Où est l’Ukraine ? demande-t-on aux Américains. Partout ! En Amérique latine comme en Afrique, au Pôle Nord et même aux États-Unis. Et plus la réponse est fausse plus le soutien à une intervention militaire est grand.
Chaque point représente une réponse des 2 066 sondés. / Thomas Zeitzoff/The Monkey Cage.
La carte que nous reproduisons ici (légèrement retravaillée) date de 2014, et a été réalisée par des politologues nord-américains dans le contexte de l’annexion de la Crimée par la Russie[1]. Alors que l’Ukraine est aujourd’hui au centre de l’attention et est actuellement l’enjeu d’une guerre psychologique et informationnelle de grande ampleur, il nous a paru intéressant de revenir à ce document. Il est impossible de savoir si les pourcentages et localisations fournies à l’époque, c’est-à-dire il y a huit ans, correspondent toujours à l’état des « connaissances » actuelles, mais il y a gros à parier que les résultats de cette enquête traduisent l’état de l’opinion publique aux États-Unis.
A lire également :
En mer Noire, une flotte russe dominante, mais vulnérable
L’enquête qui a fourni les données figurant sur la carte a été réalisée entre le 28 et le 31 mars 2014, auprès de 2 066 (nord)Américains, et portait sur la question de savoir quelle devait être la position et/ou la réaction des États-Unis face aux événements de Crimée. En plus des questions proprement dites, une carte muette était proposée aux participants pour qu’ils y localisent l’Ukraine.
Et les résultats, sans être vraiment surprenants, sont riches en enseignements divers. D’abord il est à noter que seulement 16 % de l’ensemble des répondants sont parvenus à localiser correctement l’Ukraine, avec des variations prévisibles suivant l’âge et le niveau d’études. Et, fait remarquable, dans la catégorie qui réussit le mieux, à savoir les citoyens se déclarant « indépendants » (des deux grands partis républicain et démocrate), le taux de réussite est seulement de 29 %. Alors que par ailleurs 77 % des répondants ayant fait des études supérieures (dans un college) étaient incapables de situer l’Ukraine sur la carte.
Sur le plan graphique, les localisations correctes (ou presque) figurent en rouge, alors que diverses nuances de bleu représentent les réponses erronées, dont beaucoup sont étonnantes. Ainsi, les nombreuses réponses situant l’Ukraine en Afrique et au Groenland attirent l’attention. De même, on est admiratif face au choix de la Bolivie orientale ou des Malouines…
Fait intéressant (et quelque peu inquiétant), cette enquête a aussi mis en évidence une corrélation statistiquement significative entre l’incapacité de localiser correctement l’Ukraine et le souhait de voir les États-Unis y intervenir militairement. Ce qui débouche sur un problème réel concernant la capacité (notamment dans les postdémocraties actuelles) de la majorité de la population à élaborer un raisonnement géopolitique, aussi sommaire soit-il, en l’absence de connaissances factuelles minimales. Heureusement, toutefois, que ces carences ne concernent pas les élites dirigeantes, comme le président Biden qui, lui, ne situe pas du tout l’Ukraine en Afrique, dans la mesure où il l’a récemment confondue avec… l’Afghanistan[2].
A lire également :
[1] Kyle Dropp, Joshua D. Kertzer and Thomas Zeitzoff, « The less Americans know about Ukraine’s location, the more they want U.S. to intervene », The Washington Post, 7 avril 2014.