Plus de 2000 ans après sa mort, Jules César continue de fasciner. Personnage désormais mythique, celui qui n’a pourtant jamais été empereur intrigue les historiens. L’ouvrage de Michael Parenti veut replacer l’homme dans son contexte afin de mieux saisir les destins imbriqués de Rome et du conquérant de la Gaule.
Carlo Andrea Pozzo di Borgo, pourtant célèbre sur tout le continent, a dit à propos de son cousin Napoléon « Moi et bien d’autres, nous serons des planètes secondaires, autour du grand soleil [Napoléon], soit qu’il ait vivifié ou brûlé le monde. » L’homme était clairvoyant. L’histoire recèle un nombre déconcertant d’hommes de grandes réputations aux parcours extraordinaires. Néanmoins certaines figures ne cesseront d’emplir tout l’espace historique. Jules César en est une.
À la simple évocation de l’Empire romain, bien peu sont ceux qui ne pensent pas au célèbre conquérant des Gaules. Comment expliquer ce phénomène, alors que Rome a pourtant connu beaucoup de grands dirigeants ?
Une république agitée
Certes, Caius Caesar, de la gens illustre des Iulii, comme tous les grands conquérants est immortel, car il avait fait le choix de la mort. C’est d’ailleurs sur ce point que la majorité de l’historiographie s’arrête. Mais est-ce la seule explication au mystère qu’est l’affection que lui vouait le peuple de Rome ? C’est à ce questionnement, entre autres, que répond efficacement l’ouvrage de Michael Parenti (de l’université de Yale), L’Assassinat de Jules César, aux éditions Delga. Cet ouvrage est singulier. En effet, il se donne pour mission d’étudier le César politique ou, plus précisément, sa philosophie politique. Avant même de parler du personnage dont il est ici question, l’ouvrage s’attarde d’abord sur le contexte politique et social de la Rome antique. La vie politique était globalement rythmée par deux grands courants, deux grandes tendances : les Optimates et les Populares. Les Optimates étaient l’élite aristocratique et financière de l’époque, au pouvoir au Sénat, qui se méfiait grandement de la plèbe et de ses aspirations.
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Les Populares, au contraire, étaient des aristocrates désireux qu’advienne une réforme en profondeur du système de gouvernance économique et politique, en faveur de la Plèbe. À la tête de ce courant, on pouvait retrouver des hommes charismatiques qui, pour certains, ont fait trembler le pouvoir sénatorial. C’est d’abord sur ces chefs du parti démocratique et réformiste que l’ouvrage s’arrête. Des noms illustres comme les Gracques (les frères Gracchus), qui ont porté des projets de réforme fort audacieux pour l’époque. La réforme de l’ager publicus (réforme agraire) au profit de petits exploitants, la réforme de la justice, le plafonnement des prix des céréales pour la plèbe, ou encore la réforme du Sénat et de ses procédures de vote afin de briser le monopole des Optimates...
D’autres porteront ce mouvement : Fulvius Flaccus, Livius Drussus, Sulpicius Rufus, Cornelius Cinna, Sergius Catalina etc. Tous connaîtront une mort violente. Du côté des Optimates, aussi, on retrouve des noms célèbres, comme Caton ou Cicéron, jurisconsulte qui fait encore autorité de nos jours. Connaître le contexte permet de comprendre les affrontements, conséquences nécessaires du politique. La chose est d’autant plus essentielle, quand on sait que César fut le dernier et le plus célèbre chef des… Populares (et a, donc, connu lui aussi une mort violente).
César, le Popularis
Napoléon ne s’y trompa pas quand il déclara « On cite toujours Brutus comme l’ennemi des tyrans ; eh bien, Brutus n’était qu’un aristocrate ; il ne tua César que parce que César voulait diminuer l’autorité du Sénat pour accroître celle du peuple. Voilà comme l’ignorance ou l’esprit de parti cite l’histoire. » Il s’agit de la thèse défendue par Michael Parenti dans l’ouvrage évoqué.
Il est possible que César, en franchissant le Rubicon, ait prononcé son célèbre Alea jacta est (même s’il est plutôt probable qu’il le prononça en grec). Mais César a dit autre chose, tout aussi politique « Je veux simplement me protéger contre les calomnies de mes ennemies, rétablir les tribuns de la plèbe à la juste place dont ils ont été expulsés […] récupérer pour moi et pour le peuple romain l’indépendance de la domination par une petite clique. » Les convictions de César ne sont pas conjoncturelles. Rappelons qu’il est le neveu du chef popularis Caius Marius et le beau-frère de Cinna, et cela n’a rien d’anodin.
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Pendant la dictature de Sylla, chef des Optimates, qui fut une période de très grande violence pour les Populares, César, alors bien jeune (à peu près dix-huit ans), défia le dictateur en refusant de renier son camp. Des interventions en haut lieu lui évitèrent probablement une fin prématurée. Plutarque et Suétone relatent la réponse de Sylla à ceux qui plaidaient la cause de César : « Gardez à l’esprit que l’homme que vous êtes si désireux de sauver portera un jour l’estocade à l’aristocratie pour la défense de laquelle vous m’avez rejoint, car en ce César il y a plus que chez un Marius ! »
On ne peut être que surpris par la justesse de l’analyse du dictateur. Mais plus important, cela confirme les véritables oppositions au sein de la société romaine, que cet ouvrage se donne pour mission de révéler…