Le couronnement de Charles III a marqué les esprits en Grande-Bretagne et dans le monde. Regardé par 20 millions de téléspectateurs dans le royaume, il avait pour immense tâche de démontrer la capacité d’une monarchie à s’adapter à un monde où le faste et la tradition sont souvent vus avec méfiance, voire parfois avec dégoût : l’essai est réussi.
Article paru dans le numéro 47 de septembre 2023 – Occident. La puissance et le doute.
Prince de Galles de 1958 à 2022 et roi depuis le 8 septembre 2022, Charles III aura eu le temps de se faire connaître des Britanniques au fil des années. Profondément ancré dans la tradition de la monarchie britannique, le nouveau souverain, cinquième roi de la maison de Windsor, incarne un pont entre deux époques. Premier monarque couronné en soixante-dix ans, il travaille sans cesse son image pour montrer aux Britanniques, aux peuples des Dominions et du Commonwealth, qu’il est bien entré dans le XXIe siècle : la cérémonie du couronnement du 6 mai en fut l’exemple même. Alliant pompe et respect des formes, elle a manifesté la fine compréhension du souverain britannique de la société multireligieuse et multiculturelle de son pays. Toutes les confessions, chrétiennes comme non chrétiennes, ont pris part à la liturgie, chose impensable en 1953, où l’archevêque catholique de Westminster n’avait même pas franchi le parvis de l’abbaye. Il y a trente ans de cela, Charles exprimait déjà son intention de se défaire du titre de Défenseur de la Foi[1], au profit de défenseur « des fois ». Dans le serment du couronnement, le souverain promet de toujours défendre « les lois de Dieu et la profession de l’Évangile, de maintenir la religion protestante réformée établie par la loi et de préserver l’inviolabilité de l’Église d’Angleterre ». Mais il a introduit une nouveauté dans la préface du serment lue par l’archevêque de Cantorbéry, où il est mentionné que « l’Église, établie par la loi […] cherchera à créer un environnement dans lequel des personnes de toutes les fois et croyances pourront vivre librement ». Charles III, anglican convaincu, est davantage détaché d’une Église établie, devenue minoritaire dans le royaume[2]. Au risque de décevoir les monarchistes les plus traditionnels, le gouverneur suprême de l’Église d’Angleterre a fait le choix du relativisme religieux pour s’ouvrir au plus grand nombre possible de ses sujets. Une adaptation qui met en lumière la souplesse de la monarchie britannique, capable d’évoluer dans ses codes au fil des siècles et qui constitue sans doute sa force.
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Un monarque proche de son peuple
Émotif et chaleureux, Charles III se plaît à aller au contact de ses sujets, comme l’a démontré son bain de foule improvisé avec le prince William, au lendemain de la mort d’Élisabeth II. C’est en fait une personnalité plus « ordinaire » que celle de ce nouveau roi. Premier héritier du trône à avoir fait des études universitaires, il fut diplômé en archéologie et en anthropologie à Cambridge en 1970 et rentra ensuite dans l’armée. En 1969, il fut couronné prince de Galles par Élisabeth II, au château de Caernarfon, où il rédigea le début de son discours en Welsh, touchant ainsi des Gallois aux velléités républicaines et indépendantistes prononcées. Devant les 2 500 personnes rassemblées dans la cour du château, il affirmait que « le pays de Galles doit regarder de l’avant sans oublier les traditions et les aspects essentiels de son passé. Le passé peut être un stimulant pour l’avenir tout autant que d’autres choses. » Concilier le passé avec l’avenir est le rôle que la monarchie britannique, malgré ses nombreux changements de dynastie, a bien su faire jusqu’à maintenant et Charles III s’inscrit pleinement dans cette continuité. Amateur de théâtre et de poésie, et des courses de chevaux d’Ascot, ancien membre de la Royal Shakespeare Compagny, il apprécie tout autant porter ses kilts confectionnés par la maison Kinloch Anderson à Édimbourg, lorsqu’il se rend en Écosse. Pour les obsèques d’Élisabeth II, à la cathédrale Saint-Gilles, Charles III portait le stewart royal tartan, popularisé par George IV puis la reine Victoria au XIXe siècle, manifestant son affection à cette terre tant chérie par sa mère défunte. Les symboles comptent dans de tels moments et Charles III en fut bien conscient.
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Head of the Commonwealth
Le souverain britannique, parmi ses nombreuses attributions, est Head of the Commonwealth. Un titre bien mis à l’honneur pendant le couronnement, où des représentants des 47 pays membres de l’institution de 2,6 milliards d’habitants étaient présents et ont défilé dans la nef de l’abbaye de Westminster avec leurs drapeaux. Définitivement établie en 1949, elle a permis à la Grande-Bretagne de préserver des liens avec les anciennes colonies et constitue un élément de soft power inégalé pour la Couronne britannique. Tous les ans, les pays membres se retrouvent à Londres pour le Commonwealth Day, au mois de mars. Une occasion pour leurs représentants de se rencontrer dans un cadre convivial. En mars dernier, Charles III s’exprimait pour la première fois en tant que roi devant les chefs d’État et les représentants de ces pays à l’abbaye de Westminster durant le Commonwealth Service : « Le Commonwealth fut toujours une constante dans ma propre vie et sa diversité continue de m’impressionner et de m’inspirer. Son potentiel quasi illimité en tant qu’une force pour faire le bien dans le monde exige notre plus haute ambition ; son ampleur même nous met au défi de nous unir et d’être audacieux. » Ces mots de Charles III sont sincères. Tout comme sa mère, il est attaché à l’institution et a conscience que sa préservation tient à l’attention que lui porte le monarque. Du temps où il fut prince de Galles, il comprenait bien ces deux éléments. En 2018, profitant de l’inauguration des Commonwealth Games sur la Golden Coast australienne, il se rendit aux îles Vanuatu, puis chez la tribu aborigène yolngu, au nord de l’Australie, qui l’accueillit solennellement en lui offrant une magnifique guirlande de plumes qu’il enfila par-dessus son costume beige, un panier de paille qu’il porta sur l’estomac, et un bonnet[3]. Le ridicule ne tue pas et peut avoir du bon en diplomatie. Et si Charles III possède bien une qualité, c’est son véritable intérêt pour toutes les cultures, quitte parfois à verser dans un certain relativisme de bon ton…
Charles III : francophile ?
Le projet de visite – avorté – de Charles III en France au mois de mars dernier en a surpris plus d’un, alors que d’ordinaire, la première visite à l’étranger du souverain anglais devait se faire dans un pays du Commonwealth. L’Afrique du Sud aurait dû être la première destination du monarque et de la reine consort. Mais pourquoi la France d’abord ? Les interprétations peuvent diverger, mais une chose reste certaine, Charles III est un amateur de la culture de la gastronomie française. L’on compte plus de 35 visites officielles du temps où il fut prince de Galles. Une visite en 2016, pour l’ouverture de la COP 21, a marqué les esprits. À l’occasion de sa visite, il reçut le prix François-Rabelais, décerné par l’Académie française et y fit alors un discours improvisé, dans un français rocailleux, mais correct, en s’insurgeant contre les directives européennes qui menaçaient la qualité des fromages français : « Dans une société bactériologiquement correcte, que deviendront le brie de Meaux, le crottin de Chavignol ou le bleu d’Auvergne ? Dans un avenir libre de microbes et génétiquement programmé, quel espoir reste-t-il pour la fourme d’Ambert démodée, le gruyère de Comté mal formé ou l’odorant pont-l’évêque[4] ? » Accompagné d’un tonnerre d’applaudissements, ce discours aux sonorités humoristiques et graves à la fois démontre l’attachement du souverain à la tradition, qui est très conforme au personnage. Est-ce suffisant pour inaugurer une nouvelle ère dans les relations franco-britanniques ? Rien n’est impossible. En attendant sa prochaine visite, God Save the King !
[1] Un titre accordé à Henri VIII par le pape Léon X en 1521 pour sa défense des sacrements contre Luther.
[2] D’après une étude du Briley Consultancy, les anglicans ne représenteraient que 21 % des chrétiens en Grande-Bretagne, contre 25 % pour les catholiques.
[3] Michel Faure, Charles roi d’Angleterre, l’Archipel, 2020, p. 304-305.
[4] Ibid., p. 240.