<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Le modèle chinois à la croisée des chemins

8 septembre 2020

Temps de lecture : 6 minutes

Photo : Policiers chinois à Hong Kong en juillet 2020 (c) Vincent Yu/AP/SIPA;

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Le modèle chinois à la croisée des chemins

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Superpuissance en devenir, la Chine affirme avec toujours plus d’assurance la viabilité et la pérennité de son modèle politique et socio-économique. « Nous pensons que c’est la seule solution pour que le monde soit meilleur qu’avant », assénait fin avril 2020, Lu Shaye, ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de la République populaire de Chine en France et à Monaco. Mais ce modèle est-il susceptible d’être remis en question dans le contexte actuel ?

Par Laurent Gayard et Waldemar Brun-Theremin

Sur le plan politique, la Chine est toujours une dictature. C’est sa constitution qui le proclame : « La République populaire de Chine est un État socialiste de dictature du prolétariat, dirigé par la classe ouvrière et basé sur l’alliance des ouvriers et des paysans. » À la tête de ce petit groupe qui chapeaute le « centralisme démocratique » chinois et décide du sort de 1 milliard 411 millions d’habitants, il y a bien sûr le président Xi Xinping, assisté de Li Keqiang, Premier ministre depuis 2013. On y trouve aussi Li Zhanshu, président du Comité permanent de l’Assemblée nationale populaire et fidèle de longue date de Xi Xinping, ainsi que Wang Yang, chef de file du courant « libéral » et plus favorable au développement du secteur privé, et Han Zheng, ancien maire de Shanghai. Deux figures très opposées complètent encore ce groupe : Wang Hunning, anglophone, francophone, chef de la « Commission centrale pour la construction d’une civilisation spirituelle du Parti communiste chinois » depuis 2017, subtil et discret artisan de la diplomatie des « Loups combattants » que pratique Pékin de façon beaucoup plus agressive ces dernières années, et enfin Zhao Leji, chef du très craint Comité central pour l’inspection disciplinaire du parti.

L’Assemblée nationale populaire, la plus grande législature du monde qui réunit 2 980 représentants dans sa composition actuelle, ne se réunit qu’une fois par an, en mars, pour une dizaine de jours, dans le Palais de l’assemblée du peuple à Pékin. Au sein des 2 980 parlementaires, on compte 2 119 députés du PCC et 861 députés sans étiquette ou représentants des huit partis autorisés en Chine en plus du Parti communiste, qui doivent soumettre leur activité politique à l’examen sourcilleux du Comité central pour l’inspection disciplinaire du PCC. Ces partis représentent aussi bien une forme d’opposition intellectuelle contrôlée par le pouvoir que les intérêts de catégories bien précises de la population, par exemple l’Association pour la construction démocratique de Chine, dont les membres sont des entrepreneurs du secteur de la fabrication, de la finance, ou des industries commerciales dans les secteurs privés et publics.

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Deng Xiaoping avait prudemment et discrètement favorisé, au début des années 1980, une forme de retour de la propriété privée dans l’agriculture et l’industrie et subtilement reprécisé en 1982 le cadre constitutionnel permettant « la transformation socialiste de la propriété privée des moyens de production ». Jiang Zemin, son successeur, secrétaire général du PCC de 1989 à 2002 et président de la République populaire de Chine de 1993 à 2003 formula, au tournant du xxie siècle, le principe des « Trois Représentations » : maintenir la dictature démocratique populaire, poursuivre dans une politique de réforme et d’ouverture sur le monde extérieur et développer l’économie socialiste de marché. Les « Trois Représentations » avaient, selon la formulation officielle, pour but de « rassembler toutes les forces progressistes », ce qui signifiaient plus prosaïquement d’intégrer les élites économiques, que la libéralisation de Deng avait fait émerger, à l’appareil politique du PCC. Cette politique d’intégration politique du secteur privé en pleine croissance s’est poursuivie et a continué à s’inscrire dans la constitution. Un amendement de 2004 a réintroduit de manière plus claire encore les termes tabous dans la constitution : « La propriété privée légalement acquise est inviolable. »

Guerre commerciale et stratégie économique

Le secteur privé a de plus en plus de poids, en témoigne la montée en puissance de géants tels qu’Alibaba, mais n’échappe pourtant pas au contrôle de l’État qui, comme le précise la constitution, « réalise les ajustements et les contrôles macro-économiques ». Mais la politique d’expansion, résumée par le mot d’ordre « sortir de la Chine » (ZǒuChūQù) officiellement prononcée pour la première fois par Jiang Zemin en 1999, expose désormais beaucoup plus l’économie chinoise, comme en témoignent les tensions actuelles. On a vu ainsi les BATX, ainsi qu’un grand nombre d’entreprises de moindre taille, qui ont favorisé une politique de cotation sur la Bourse américaine, se replier aujourd’hui vers la Bourse de Hong Kong, à l’image d’Alibaba en novembre 2019 ou de JD.com, autre géant du commerce en ligne, en juin 2020. Depuis la réforme des critères de cotation de la Bourse de Hong Kong en avril 2018, 84 entreprises de la nouvelle économie y ont levé plus de 35 milliards d’euros.

La guerre commerciale avec les États-Unis et les tensions entraînées par la crise du Covid-19 ne semblent cependant pas freiner la politique d’investissements extérieurs, accélérée par le lancement en 2013 de la Belt and Road Initiative. Les investissements réalisés pour financer le projet des nouvelles routes de la soie ou la construction d’infrastructures portuaires, ferroviaires, routières ou d’acheminement énergétique un peu partout en Asie depuis le début des années 2000, atteindraient aujourd’hui la somme faramineuse de 2 000 milliards de dollars. La Chine investit notamment de plus en plus sur le continent africain, mais l’enlisement de la croissance africaine menace l’expansion économique chinoise sur ce continent. Pékin tente de se donner une image généreuse en appelant à des allègements de la dette africaine, mais n’hésite pas à exercer les clauses des contrats de prêts, récupérant ainsi à la hâte des participations dans les infrastructures africaines.

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Cette expansion est bien sûr aussi militaire, comme en témoigne l’édification d’une immense base militaire chinoise à Djibouti, aux côtés des bases française ou américaine, pour surveiller le détroit stratégique de Bab el-Mandeb et le golfe d’Aden, ou la construction du port militaire de Gwadar au Pakistan, et elle suscite en premier lieu l’inquiétude de la puissance américaine. À la fin du mois de mai 2020, la marine chinoise dépêchait ses deux porte-avions, le Liaoning et le Shandong en mer de Chine, au large des îlots Pratas, contrôlés par la Chine, face au détroit de Taïwan. « Le risque d’une confrontation militaire entre Pékin et Washington pourrait très largement s’accroître dans les dix-huit prochains mois », notait le Council on Foreign Relations. Dans une récente interview, l’ex-conseiller de Donald Trump à la Maison-Blanche, le bouillant Steve Bannon, estimait même qu’une confrontation directe entre Pékin et Washington sur le plan militaire était inévitable. « Richard Haas et tout l’establishment affirment : “Nous ne pouvons pas nous engager dans une guerre froide. Nous sommes au-delà d’une guerre froide. Nous sommes dans une guerre chaude”. »

Tous les arguments ne plaident cependant pas en faveur de cette hypothèse. En premier lieu parce que l’expansion de la Chine a entraîné ses voisins en Asie et dans le Pacifique dans une véritable course aux armements, afin de moderniser et renforcer leurs capacités d’interdiction de territoire face aux appétits de Pékin, remettant en cause les ambitions chinoises en Asie, en particulier en ce qui concerne l’île de Taïwan. Cette incertitude est révélée par l’entretien accordé à la fin du mois de mai 2020 par le général Qiao Liang à une revue chinoise basée à Hong Kong, dans lequel le coauteur de La guerre hors limites jugeait la perspective d’une action militaire contre Taïwan encore tout à fait prématurée et dangereuse. « C’est sans aucun doute une bonne chose à faire pour les Chinois de mener à bien la grande cause de la réunification, mais c’est toujours une erreur si la bonne chose est faite au mauvais moment, juge l’ancien général de l’armée de l’air chinoise. Nous ne pouvons pas laisser notre génération commettre le péché d’interrompre le processus de renaissance de la nation chinoise. »

Une confrontation inévitable ?

Ce « processus de renaissance » peut être jugé encore fragile sur le plan économique, menacé par des inégalités très fortes. Selon les propos du Premier ministre Li Kequiang, lors du congrès qui s’est tenu en mai 2020, le revenu annuel disponible par habitant s’élève à 30 000 yuans (3 750 €), mais ce sont 600 millions de Chinois qui vivent avec 1 000 yuans (125 €) par mois. Les entreprises les plus touchées par la crise économique dans le sillage de la crise sanitaire sont les PME qui fournissent 90 % des emplois pour 806 millions de travailleurs fin 2018. Parmi les salariés les plus pauvres figurent les travailleurs migrants pour lesquels la protection sociale reste très faible, celle-ci étant essentiellement prélevée par les administrations régionales et non transférables d’une zone à l’autre. Au total, les dépenses publiques de santé ne représentaient que 2 % du PIB en 2016. Au-delà de l’image d’Épinal du confucianisme, la faiblesse de la protection sociale a pour conséquence une épargne très élevée pour les ménages. Le décollage du taux d’épargne a accompagné l’ouverture du pays mise en œuvre par Deng Xiaoping. De 5 % du revenu disponible dans les années 1970, le taux d’épargne s’affiche à plus de 25 % dans les années 2010.

Le modèle politique de la Chine repose sur un fragile équilibre qui implique le maintien d’une forte croissance économique et la mise en œuvre d’un processus plus large de redistribution des richesses. Sans aller jusqu’à imaginer une confrontation militaire, même locale, avec les États-Unis, dont les conséquences économiques seraient désastreuses pour les deux pays, la simple détérioration des relations économiques et commerciales de la Chine avec ses principaux partenaires mondiaux et notamment occidentaux suffit à rendre plus compliquée pour Pékin l’équation complexe que représente l’alliance entre système politique autoritaire et libéralisation économique. Pour Steve Bannon, il s’agit de l’arme la plus efficace dont les États-Unis disposent contre la Chine : « Coupons-leur tout accès aux capitaux occidentaux. Coupons-leur tout accès à la technologie occidentale. […] Rendons-les misérables. Saisissons leurs avoirs. Commençons à faire ça et ces gars craqueront et le peuple chinois les renversera. » Pas sûr que Donald Trump soit tenté de suivre l’avis radical de son ancien conseiller qui assène pourtant dans The Wire China qu’il est urgent d’agir : « Nous n’avons pas quarante ans. À l’instant présent, nous sommes en 1938. »

À propos de l’auteur
Waldemar Brun-Theremin & Laurent Gayard

Waldemar Brun-Theremin & Laurent Gayard

Laurent Gayard. Docteur en sciences politiques. Auteur de Darknet, Gafa, Bitcoin. L’anonymat est un choix. Waldemar Brun-Theremin. Analyste financier.

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