38, https://apps.dtic.mil/dtic/tr/fulltext/u2/a249270.pdf; and “Operation Desert Shield/Desert Storm,” United States Central Command, The National Security Archive, July 11, 1991.

127Williamson Murray et al., Gulf War Air Power Survey, Vol. 2: Operations and Effectiveness (Washington, DC, U.S. Government Printing Office, 1993), 304–8.

128Gulf War Air Power Survey, Vol. 1, 94.

129Madeleine Albright, “Punishing Saddam,” Interview with Lesley Stahl, 60 Minutes, CBS, May 12, 1996. A clip of the exchange can be seen on YouTube at https://www.youtube.com/watch?v=FbIX1CP9qr4.

130Albright, Madam Secretary, 276.

131“جمعيات وشخصيات” [Associations and People], Memo from the Official of the Branch of the Bureau of Iraqis Outside the Region to the Regional Command/ Office of the Secretariat of the Region, BRCC, 3203_0003, Dec. 16, 1991, 360–61.

132“Untitled Letter,” Letter from Ramsey Clark, Jon Alpert, Maryanne De Leo, and Abdul Kadir Al Kaysi on behalf of HBO to Saddam Hussein, BRCC, 033-4-2, January 1993, 557.

133For example, “Untitled Memo,” Memo from a Member of the Branch, Official of the Territory to an Official of the Branch (of the Bureau of Iraqis Outside the Region), BRCC, 3835_0000, March 7, 1992, 273.

134“لجنة انقاذ اطفال العراق” [Committee to Save the Children of Iraq], Memo from Official of the Organization of Iraqis in America to the Regional Command of Iraq – Branch of the Bureau of Iraqis Outside the Region, BRCC, 2837_0002, April 22, 1992, 288–89.

135Nadine Brozan, “Chronicle,” New York Times, Oct. 4, 1993, https://www.nytimes.com/1993/10/04/nyregion/chronicle-513793.html?auth=link-dismiss-google1tap.

136“Ministerial Order,” CRRC, SH-MISC-D-001-446, November 1994; “‘Islamic Popular Conference’ Issues Final Statement,” Iraqi News Agency, Sept. 16, 1999, Foreign Broadcast Information Service; and “Awqaf Minister Meets with Farrakhan,” Iraqi News Agency, Feb. 15, 1996, Foreign Broadcast Information Service.

137For a transcript, see Madeleine K. Albright, William S. Cohen, and Samuel R. Berger, “Remarks at Town Hall Meeting,” Ohio State University, Columbus, OH, Feb. 18, 1998, U.S. Department of State Archive, https://1997-2001.state.gov/www/statements/1998/980218.html.

138Rovner, “Delusion of Defeat”; and George A. Lopez and David Cortright, “Containing Iraq: Sanctions Worked,”

Foreign Affairs 83, no. 4 (July/August 2004): 90–103, https://www.foreignaffairs.com/articles/iraq/2004-07-01/containing-iraq-sanctions-worked.

139“Misreading Intentions: Iraq’s Reaction to Inspections Created Picture of Deception,” Central Intelligence Agency, Jan. 5, 2006, 16, accessed Jan. 28, 2021, at National Security Archive, https://nsarchive2.gwu.edu/NSAEBB/NSAEBB418/; Målfrid Braut-Hegghammer, “Cheater’s Dilemma: Iraq, Weapons of Mass Destruction, and the Path to War,” International Security 45, no. 1 (Summer 2020), 51–89, https://doi.org/10.1162/isec_a_00382; and Gregory D. Koblentz, “Saddam Versus the Inspectors: The Impact of Regime Security on the Verification of Iraq’s WMD Disarmament,” Journal of Strategic Studies 41, no. 3 (2018), 372–409, https://doi.org/10.1080/01402390.2016.1224764.

140“Iraq: Continuing Erosion of Sanctions,” JIC Assessment, July 25, 2001, National Archives of the United Kingdom, https://webarchive.nationalarchives.gov.uk/20171123124012/http:/www.iraqinquiry.org.uk/media/203196/2001-07-25-jic-assessment-iraq-continuing-erosion-of-sanctions.pdf

141“Saddam’s Iraq: Sanctions and U.S. Policy,” Hearing Before the Subcommittee on Near Eastern and

South Asian Affairs of the Committee on Foreign Relations, United States Senate, 106th Congress, 2nd Session, March 22, 2000, 5, https://www.govinfo.gov/content/pkg/CHRG-106shrg67659/html/CHRG-106shrg67659.htm.

142“Saddam’s Iraq: Sanctions and U.S. Policy,” 19.

143Melvyn P. Leffler, “Foreign Policies of the George W. Bush Administration: Memoirs, History, Legacy,” Diplomatic History 37, no. 2. (April 2013): 190–216, https://doi.org/10.1093/dh/dht013.

144Albright, Madam Secretary, 274–89.

145Bush, “Address Before a Joint Session of Congress.”

146Litvak, “Iraq (Al-Jumhuriyya al-‘Iraqiyya),” 440–41.

147This puzzle of the international order being less robust than predicted was laid out in the new, 2019 preface to G. John Ikenberry, After Victory: Institutions, Strategic Restraint, and the Rebuilding of Order After Major Wars (Princeton, NJ: Princeton University Press, 2019), xvi–xix.

148Condoleezza Rice, No Higher Honor: A Memoir of My Years in Washington (New York: Crown Publishing, 2011), 187.

149Sean D. Murphy, “Assessing the Legality of Invading Iraq,” George Washington University Law School Scholarly Commons (2004), 4–6, https://scholarship.law.gwu.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1898&context=faculty_publications.

150On the rise and enduring legacy of insurgencies in Iraq, see Helfont, Compulsion in Religion, 205–33.

 

 

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Photo : 4 F-111 lors de la campagne aérienne de 1991. (c) Nasa

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La Texas National Security Review est éditée par l'université du Texas en partenariat avec le site War on the Rocks. Elle analyse les questions de sécurité et de politique étrangère.
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