Devenu mondialisé et financiarisé, le capitalisme semble échapper à ses adeptes les plus fervents. Alors qu’une crise sanitaire s’abat sur le monde entier, l’heure est à la réflexion. A ce titre, une question pourrait se poser : peut-on civiliser le capitalisme ?
Après avoir été industriel, du textile à l’automobile, après avoir subi plusieurs vagues de révolutions industrielles, voilà que le capitalisme a pour centre nerveux la finance, dont la raison d’être est de faire de l’argent avec l’argent. Cela conduit à une logique financière dite du momentum par opposition à l’hypothèse d’efficience de la finance. Cette logique conduit à un impact du cycle financier sur la macroéconomie, exprimé par un ensemble de relations dites de « l’accélérateur financier » qui amplifie les effets des variations de l’endettement et des prix des actifs financiers sur la demande d’investissement et de consommation, mais aussi sur les coûts de production et donc les prix. De là découle la possibilité de la fameuse « stagnation séculaire ». Telle est l’une des thèses exposées par Michel Aglietta, professeur émérite à l’université Paris-Nanterre, conseiller scientifique au CEPII et à France Stratégie, et qui a été membre de l’Institut universitaire de France et du Haut Conseil des finances publiques.
A lire aussi: Livre – Fâché comme un Français avec l’économie de Pierre Robert
Avec les contributions de Michel Aglietta (université Paris-Nanterre et CEPII), Luc Arrondel (Paris School of Economics), Gilles Dufrénot (université Aix-Marseille), Etienne Espagne (Agence française de développement), Anne Faivre (Caisse des dépôts et consignations), Yann Guy (université Rennes-II), André Masson (Paris School of Economics), William Oman (université Paris-I), Renaud du Tertre (université Paris-Diderot), c’est un livre certes difficile, qui comprend quelques équations et de nombreux chiffres , mais qui reste accessible au lecteur non-économiste. Comment comprendre le monde actuel et ses réels enjeux, sans prendre connaissance de ses rouages économiques qui, s’ils ne déterminent pas entièrement nos destins, les façonnent dans une grande mesure. Régulièrement secoué par des crises (1929, 1987, 2000 et 2007-2008), ce capitalisme que l’on a appelé un peu vite « de casino » fait peser une menace d’instabilité sur nos sociétés. L’emprise du cycle financier sur les économies est particulièrement forte dans la zone euro, car elle entraîne une profonde divergence macroéconomique entre les pays membres. Il existe, en effet, un clivage entre des pays membres où le cycle financier a été à grande amplitude et d’autres où il a été à faible amplitude. En outre, l’Allemagne a un cycle financier atypique : très amorti en amplitude et asynchrone par rapport aux autres pays. Ces divergences très marquées après la création de l’euro, que les politiques économiques ont ignorées, sont à l’origine de la crise de la zone euro et des différences persistantes concernant la croissance et l’inflation. Le capitalisme financiarisé et largement monopolisé est devenu une économie de rente, où l’Allemagne est atypique car la rente y est logée dans un gigantesque excédent extérieur, équivalent à 7,3% du PIB, un taux élevé, cependant inférieur à ceux de la Suisse (10,2 % du PIB), des Pays -Bas (9,2%) ou du Danemark (8,3%).
A lire aussi: Le resserrement du dollar s’intensifie
Ce capitalisme est responsable de l’explosion des inégalités sociales, phénomènes bien documentés, et de la destruction des ressources planétaires et du climat, ruptures majeures qui mettent en danger la survie des générations futures. C’est l’ère du capitalocène qui a soumis le temps géologique au temps historique de l’accumulation du capital. Comme l’unité de la nature et de la société est essentielle à leur viabilité conjointe, l’appropriation privée des ressources de la planète est aussi une destruction des liens sociaux. D’où l’enjeu de ce livre majeur qui est de montrer que l’on peut « civiliser le capitalisme ». En réintégrant l’économie dans les rapports sociaux et en restaurant les biens communs, on peut remettre le capitalisme sur le sentier d’une croissance inclusive et soutenable. Ce livre pose les bases conceptuelles de cette transformation, qui passe par la démocratie participative, afin d’articuler justice sociale et écologie politique. Il s’agit de changements structurels de grande ampleur qui s’inscrivent dans la durée. Un livre fondamental pour penser autrement et à long terme les rapports entre finance, croissance et climat et leur insertion dans nos sociétés contemporaines, en définitive, beaucoup plus vulnérables que l’on ne l’avait cru, comme le démontre la crise du Covid-19.