<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Chine : les gagnants de la substitution des importations

16 décembre 2024

Temps de lecture : 8 minutes

Photo : Le président chinois Xi Jinping lors du sommet du G20 à Rio de Janeiro, 18 novembre 2024// SIPA_2411182114

Abonnement Conflits

Chine : les gagnants de la substitution des importations

par

La politique industrielle de la Chine est fermement axée sur la substitution des importations : ses objectifs déclarés sont de réduire la dépendance à l’égard des chaînes d’approvisionnement étrangères qui peuvent être perturbées par la géopolitique, et de permettre aux entreprises nationales d’égaler et de dépasser les capacités techniques des producteurs étrangers. Analyse des résultats de cette substitution. 

Article de Tilly Zhang paru dans Gavekal. Traduction de Conflits

Dans certains secteurs clés, l’effort de substitution des importations n’est pas rapidement couronné de succès : les sanctions technologiques imposées par les États-Unis empêchent la Chine d’être à la pointe dans le domaine des semi-conducteurs.

Mais dans un grand nombre d’autres secteurs manufacturiers, la substitution des importations est bel et bien en cours. Ces dernières années, la Chine a régulièrement réduit sa dépendance à l’égard des importations manufacturières dans tous les domaines. L’examen de différents exemples de substitution réussie des importations montre que les entreprises chinoises sont généralement capables de reproduire des technologies existantes, de réaliser des économies d’échelle et d’améliorer leurs produits au fil du temps. Lorsque les forces du marché ou la politique gouvernementale stimulent suffisamment la demande pour soutenir la production à grande échelle, les fabricants nationaux peuvent généralement mettre en œuvre la stratégie de substitution des importations. Voici quatre exemples de cette méthode de travail.

Semi-conducteurs de puissance

Les semi-conducteurs de puissance constituent une vaste catégorie de composants semi-conducteurs utilisés dans les appareils électroniques pour contrôler le flux d’électricité ; les principaux types de produits comprennent les transistors à effet de champ à semi-conducteur métal-oxyde (MOSFET) et les transistors bipolaires à grille isolée (IGBT). Ces semi-conducteurs sont essentiels au fonctionnement de nombreux produits, mais ne reposent pas sur des techniques de fabrication et des machines de pointe qui sont actuellement limitées par les contrôles américains à l’exportation.

Les entreprises chinoises ont investi massivement dans ces technologies de semi-conducteurs matures et établies, et les semi-conducteurs de puissance sont l’un de leurs domaines de prédilection. Le principal fabricant national de semi-conducteurs de puissance, Times Electric, a multiplié par sept sa capacité de production entre 2020 et 2023.

Dans le même temps, la croissance rapide de produits tels que les véhicules électriques et les panneaux solaires a considérablement augmenté la demande de semi-conducteurs de ce type, et les entreprises étrangères investissent également. Pour répondre à la demande croissante du secteur automobile, STMicroelectronics, l’un des leaders mondiaux des semi-conducteurs de puissance, a créé une nouvelle coentreprise en Chine en 2023 pour fabriquer des dispositifs en carbure de silicium ; son homologue allemand Infineon avait déjà créé une coentreprise locale pour fabriquer des modules de puissance pour les véhicules électriques en 2018.

La pénurie de puces automobiles en 2021-2022 a créé davantage d’opportunités pour les petites entreprises chinoises comme StarPower et Silan de gagner des parts de marché, car elles peuvent offrir un approvisionnement fiable. Mais les entreprises chinoises gagnent des parts de marché parce qu’elles sont aussi de plus en plus capables de fabriquer des produits avancés de meilleure qualité.

Les IGBT, un composant permettant de contrôler et de convertir l’électricité dans des environnements à haute tension, sont des produits plus complexes et plus difficiles à fabriquer que d’autres semi-conducteurs de puissance. Avant 2015, la Chine dépendait presque entièrement de fournisseurs étrangers d’IGBT. En 2021, Silan ne produisait que des IGBT de cinquième génération , un niveau technologique qu’Infineon et Mitsubishi avaient atteint en 2014. Mais en 2024, Silan et ses pairs, tels que StarPower et Macmic, avaient tous lancé leurs propres IGBT de septième génération, égalant le produit le plus avancé qu’Infineon produit aujourd’hui.

Les entreprises chinoises ont rapidement rattrapé leur retard en termes de qualité et de quantité : le chiffre d’affaires total des 12 plus grands fabricants chinois de semi-conducteurs de puissance a grosso modo doublé depuis 2020. Soutenues à la fois par le financement de la politique industrielle et par la forte demande des clients, les entreprises chinoises de ce segment de l’industrie des puces se sont engagées dans un processus régulier de réinvestissement des revenus croissants dans l’amélioration de la technologie et l’augmentation de la production.

À lire également

La guerre des semi-conducteurs sino-américaine : la messe est-elle dite ?

Dispositifs médicaux

La structure du commerce chinois de dispositifs médicaux s’est fortement modifiée depuis 2020, grâce à d’importants changements tant du côté de l’offre que de la demande. La pandémie mondiale de Covid-19 a créé des opportunités sans précédent pour les fabricants chinois d’augmenter leurs ventes dans le monde entier : la demande d’équipements tels que les tomodensitomètres et les ventilateurs, nécessaires à l’imagerie des poumons et au soutien de la respiration des patients, a explosé.

Un fonctionnaire a noté que, dans les dix jours qui ont suivi le 19 mars 2020, la Chine a expédié environ 1 700 ventilateurs mécaniques sur les marchés internationaux, soit près de la moitié du total fourni aux hôpitaux nationaux cette année-là. En 2021, le gouvernement a intensifié ses efforts de substitution des importations en publiant une nouvelle politique, connue sous le nom de Document 551, exigeant des hôpitaux qu’ils allouent des parts spécifiques de leurs achats de dispositifs médicaux et d’équipements de laboratoire à des équipements produits dans le pays.

Étant donné qu’environ 85 % des soins médicaux sont fournis par les hôpitaux publics, qui doivent se conformer à ces règles sur les marchés publics, cette exigence a eu des effets importants. De nombreuses entreprises étrangères ouvrent des sites de production en Chine afin de pouvoir se conformer aux nouvelles règles. Mais les concurrents nationaux se renforcent également et sont de plus en plus capables de rivaliser à la fois sur le marché intérieur et à l’étranger. En conséquence, les exportations chinoises de dispositifs médicaux ont bondi, tandis que les importations sont en baisse constante.

Les deux principales entreprises chinoises de dispositifs médicaux sont Mindray et United Imaging. Mindray est le leader national incontesté, avec un chiffre d’affaires annuel de près de 5 milliards de dollars, et produit une large gamme de dispositifs, des ventilateurs aux moniteurs de surveillance. L’entreprise détient aujourd’hui plus de la moitié du marché national des moniteurs de surveillance et continue de faire des acquisitions dans le pays et à l’étranger pour enrichir son portefeuille de produits ; environ 40 % de ses revenus proviennent des ventes à l’étranger. United Imaging, une entreprise plus petite dont le chiffre d’affaires s’élève à environ 1,5 milliard de dollars, est une étoile montante dans le domaine des équipements d’imagerie avec ses tomodensitomètres et autres produits, et commence également à recevoir davantage de commandes de la part d’acheteurs étrangers, signe de leur qualité et de leur compétitivité.

Dans ce secteur, le protectionnisme semble fonctionner. Même une demande intérieure artificiellement créée peut contribuer à améliorer la compétitivité des entreprises nationales, en leur garantissant des revenus qui peuvent être utilisés pour développer l’activité et améliorer les capacités. Une fois que ces entreprises seront en mesure de remplacer de manière crédible les équipements importés, l’étape suivante consistera à stimuler les exportations.

À lire également

L’industrie chinoise du médicament : un coûteux et dangereux miracle

Composants d’automatisation

Les fabricants chinois de robots industriels ont augmenté leur part de marché dans le cadre du boom de la robotique qui s’est développé au niveau national depuis 2021, et représentent aujourd’hui près de la moitié du marché. Mais en termes de chaîne d’approvisionnement robotique, ce qui est encore plus important que l’assemblage du produit final, c’est la maîtrise des composants de base. Dans un robot industriel typique , trois composants clés représentent jusqu’à 70 % de la valeur totale : le contrôleur (environ 15 %), le système d’asservissement (environ 20 %) et le réducteur d’engrenages (35 %). Historiquement, ces composants ont été dominés par de grands fournisseurs étrangers tels que Fanuc, HarmonicDrive et Yaskawa, que l’on retrouve dans de nombreux robots de marque nationale.

Mais ces composants de base sont très chers, ce qui limite la rentabilité des fabricants chinois de robots. Ils ont tout intérêt à s’approvisionner auprès de producteurs locaux, à la fois pour réduire les coûts et pour bénéficier d’un approvisionnement plus rapide et plus fiable. La substitution des importations se produit également dans les composants en amont, notamment les systèmes d’asservissement, qui gèrent la position, la vitesse et la force appliquée par les bras des robots. Inovance, le principal fabricant chinois de systèmes d’asservissement de robots et de nombreux autres équipements d’automatisation industrielle, a indiqué que sa part de marché nationale pour les systèmes d’asservissement était passée de 10 % en 2020 à 28 % en 2023, ce qui la place au premier rang national.

Les producteurs chinois sont toujours à la traîne sur le marché des réducteurs de vitesse, qui sont les composants les plus précieux de la plupart des robots, car ils ont la tâche cruciale de contrôler le mouvement. Le réducteur à engrenages est la pièce la plus difficile à fabriquer, car il nécessite des techniques avancées pour garantir la stabilité et la précision. Pourtant, selon la société chinoise d’études de marché GGII, des entreprises locales comme Leaderdrive ont considérablement augmenté leur part de marché ces dernières années, pour atteindre environ 40 %.

Selon les experts du secteur, la clé du succès dans la fabrication de ces composants n’est pas tant une technologie propriétaire ultrasecrète qu’une amélioration itérative au fil du temps : il s’agit de procéder à des ajustements répétés du processus de fabrication et d’améliorer la compétence des travailleurs sur la chaîne de montage. Ce n’est probablement qu’une question de temps avant que les fabricants chinois de composants ne deviennent encore plus compétitifs.

Lidar automobile

En plus de rattraper leur retard dans les produits établis, les entreprises chinoises prennent également l’initiative dans des produits beaucoup plus récents tels que les unités lidar que les véhicules autonomes utilisent pour surveiller leur environnement. Le lidar, abréviation de light detection and ranging (détection et télémétrie par la lumière), a été mis au point dans les années 1960, initialement pour des applications militaires et scientifiques. Il utilise des impulsions lumineuses pour mesurer les distances et localiser des objets. Le lidar a été utilisé pour créer des cartes de la surface de la lune et du fond des océans. En raison de son coût élevé, le lidar n’a pas eu beaucoup d’applications commerciales avant les années 2000, lorsque la société californienne Velodyne a été la première à l’utiliser dans les voitures autopilotées. Le dispositif tournant distinctif qui se trouve sur le dessus du robotaxis est l’exemple le plus familier du lidar automobile, mais la technologie est également utilisée sous des formes moins visibles dans d’autres parties des véhicules.

Les pionniers comme Velodyne et Valeo ont dominé le marché du lidar automobile dès le début, détenant une part de marché de plus de 90 %, jusqu’en 2016 environ, lorsque des entreprises chinoises, notamment Hesai Technology, sont entrées sur le marché. Reconnaissant que les barrières technologiques n’étaient pas trop élevées et que le marché intérieur potentiel était très vaste, les fabricants chinois ont commencé à rivaliser directement avec les produits haut de gamme, plutôt que de commencer par le bas de gamme. Ils ont considérablement réduit les prix des lidars automobiles, qui sont passés d’environ 17 400 USD en 2019 à environ 500 USD en 2023, ce qui leur a permis de dominer les ventes.

En 2023, Velodyne a fusionné avec Ouster, une autre société américaine de lidar, et aucune des deux sociétés ne figure aujourd’hui sur les listes des principaux fournisseurs compilées par les spécialistes des études de marché. Aujourd’hui, les entreprises chinoises Hesai, Robosense et Seyond dominent le marché mondial des lidars automobiles, une évolution qui a suscité l’inquiétude des analystes américains. Une chaîne d’approvisionnement nationale pour le lidar automobile est clairement l’un des avantages de la Chine dans le développement des véhicules automobiles.

Le succès rapide des entreprises chinoises dans les technologies émergentes telles que le lidar explique pourquoi les planificateurs industriels du pays mettent l’accent sur les innovations « futuristes » et « perturbatrices » sur des marchés relativement petits, et ne se contentent pas de rattraper les produits largement utilisés. Dans les nouvelles technologies, même si la Chine n’est pas le premier pionnier, l’écart avec les entreprises leaders peut être relativement faible et ces dernières n’ont pas encore accumulé d’avantages substantiels. Cela signifie que les entreprises chinoises peuvent rattraper leur retard plus rapidement et créer de nouvelles chaînes d’approvisionnement compétitives au niveau mondial plutôt que de devoir s’introduire dans des chaînes d’approvisionnement existantes déjà dominées par d’autres.

Ces réussites montrent que les entreprises chinoises peuvent habilement reproduire du matériel et se livrer à une concurrence féroce sur les marchés de produits où elles ne sont pas limitées par des barrières technologiques ou des contraintes réglementaires telles que les contrôles à l’exportation. Dans de nombreux secteurs, la politique industrielle de la Chine semble efficace pour aider les entreprises nationales à s’agrandir rapidement afin d’obtenir des avantages en termes de coûts, et leur permettre de réaliser des investissements substantiels dans la recherche et le développement.

Néanmoins, sur les marchés de certains produits industriels extrêmement complexes, il reste difficile pour les entreprises chinoises de supplanter les fournisseurs étrangers. L’exemple le plus évident est celui des équipements destinés à la fabrication de semi-conducteurs haut de gamme, dont la complexité technique est telle qu’il est impossible de les rattraper sans avoir accès aux chaînes d’approvisionnement mondiales désormais restreintes par les sanctions américaines. Un autre exemple est celui de l’aviation civile et des moteurs d’avion, où il est très difficile de démontrer une qualité et une fiabilité supérieures à celles des fournisseurs établis. Mais le nombre de secteurs dans lesquels les entreprises occidentales peuvent compter sur leurs avantages acquis ne cesse de diminuer.

À lire également

« La Chine a pris une avance significative » dans l’industrie automobile. Entretien avec Serge Cometti

Mots-clefs : , ,

À propos de l’auteur
Gavekal

Gavekal

Gavekal est une entreprise qui propose des analyses économiques et financières sur l'Asie, la monnaie et les marchés financiers.

Voir aussi