La tech française dans la guerre des données

28 février 2022

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Facebook logo seen displayed on a smartphone. - Avishek Das / SOPA Images//SOPAIMAGES_0822056/2202210844/Credit:SOPA Images/SIPA/2202210914

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La tech française dans la guerre des données

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Nouvelle bataille entre les États-Unis et l’Europe quant à la gestion des données personnelles. Cette fois-ci, c’est Facebook qui lance l’offensive, ouvrant un risque majeur pour les entreprises européennes. 

Un billet de Charles Degand, chef d’entreprise (Angelsquare)

Dans un rapport envoyé à l’US Securities and Exchange Commission (SEC), le groupe de Mark Zuckerberg envisage de fermer Facebook et Instagram en Europe si Meta ne peut pas traiter les données des Européens sur des serveurs américains.

À l’origine de ce coup de pression, deux conceptions opposées de la gestion des données. Tandis que le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) affirme que les données personnelles appartiennent d’abord à leurs utilisateurs et relèvent de la vie privée sur le territoire de l’Union européenne, le titan américain de la tech considère que celles-ci appartiennent d’abord aux entreprises qui les collectent. Le RGPD représente donc une entrave au modèle économique de la firme californienne et une baisse substantielle des revenus liés au ciblage publicitaire.

Bataille mondiale pour les données

La bataille mondiale pour la gouvernance des données procède ainsi d’une divergence entre deux cultures économiques opposées. Tandis que le capitalisme numérique états-unien ne conçoit aucune limite à la maximisation des revenus et des profits, les Européens affirment qu’il doit exister des frontières à la marchandisation. Mais face au pouvoir des big tech et des superpuissances auxquelles elles sont adossées, est-il réellement possible de protéger l’intimité des individus de l’exploitation commerciale ?

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En 2020, le groupe Carrefour a été condamné par la CNIL à plus de 3 millions d’euros d’amende pour « gestion fautive, voire déloyale des données ». L’année précédente, Google se voyait infliger un redressement d’un montant de 50 millions d’euros, pour les mêmes raisons. Mais le gendarme français des données personnelles n’a pas été le seul à livrer ce combat en Europe. En 2021, Amazon écopait d’une amende de 746 millions d’euros de la part du régulateur luxembourgeois. Cette même année, plus de 600 sanctions ont été recensées partout en Europe. Qu’elles soient européennes ou extra-européennes, toutes les entreprises étaient prévenues : la compétition sur le marché européen supposait le respect de certaines règles fondamentales. Tout le contraire du Far West …

L’enjeu des normes et de la conformité

Céder à l’injonction du groupe Meta contribuerait à renforcer son monopole sur le marché européen et à faire renoncer aux Européens leur conception d’un Internet intelligemment régulé et respectueux de la vie privée tout en instituant un double standard : seules les entreprises les plus puissantes seraient libres de se conformer ou non à la réglementation européenne.

La réponse qui sera apportée par les autorités publiques des membres de l’Union européenne dans les semaines et mois à venir déterminera en large partie l’évolution de la compétition économique sur notre continent. Sur quels soutiens peuvent-ils compter ? Certes, les baromètres RGPD annuels montrent une bonne adaptation de la majorité des entreprises, mais ceux qui les composent sont-ils prêts à continuer à le défendre ?

L’enquête d’Angelsquare : la startup nation prête au combat

À entendre certains discours défaitistes, nous avons décidé de sonder notre communauté. Avec un réseau de plus de mille investisseurs professionnels reliés à des entrepreneurs issus de tous les secteurs du numérique, Angelsquare constitue un échantillon représentatif du monde du capital-risque (« private equity ») en France. C’est d’ailleurs pour cette raison que notre communauté réalise une enquête annuelle sur les Business Angels français avec le magazine Challenges.

Aux membres de cette communauté, nous avons posé deux questions. La première concernait leur réception de la déclaration du groupe Meta sur la potentielle fermeture de Facebook et d’Instagram en Europe. La seconde portait sur leur niveau de soutien à la décision de la CNIL prise au début du mois de février : estimant que Google Analytics violait le RGPD, le gendarme français des données a donné un mois à la firme américaine pour se mettre en conformité avec la règle européenne, au risque de suspendre un service auquel de nombreuses entreprises européennes ont recours, au même titre que Facebook ou Instagram.

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Alors que nous aurions pu nous attendre à une forte dépendance aux services de Meta et de Google de la part des sondés exclusivement issus de l’économie numérique, les réponses que nous avons obtenues ont traduit une tendance unanime. 62% de nos sondés pensent que Meta bluffe et n’a pas une marge de manœuvre suffisante pour mettre sa menace en application et 32% d’entre eux sont prêts à développer des alternatives dans l’éventualité où Facebook et Instagram fermeraient effectivement en Europe ! La décision de la CNIL est quant à elle soutenue par une écrasante majorité d’acteurs de notre échantillon de la startup nation. Moins naïfs ou défaitistes que certains laissent à penser, les membres de notre microcosme professionnel soutiennent à 74% la mise en demeure de Google Analytics. Parmi cet agrégat, 14% se disent prêts à développer des alternatives. Il n’y a pas l’épaisseur d’une feuille de papier à cigarette entre les arbitres et les acteurs. Dans la bataille pour la gouvernance des données, nous ne sommes pas prêts sacrifier ou à brader les règles de notre compétition économique.

Abattre le monopole d’un géant de la tech

Les entrepreneurs et financiers de l’économie numérique française et européenne peuvent appeler les dirigeants européens et en particulier le président Emmanuel Macron en sa qualité de président en exercice du Conseil de l’Union européenne, à profiter de cette opportunité pour :

  • Libérer le marché européen du monopole d’un géant de la tech ;
  • Favoriser l’émergence d’une offre privée de réseaux sociaux ;
  • Renforcer le marché européen du numérique en réaffirmant notre attachement aux valeurs de la vie privée et de la libre concurrence ;

Nos entreprises sont prêtes à faire grandir l’écosystème du numérique en Europe sans rien céder sur les valeurs les plus fondamentales que nous partageons avec nos concitoyens. Il faut que le prochain président prenne Mark Zuckerberg au mot !

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À propos de l’auteur
Charles Degand

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