<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Chine – Afrique, la grande peur des Occidentaux

10 avril 2024

Temps de lecture : 9 minutes

Photo : Sommet Chine - Afrique à Johannesburg, août 2023. (Xinhua/Huang Jingwen) - Huang Jingwen -//CHINENOUVELLE_XxjpbeE007014_20230825_PEPFN0A001/Credit:CHINE NOUVELLE/SIPA/2308250824

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Chine – Afrique, la grande peur des Occidentaux

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Comme chaque année depuis 1991, le ministre chinois des Affaires étrangères a effectué une tournée diplomatique en janvier sur le continent africain, pièce majeure de l’influence internationale de Pékin. L’activité chinoise en Afrique, intense depuis plus de trente ans, a soulevé bien des craintes du côté des Occidentaux qui ont volontiers fantasmé les gigantesques investissements chinois. Le vieux dominateur a cru que Pékin reproduisait le modèle colonial pour faire main basse sur le continent. 

Article paru dans le numéro 50 de mars 2024 – Sahel. Le temps des transitions.

L’histoire a commencé en décembre 1963, lorsque le leader chinois Zhou Enlai (1898-1976) visita dix pays africains en deux mois, honorant particulièrement les indociles à l’Occident. Pour la première fois, la Chine s’adressait à l’Afrique noire. Il se rendit en Égypte, alors sous pression de l’Europe pour avoir nationalisé le canal de Suez, puis en Guinée et au Mali, qui avaient tous deux refusé la Communauté des États africains proposée par le général de Gaulle. Zhou Enlai venait y chercher du cobalt, nécessaire à son programme nucléaire, ainsi qu’un soutien politique. Misant sur la masse paysanne africaine pour attirer les bienveillances du continent envers le discours de la République populaire, il apportait déjà une alternative au modèle universaliste occidental qui se désagrégeait. 

Pékin et le développement de l’Afrique

Après ce voyage fondateur, la coopération entre la Chine et l’Afrique s’est immédiatement intensifiée. L’action chinoise s’est d’abord portée sur une stratégie de développement propre, clarifiée par Hu Jintao. Pékin a misé sur les organisations non gouvernementales, redoutables leviers d’influence à travers le monde. La Fondation chinoise pour la réduction de la pauvreté (APFC) et la Croix-Rouge chinoise ont ainsi été installées sur le continent africain pour accompagner de nombreuses activités financées directement par la Chine. Selon le directeur de l’Institut des études africaines de l’université normale du Zhejiang, Liu Hongwu, il existe une centaine d’organisations chinoises travaillant directement en Afrique. La plupart de ces organisations sont en réalité des GONGO (Gouvernement organisation non gouvernementale), organisées et en partie financées par le gouvernement. 

Chaque année, Pékin prévoit d’allouer des fonds destinés au continent dans le cadre de son programme d’aide à l’Afrique, une aide qui n’est jamais gratuite puisqu’elle se réalise généralement sous forme de crédit. En 2018 par exemple, Xi Jinping avait annoncé une aide de 60 milliards de dollars, concrétisée par des fonds mis à disposition pour des crédits sans intérêts, des financements d’importations de biens africains, et des soutiens aux entreprises chinoises. Participer au développement économique et humain de l’Afrique est le plan d’action chinois défini au Forum sur la coopération sino-africaine (FOCAC) de Johannesburg en 2015 : « L’assistance de la Chine sera principalement utilisée dans le champ du développement des infrastructures, des soins médicaux, de l’agriculture, du changement climatique et dans des objectifs humanitaires, dans le but d’aider les pays africains à lutter contre la pauvreté, améliorer les conditions de vie et construire un développement indépendant. » Cette ligne n’a pas changé. Au FOCAC de 2023, Xi Jinping a présenté trois axes de soutien à l’Afrique. Le premier vise à industrialiser le continent en développant notamment le secteur manufacturier, le deuxième veut moderniser le modèle agricole, et le dernier prévoit de former des centaines de cadres et techniciens africains en Chine. 

Ce soutien chinois au développement de l’Afrique se concrétise surtout dans les infrastructures. Le pont de Foundiougne au Sénégal, la voie rapide reliant l’aéroport international Jomo Kenyatta à Nairobi au Kenya, l’autoroute Kribi-Lolabé au Cameroun, la ligne de train léger à 10th of Ramadan City en Égypte sont autant de projets récemment achevés qui ont été portés par Pékin. Elle a également endigué la pandémie Ebola en envoyant une aide médicale d’urgence et en déboursant plus de 120 millions de dollars. L’épisode Covid a intensifié les partenariats dans le domaine médical. 27 pays africains ont reçu 189 millions de doses de vaccin, une production locale a été lancée, Pékin a envoyé du personnel médical sur place, et des projets de partenariats hospitaliers avec le Soudan du Sud, la République centrafricaine, le Tchad et le Malawi ont été approuvés. Son action se porte également sur l’éradication de la faim en mettant en place des aides alimentaires. Pour encourager le développement agricole, un « corridor vert » ouvre désormais l’accès du marché chinois à plusieurs produits alimentaires africains. Les exemples sont nombreux dans tous les domaines tant la Chine cherche à être active sur le continent. 

(c) Conflits.

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La grande peur des Occidentaux : l’emprise du prêt chinois

La grande peur des Occidentaux est que la Chine enferme le continent africain dans un piège de la dette, tactique qu’eux-mêmes ont jadis utilisée pour bâtir leur empire colonial. C’est ainsi que la France s’était emparée de la Tunisie en 1881 après les échecs du pays à rembourser les bons émis par le banquier parisien Émile Erlanger. 

Jusqu’aux années 2000, les pays européens étaient les principaux bailleurs de fonds de l’Afrique subsaharienne. En 1996, l’Afrique s’endettait dangereusement. Le FMI et la Banque mondiale ont conjointement voulu alléger la dette des pays pauvres très endettés (PPTE), dont parmi eux 33 pays d’Afrique subsaharienne. Les mauvais résultats obtenus ont conduit à une relance puis finalement à un effondrement entre 2005 et 2006. La Chine et les bailleurs obligataires (privés) ont rapidement comblé le vide que la tentative d’allégement de la dette avait généré. Si l’on ajoute la Banque mondiale, ces trois acteurs détiennent aujourd’hui les 2/3 de la dette africaine. 

La part de la dette africaine détenue par la Chine inquiète beaucoup car, en cas d’incapacité de remboursement d’un pays, Pékin dispose d’un excellent argument pour s’emparer de ses leviers névralgiques au motif de se rembourser. En grande difficulté sur le continent africain par l’action des Russes, les Occidentaux, et surtout les Français, craignent d’être définitivement expulsés. 

Les pays africains les plus endettés auprès d’un bailleur chinois sont l’Angola (36 milliards de dollars en 2022), l’Éthiopie (7,9 milliards de dollars en 2022) et le Kenya (7,4 milliards en 2022). Au total, en 2021, 21 pays africains étaient endettés à plus de 1 milliard de dollars vis-à-vis de Pékin, et pour 17 pays, plus de 60 % de la dette bilatérale est à l’heure actuelle détenue par la Chine.

La « diplomatie du chéquier » est loin d’être simple. D’abord, la plupart des prêts chinois proviennent de la banque de développement CDB et de l’agence de crédit aux exportations Eximbank. Les contrats souvent obscurs questionnent. Une équipe de recherche de l’Institut de Kiel a voulu s’interroger sur le danger de ces endettements pour la souveraineté. Les chercheurs ont réussi à mettre au jour 100 contrats de crédits secrets conclus entre la Chine et 24 pays africains pour un montant total de 36,6 milliards de dollars. Le constat est sans appel, les prêts sont loin de ressembler à de la générosité ou à un service que pourrait proposer une banque classique. 

Selon l’étude publiée en 2019, tous les contrats conclus avec la CDB contiennent une clause bien particulière : la rupture des relations diplomatiques avec la Chine est considérée comme un défaut de paiement et une violation de contrat. De même, la Chine se réserve le droit de résilier unilatéralement certains contrats en cas de changement politique interne. Cette clause permet à Pékin d’exiger le remboursement immédiat des sommes dues, un désastre financier pour le pays visé. Les chercheurs ont aussi déniché dans les 3/4 des contrats une clause « No Paris Club ». Le Club de Paris est un groupe de créanciers publics qui se réunit lorsqu’un pays rencontre des difficultés de remboursement. Il aide le gouvernement à effacer une partie de sa dette et restructure le reste du passif. Dans leurs contrats, les prêteurs chinois obligent explicitement à exclure leurs dettes de tels remaniements. De même, ils peuvent également exiger la priorité sur les autres créanciers en cas de difficultés de remboursement. Ces clauses secrètes protègent Pékin des défauts de paiement et assurent la loyauté politique des débiteurs africains. Certains lui reprochent de proposer des traités inégaux à l’Afrique, traités qui l’ont jadis mise à genoux, mais peut-on vraiment la blâmer de chercher à sécuriser son argent ?

Le cas de la Zambie est particulièrement révélateur de la crainte occidentale. Ce pays d’Afrique australe grand de 750 000 km2, peuplé de 20 millions d’habitants, a une lourde dette dont 21 % sont détenus par la Chine. En 2020, ne pouvant plus rembourser, la Zambie a dû convaincre Pékin de restructurer son crédit, ce qu’elle a obtenu en échange d’une insertion massive des Chinois dans l’économie du pays. Aujourd’hui, ils contrôlent notamment les extractions de minerais, dont celles du cuivre, si précieux pour les nouvelles technologies. Dans un documentaire de France 24 sur la présence de la Chine dans le pays, le président zambien vante les mérites des entreprises chinoises, avant d’être contredit – grand moment du documentaire – par son conseiller économique qui assume face caméra : « Nous n’avons aucun chiffre sur les exportations chinoises de cuivre, c’est dingue. » Conclusion du conseiller : « Les accords sur la transparence de l’industrie minière ne sont que des mensonges ! » La population zambienne voit d’un très mauvais œil l’implantation des entreprises chinoises et plusieurs manifestations anti-chinoises ont déjà éclaté. Pékin observe la situation avec beaucoup d’intérêt. 

La stratégie chinoise en Afrique s’inscrit dans la durée

L’Afrique n’est pas la priorité de la Chine

Si la dette africaine est un excellent moyen pour la Chine d’implanter ses entreprises, de sécuriser ses importations de matières premières, et de s’assurer un quasi-monopole dans la production de minerais liés à la technologie, souhaite-t-elle pour autant s’emparer du continent ? Pékin laisse comprendre que non. Elle connaît les limites de l’Afrique, et ne cherche sûrement pas à reproduire les erreurs de l’Occident. Pour s’en rendre compte, il faut d’abord regarder du côté des investissements directs à l’étranger (IDE). En 2021, l’Afrique ne représentait que 2,7 % de tous les investissements chinois dans le monde. Sur les 4 987 millions investis, les 2/3 étaient concentrés sur sept pays. La conclusion qu’il faut en tirer est que la Chine ne croit pas au développement de l’Afrique et qu’elle préfère y pratiquer une économie de comptoir. Pékin endette le continent pour s’insérer dans l’économie et piller les richesses, mais ne fait sûrement pas de l’Afrique une extension d’elle-même. C’est une vision trop occidentale pour l’empire du Milieu. Le deuxième indicateur est le ralentissement des prêts chinois depuis les années 2020. Disposant de moins de liquidités à cause des difficultés économiques internes, constatant que l’Afrique est mauvaise emprunteuse, et que les demandes de prêts sont souvent mal proportionnées aux projets, la Chine se fait plus difficile. La diplomatie du chéquier a des limites. 

Comment la Chine voit l’Afrique

Piller les ressources

Le cas de la Zambie est particulièrement révélateur des ambitions chinoises en Afrique. Pékin convoite les fabuleuses ressources minières du continent pour soutenir sa course technologique. Nickel, lithium, cobalt, or, ou encore les métaux du groupe du platine, tous sont activement recherchés par les entreprises chinoises. Les premiers pas de ces entreprises en Afrique se limitaient à des prises de participations minoritaires. Désormais, elles n’hésitent plus à investir des centaines de millions de dollars pour prendre le contrôle des grands projets miniers, y compris les plus spéculatifs. Le gisement de lithium de Manono en RDC est l’une des plus vastes réserves de lithium inexploitées au monde. En octobre 2023, une filiale de la société chinoise Zijin Mining a obtenu une licence d’exploitation octroyée du gouvernement. Au Tchad, la compagnie CNPCIC est chargée de l’exploitation du gisement de Rônier. Mais les dangers de la pollution ne les préoccupent pas. 

De nombreuses infrastructures financées par la Chine sont liées au transport de minerai. Et ce n’est pas un hasard si l’Agence chinoise d’aide au développement dépend du ministère du Commerce. 

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Checkpoints pour la Belt and Roads

L’Afrique est loin d’être la préoccupation principale de Pékin qui a toujours tourné le regard vers l’Europe. L’immense projet des nouvelles routes de la soie lancé par Xi Jinping en 2013 est entièrement orienté vers le Vieux Continent. La Chine doit ainsi s’assurer des points de passage et le continent africain présente toutes les caractéristiques pour servir de plateforme. Il est la clé de la traditionnelle route des Indes. 

La présence chinoise se renforce dans les ports africains, notamment en Afrique de l’Ouest (ports d’Abidjan, Tema, Lomé, Lagos), et en Afrique de l’Est (ports de Lamu, Mombasa, Dar es Salam, Mtwara). La nouvelle base militaire chinoise à Djibouti confère également à l’empire du Milieu une certaine capacité de projection armée sur le continent, et surtout de surveillance. 

À plus grande échelle d’analyse, la place de l’Afrique dans la stratégie internationale chinoise se comprend dans la doctrine : « Les grandes puissances sont la clé, le voisinage est la priorité, les pays en développement sont le fondement, et l’arène multilatérale est l’arène clé. » 

Soutien international

La diplomatie du chéquier est très favorablement perçue par les pays africains et Pékin en tire un précieux soutien international. Sur la question taïwanaise si existentielle pour la République populaire, 19 États africains reconnaissaient l’île comme un État en 1970. Aujourd’hui, seul l’Eswatini, petite enclave en Afrique du Sud, n’a pas rompu ses relations avec Taïwan. Mais c’est surtout à l’ONU que le « bloc africain » est appelé à se mobiliser autour de la Chine. À l’Assemblée générale, il détient la plus importante réserve de voix (28 %), contre les 27 % d’Asie, les 17 % américains et les 15 % de l’Europe occidentale. C’est donc dans le multilatéralisme que Pékin entend tirer les bénéfices de son ambitieuse politique en Afrique. 

En 2020, tous les membres africains du Conseil des droits de l’homme, sauf un, ont approuvé la résolution chinoise : « Promouvoir une coopération mutuellement bénéfique dans le domaine des droits humains. » Pour la première fois, des éléments de la « pensée de Xi Jinping » étaient inscrits dans un texte sur les droits humains de l’ONU. Cette pensée qui rassemble les idées politiques pour la Chine moderne, Pékin essaie de la promouvoir partout.

Enfin, la Chine utilise les pays africains pour repenser l’architecture du multilatéralisme et faire concurrence à l’Occident. Ce que l’on nomme maladroitement le « Sud global », alors qu’il n’y a aucun socle civilisationnel comme en « Occident », est en fait une coalition de pays qui veulent peser sur la scène internationale. Pékin voit ses « frères africains » comme un excellent relais pour son idée de « communauté de destin pour l’humanité », élément central de la diplomatie chinoise pour les pays du Sud. Mais en Chine continentale, le récit officiel dominant ne cache pas que les pays africains ne font que « rembourser la vertu ». 

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À propos de l’auteur
Guy-Alexandre Le Roux

Guy-Alexandre Le Roux

Journaliste

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