Vendredi 11 mars, trois mois après les élections présidentielles du Chili, Sebastian Pinera, homme de droite, transmettra les rênes du pouvoir suprême à Gabriel Boric, jeune député de gauche qui a remporté les élections à l’âge de 36 ans. Il sera accompagné d’une équipe très marquée par la présence de femmes et d’indépendants. Ce nouveau gouvernement, qui compte quelques membres du Parti communiste, est jeune : l’âge moyen de ses ministres est de 42 ans.
Pour la première fois dans l’histoire du pays, le ministre de l’Intérieur, deuxième personnage le plus important du pays, sera une femme : Izkia Siches. Cette jeune médecin de 36 ans, ancienne présidente de l’ordre de médecins, a joué un rôle décisif dans la victoire du candidat Boric.
D’une manière générale, le défi du jeune dirigeant chilien est immense : il doit comprendre les causes profondes de la crise politique et formuler une politique à la hauteur de l’espoir que les Chiliens ont mis en lui. En effet, depuis 2019 le pays traverse une crise socio-politique caractérisée par des manifestations qui ont fait trembler les institutions du pays. Une telle crise a pu être canalisée par la décision d’adopter une nouvelle Constitution. À l’époque, le député Boric avait été l’un des promoteurs de l’accord politique permettant le changement de Constitution.
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Vers une nouvelle constitution
D’une manière plus précise, trois grands défis se présentent dans l’immédiat au jeune président.
Premièrement, le texte de la nouvelle Constitution devrait être prêt d’ici quelques mois pour ensuite être soumis à un référendum courant 2022. Les analystes soutiennent que l’approbation de ce texte est un élément clé de la réussite de Gabriel Boric. À l’occasion du processus constitutionnel déclenché par un premier référendum en 2020, une immense majorité (80 % des votants) s’est manifestée pour élire une « convention constituante » ayant pour mission la rédaction d’une nouvelle loi fondamentale pour le Chili. Ce nouveau texte revêt une portée symbolique importante, car il entend en terminer avec la Constitution de 1980, adoptée sous le régime du Général Pinochet. Mais le succès de cette nouvelle Constitution n’est pas garanti, tant les normes proposées par la Convention constituante ont été jugées par certains comme trop radicales et décalées avec la réalité historique et politique du pays.
Ainsi, le texte en préparation entend rompre définitivement avec le passé en déclarant que le Chili est un Etat plurinational ; il veut supprimer le Sénat, promouvoir la nationalisation des entreprises liées à l’industrie minière (la plus importante du pays), créer un système de justice parallèle pour les populations autochtones, etc. Outre le contenu de ce texte, l’image et la réputation de la convention constituante ont sensiblement diminué aux yeux de la population. Dans un tel contexte, Gabriel Boric sera sollicité par les secteurs les plus modérés de la société civile et de la classe politique pour essayer d’obtenir un texte constitutionnel plus adapté à la réalité nationale. Il semblerait que le nouveau Président puisse donc échouer de deux façons : soit la Constitution n’est pas approuvée alors qu’il s’est personnellement engagé dans ce processus, soit la Constitution est approuvée, mais demeure inapplicable, ce qui pourrait conduire à une nouvelle crise politique.
Le défi de l’immigration
Le second défi de Gabriel Boric sera de proposer une solution à la crise de l’immigration dans le nord du pays. Depuis quelques années, le Chili est témoin de l’arrivée massive de migrants des pays proches, majoritairement du Venezuela. La situation, devenue incontrôlable, a provoqué des tensions sociales. Une importante grève des transports a été organisée pour attirer l’attention des pouvoirs publics. Le gouvernement du Président Pinera, qui a adopté une nouvelle loi pour contrôler l’immigration, a essayé de maîtriser la situation en déclarant l’état d’urgence dans la région frontalière du Pérou et de la Bolivie. Dans cette partie du pays, les habitants s’attendent à des mesures rapides et efficaces de la part du nouveau Président.
Enfin, si la sécurité est menacée dans le nord, la situation n’est pas meilleure dans la région de l’Araucanie, au sud du pays. Cette zone, très marquée par la présence de la population d’origine indienne, a été le terrain d’un conflit historique entre la République du Chili et les communautés indiennes de l’ethnie mapuche. Des groupes terroristes autoproclamés « uniques représentants des indiens mapuches », ne cessent de commettre des attentats contre les transports publics, des églises, des bâtiments publics, des commerces, etc. Là encore, les autorités publiques ont été dépassées et l’état d’urgence y a été déclaré. En Araucanie, où la population a voté à 60 % pour José Antonio Kast, l’opposant de M. Boric au deuxième tour des élections présidentielles, la tâche ne sera pas simple pour le nouveau gouvernement.
Le 11 mars, le Chili entre dans une nouvelle phase de son histoire démocratique. Tous les regards sont fixés sur son jeune Président qui est conscient de la situation, comme il l’a déclaré le soir de son élection, « les temps ne seront pas faciles […] ce sera sans doute difficile, mais nous avancerons pas à pas, fermement, en apprenant de notre histoire ».