L’émergence de l’Asie en fait un consommateur et un importateur d’énergie très important. Son problème est de couvrir ses besoins, en accroissant sa production ou en sécurisant ses approvisionnements et les routes qu’ils empruntent.
Pendant longtemps, la Chine a pu compter sur sa production nationale : charbon, hydro-électricité, pétrole même, avec les gisements de Fushu dans le Fujian, de Yumen à l’est du Xinjiang, de Daqing en Mandchourie… Mais elle est devenue importatrice nette de pétrole depuis 1993 et importe vingt-cinq ans plus tard plus de la moitié de sa consommation du fait de sa croissance économique et industrielle exceptionnelle. Certes, elle s’efforce toujours de développer sa production intérieure en charbon, en gaz de schiste récemment (avec une joint-venture entre Shell et CNPC dans le Sichuan), mais sa consommation d’énergie est énorme, avec près de 10 % du pétrole mondial par exemple (soit environ 8 millions de barils par jour), et les experts prévoient encore un triplement des importations d’ici 2025-2030 afin de contenter une demande en plein essor et de pallier le déclin rapide de la production nationale de pétrole.
La Chine, premier importateur d’énergies au monde
En matière énergétique, la Chine doit relever un triple défi. D’abord sécuriser, donc diversifier, ses sources d’approvisionnement dans la mesure où 80 % de ses importations passent par les routes et détroits du Golfe. Ensuite, réaliser des économies d’énergie : ainsi, en 2005, le gouvernement chinois enjoint la population à prendre les escaliers plutôt que l’ascenseur et à couper la climatisation des logements en dessous de 26 °C de température ambiante. Enfin, et cela est lié, élever son efficacité énergétique : elle a besoin de trois fois plus d’énergie par unité de PIB produite que les États-Unis, cinq fois plus que l’Europe. Une des solutions importantes est le développement du nucléaire civil, dès les années 1990 avec Qinshan près de Shanghai (1991) et Daya Bay au nord de Hong Kong (1994). Aujourd’hui une vingtaine de centrales sont en projet. La Chine achète des réacteurs à la France avec transferts de technologies et importe massivement de l’uranium australien pour les alimenter.
La Chine recherche des fournisseurs de pétrole alternatifs pour éviter le choc frontal avec les États-Unis : aujourd’hui, les deux tiers de son approvisionnement pétrolier viennent du Moyen-Orient et d’Afrique, avec des fournisseurs majeurs comme le Soudan, l’Iran, l’Algérie, par exemple, mais aussi d’Amérique latine (Venezuela, Pérou).
Étonnamment, les liens entre Russie et Chine ne sont pas encore très développés. Mais une nette réorientation se produit, car Moscou veut moins dépendre de l’Ouest : ainsi, un accord historique a été signé entre la CPC et Gazprom en 2013. La Chine recherche aussi des solutions de contournement pour éviter les routes sous contrôle américain, par des détroits parfois très lointains, comme le canal de Beagle en Amérique australe.
Cette « diplomatie des ressources » s’appuie sur les « Big Three » du pétrole (CNPC, CNOOC, Sinopec) qui investissent tous azimuts au Moyen-Orient, en Afrique, mais aussi en Amérique. Ainsi, en 2010, CNOOC prend 50 % de Bridas, entreprise gazière en Amérique latine, tandis que des firmes canadiennes tombent dans l’escarcelle des Chinois (Addax et Daylight Energy). Toutefois, la CNOOC n’a pas pu reprendre Unocal en Californie à cause des pressions de l’Administration américaine.
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L’Inde sur les traces de la Chine
De son côté, l’Inde développe ses importations et ses capacités de production en lien avec des partenaires étrangers. Elle mise ainsi sur le nucléaire civil, dans le cadre d’un accord de coopération avec les États-Unis (2005) et de contrats commerciaux avec la France (achat de six centrales à Areva dans les dernières années).
L’Inde partage certains points communs avec la Chine, nonobstant leur différentiel de développement et de puissance : elle dépend beaucoup du charbon, qui compte pour 40 % de sa consommation d’énergie. Pour son pétrole, dont elle importe 75 % de sa consommation, elle cherche à ne pas trop dépendre du Moyen-Orient par crainte des liens que le Pakistan entretient avec cette région (qui fait cependant 70 % de ses importations) et se tourne vers l’Afrique : elle est ainsi devenue le quatrième importateur mondial. Autre signe d’ouverture, le gouvernement indien autorise désormais les compagnies étrangères à posséder 100 % du capital des sociétés d’exploration et de production pétrolière, en particulier dans le golfe de Bengale, même si l’essentiel de la production vient toujours de Mumbai (Bombay).
Il faut surtout mettre en avant les énormes faiblesses de l’Inde en matière énergétique, en particulier pour l’électricité, 40 % des logements dans le pays n’étant pas raccordés au réseau et les pannes et coupures étant très fréquentes. D’où l’importance cruciale du nucléaire.
Le Japon aux abois depuis Fukushima
Dépourvu d’énergies fossiles sur son territoire, le Japon a longtemps été le premier importateur d’énergies au monde, aujourd’hui détrôné par la Chine, et ce malgré la mise sur pied du deuxième parc électronucléaire mondial derrière les États-Unis. Celui-ci devait continuer à se développer au xxie siècle jusqu’à fournir 50 % de l’électricité du pays en 2030. Mais la catastrophe de Fukushima a perturbé ces plans. Après avoir fermé l’ensemble des centrales et prévu une sortie définitive du nucléaire d’ici 2040, le gouvernement japonais a fait volte-face à l’arrivée au pouvoir de Shinzo Abe en 2012 et les rouvre actuellement au compte-gouttes : 9 réacteurs rouverts ou en cours de réouverture, 30 sont opérationnels et pourraient être rouverts à brève échéance, 3 sont même en construction actuellement.
Pourquoi ? Primo, car le Japon est devenu dépendant à 90 % des énergies fossiles, importées en quasi-totalité ; secundo, car son électricité coûte très cher (une hausse de la facture d’environ un tiers depuis 2011) ; tertio, car ses objectifs de réduction des gaz à effet de serre sont considérables (une baisse de 80 % prévue d’ici 2050) et donc incompatibles avec un arrêt total du nucléaire. Un rapport du METI de 2018 prévoit que d’ici 2030 le nucléaire comptera pour 20-25 % de la production électrique nationale, contre moins de 5 % aujourd’hui. Sans parler des applications militaires, dans un environnement géopolitique régional très tendu.