La Chine de Xi Jinping étonne par la modernité de son système totalitaire. Si l’organisation de la surveillance est à la pointe de la technologie, les principes du pouvoir total datent des temps impériaux. Le Parti, empereur réincarné, connaît les deux outils de domination sur l’empire du Milieu.
La Chine contemporaine n’a pas fait table rase du passé, bien au contraire. Mao lui-même se formait avec l’expérience des empereurs. Son ancien secrétaire, Li Rui, a raconté que le Timonier menait sans cesse des recherches sur les stratégies des empereurs afin de comprendre comment gouverner la Chine.
Le Parti, l’empereur réincarné
Avec le Parti, Mao a réincarné l’empereur. Dans la théologie maoïste, le peuple dirige la Chine, le Parti représente le peuple, donc le Parti dirige l’Empire. Il est au cœur de tout. Xi Jinping observe ces principes de Mao avec quelques évolutions, puisque le peuple est petit à petit écarté du fonctionnement politique. Dans la révision de 2017, au chapitre des principes généraux, Xi Jinping établit que « le Parti exerce un leadership global dans tous les domaines d’activité dans toutes les régions du pays ». David Bandurski remarque la mise à l’écart du terme « réforme politique » au profit de la formule « réforme institutionnelle » lors du 20e Congrès du Parti communiste (octobre 2022). Progressivement, le Parti se détache du peuple pour gagner une posture impériale plus traditionnelle.
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Dans le discours qu’il prononce en 2021 pour le centenaire du Parti communiste, Xi Jinping décrit le présent comme un accomplissement de l’Histoire chinoise. Le Parti, orchestre vital de la Chine accomplie, doit donc être au centre de la vie du Chinois. Il en découle une notion de pureté. Au cours de la même prise de parole, Xi Jinping parle de préserver la « consanguinité spirituelle ». On parle ainsi de « théologie » pour désigner les grands principes politiques du Parti. Le peuple est pur puisque le Parti est pur, et en dehors des frontières de la Chine on trouve les barbares. Celui qui n’est pas dans les idées et les valeurs du Parti doit être écarté, car il est impur, il met en danger le peuple. Xi Jinping parle d’unité du peuple chinois pour constituer une grande muraille. C’est la base théologique du totalitarisme à la chinoise.
Le wu et le wen : les outils du pouvoir total
Dans la tradition politique chinoise, le contrôle « sur les montagnes et les rivières » appartient à celui qui conserve deux outils : le wu (armes, violence) et le wen (langue, culture). Le pouvoir est à celui qui remporte le champ de bataille physique et le domaine culturel. C’est pour cette raison qu’on peut voir le signe zhōng (中) comme l’épée impériale au centre de l’Empire. Cette conception explique l’un des slogans de Xi Jinping, « the party commands the gun », car seul l’empereur peut détenir l’épée.
Xi Jinping va plus loin que la tradition, car il est imprégné du marxisme-léninisme. Dans son Petit cours sur l’histoire des bolcheviks, Staline explique que la voie vers le monde socialiste sera toujours menacée de l’extérieur et toujours obstruée par les ennemis de l’intérieur. On peut étudier ceci à la lumière de la triangulation élucidée par René Girard : plus la voie vers l’utopie socialiste est proche, plus les ennemis se font menaçants de saboter l’utopie, et plus il faut attaquer l’extérieur et purger l’intérieur. Ce triangle est infini. Seules la purge et la guerre permettent au pouvoir de se maintenir.
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Le « grand renouveau » est l’axe politique de Xi Jinping, ce grand renouveau est une révolution permanente, une guerre qui n’a pas de fin contre le libéralisme occidental et les traîtres chinois. Ce grand renouveau infini est l’accomplissement. Une des premières mesures de Xi Jinping a été de « chasser les tigres et écraser les mouches », soit purger le Parti de la corruption, les tigres étant les hauts placés et les mouches, les cadres inférieurs, et d’observer le « No 1 mains » (mise au pas des cadres). Même s’il n’y a rien à purger, ce climat de guerre permanente contre les ennemis de l’intérieur est fondamental pour conserver le pouvoir. Staline écrit « le Parti devient fort en se purgeant lui-même ». Une boucle infinie répète le principe. En 2021, le dirigeant chinois déclarait avoir gagné la guerre contre la corruption, mais qu’il fallait toujours rester vigilant. Le 20e Congrès a montré la maîtrise totale de Xi Jinping sur le Parti en écartant toutes les autres factions, y compris l’ancien leader Hu Jintao. « Le grand renouveau » réclamera toujours des ennemis à abattre en interne pour conserver la solidité du bloc. Le pouvoir est conservé par l’entretien volontaire et infini du complexe obsidional, par la culture du sentiment d’être agressé. L’unité ne peut s’atteindre sans la destruction permanente d’une menace éternelle.
Chine d’aujourd’hui
Le deuxième outil de domination, le wen (langue, culture), est précieusement conservé par le Parti. Staline parlait des artistes et des auteurs comme des « ingénieurs de l’âme humaine ». En Chine, les artistes, les auteurs, les éducateurs, tous sont mobilisés pour le Parti. L’art pour le Beau n’existe pas, il est au service de la politique du PCC. La culture, la langue, ne sert pas à élever, à former ou à persuader. Le wen doit conditionner pour créer un univers clos où la pureté est préservée. L’unité de la masse, selon Staline, est obtenue par un « processus de trempe long ». Les hommes de Mao ont inventé à ce dessein le mot xinao, littéralement « lavage de cerveau ».
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Une phrase de Mao prononcée en 1942 au Forum de Yan’an sur la littérature et l’art est emblématique : « [la littérature et l’art] fonctionnent comme des armes puissantes pour unir et éduquer le peuple et pour attaquer et détruire l’ennemi (…) ».
La Chine contemporaine veille ainsi à sa « sécurité idéologique » depuis 1989. Les dirigeants du Parti détiennent l’épée pour que « les politiciens dirigent les journaux ». Ainsi le wen et le wu sont-ils parfaitement maîtrisés.