<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Chronologie d’une dérive budgétaire

11 janvier 2025

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Chronologie d’une dérive budgétaire

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Adopté in extremis par l’Assemblée nationale le 4 décembre 2024, quelques heures seulement avant que le gouvernement de Michel Barnier ne soit renversé par l’adoption d’une motion de censure, le projet de loi de finances de fin de gestion a établi un déficit public à 6,1 % du PIB pour 2024, soit un niveau jamais atteint hors période de crise.

Sous la Ve République, des niveaux plus élevés ont rarement été enregistrés : tel fut le cas uniquement lors de la récession de 1993 (6,4 %), au lendemain de la crise financière de 2008 (7,4 % en 2009 et 7,2 % en 2010), et, enfin, lors de la crise sanitaire due au Covid-19 (8,9 % en 2020 et 6,6 % en 2021). Or, aucune crise comparable ne justifie le déficit public des années 2023 (154 Md €) et 2024 (178 Md €), qui aura bien plus que doublé depuis 2017 (77 Md €) et l’élection du président Macron.

Les prévisions de déficit public pour 2023 et 2024 n’ont eu de cesse de se dégrader à compter de l’adoption du projet de loi de finances pour 2024, s’éloignant très tôt de la cible d’un déficit de 4,4 % prévue par la loi de programmation des finances publiques pour 2023-2027 et par la loi de finances pour 2024 elle-même. Comment expliquer l’ampleur de l’écart entre les prévisions et l’exécution, alors même que le niveau de croissance du PIB en 2023 s’est avéré proche (+ 0,9 %) de celui attendu (+ 1 %) ?

L’explication tient essentiellement à des erreurs dans les prévisions de recettes. À politique fiscale inchangée, un même niveau de croissance peut, il est vrai, affecter différemment le déficit public, ne serait-ce que parce que les prélèvements obligatoires n’ont pas toujours la même élasticité, c’est-à-dire qu’ils ne réagissent pas avec la même intensité à la croissance du PIB. Tandis qu’elle est en moyenne de 1, l’élasticité des prélèvements obligatoires au PIB a atteint en 2023 le niveau étonnamment bas de 0,4. Les recettes fiscales ont ainsi toutes été inférieures aux prévisions gouvernementales, trop imprudentes et mal documentées. Ainsi, en matière d’impôt sur les sociétés (IS), dont on sait les recettes délicates à prévoir en raison du cinquième acompte. Pourtant, dès le programme de stabilité transmis à la Commission européenne au mois d’avril, et sans fournir la moindre explication, le gouvernement relevait de 12 Md € l’estimation du produit d’IS arrêtée quatre mois plus tôt en loi de finances. 12 Md € : soit exactement le chiffrage du produit initialement attendu de la contribution sur la rente infra-marginale d’électricité (CRIM), et qui n’a finalement rapporté que… 600 M €, soit un trou de 95 % !

Cette forte dégradation du déficit pour 2023 a eu, en raison d’un effet base, un fort impact sur l’année 2024. Cet effet base explique en large part la dégradation progressive de la prévision de déficit tout au long de l’année, passant de 4,4 à 5,1 %, puis à 5,7 % et enfin à 6,1 %. Le gouvernement a cependant réagi trop tard, et a fait trop peu pour rectifier le tir, procrastinant – élections européennes obligent – en dépit des alertes répétées de son administration[1]. La dégradation de la notation de la France par Standard & Poor’s, le 31 mai 2024, fut largement motivée par le dérapage budgétaire de l’année 2023 et son effet en cascade sur la trajectoire de nos finances publiques.

Côté dépenses, les mesures prises à hauteur de 6 Md € fin 2023 auront relevé d’économies de pure constatation ou d’un simple décalage d’un exercice budgétaire à l’autre. Le gouvernement a certes décalé, entre autres mesures, 1,6 Md € de dépenses de la mission défense vers 2024. Les reports de crédits ont autrement dit servi à transférer du déficit d’une année à l’autre. À cette mauvaise gestion budgétaire s’est ajoutée une absence de cap, la loi de finances initiale pour 2024 ayant prévu des augmentations de crédits pour l’ensemble des ministères. Avant que, en urgence et en contournant le Parlement, le gouvernement n’annule plus de 10 Md € de crédits budgétaires par un décret du 21 février 2024, quelques semaines seulement après la promulgation de la loi de finances.

[1] Voir les nouvelles conclusions du 19 novembre 2024 de la mission d’information sénatoriale sur la dégradation des finances publiques : « Octobre 2023-septembre 2024 : une irresponsabilité budgétaire assumée, un Parlement ignoré ».

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À propos de l’auteur
Victor Fouquet

Victor Fouquet

Doctorant en droit fiscal. Chargé d’enseignement à Paris I Panthéon-Sorbonne. Il travaille sur la fiscalité et les politiques fiscales en France et en Europe.

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