Retrouver le sens des victoires françaises

21 novembre 2019

Temps de lecture : 7 minutes

Photo : Nimes, le 11 novembre 2014 - square du 11 novembre - Ceremonie Commemorative de l'amistice du 11 novembre. Numéro de reportage : 00697778_000007

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Retrouver le sens des victoires françaises

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La Malmaison est une bataille oubliée et pourtant importante dans l’histoire de la Première Guerre mondiale. Ce cas est symptomatique de la mémoire française qui insiste toujours sur les défaites et très peu sur les victoires, oubliant ainsi le génie militaire français. Dans l’adversité, c’est pourtant la force morale qui permet de l’emporter en menant les sacrifices nécessaires.

Des événements glorieux disparaissent parfois, et peut-être même trop souvent en France, de la mémoire des Hommes. Ainsi en est-il de la bataille de la Malmaison remportée par les Français dans l’Aisne le 25 octobre 1917 et dont l’anniversaire vient juste d’être célébré. Si le centenaire de la Première Guerre mondiale a donné l’occasion aux Français de redécouvrir ces quatre années de lutte acharnée, c’est pourtant bien l’échec de l’offensive menée par Nivelle au Printemps qui a été mis en avant lors du « cycle remémoratif de 2017 » (sic), braquant une fois de plus les projecteurs sur cette hécatombe, les révoltes qui ont suivie, leur répression et la question de la réhabilitation des mutins, des sujets habituels d’intérêt pour la sphère médiatique.

Par Christophe Bizien. Officier d’active. Il a servi dans la Légion étrangère, puis il a commandé le 19e Régiment du Génie de 2016 à 2018. Il a été projeté sur plusieurs théâtres d’opération (Bosnie, Afghanistan, Irak et opérations SERVAL puis BARKHANE en bande sahélo-saharienne).

Une victoire nette pour l’armée française

Ce choix et cette focalisation compulsive ont une fois de plus repoussé un peu dans l’ombre le véritable épilogue des combats menés sur le Chemin des Dames en 1917 : l’offensive réussie en octobre dans le secteur clef du fort de la Malmaison. Des objectifs certes plus limités qu’en avril, et c’était justement à dessein, les chefs militaires français ayant tiré toutes les leçons du revers précédent. Une victoire nette et incontestable cependant (atteinte de tous les objectifs, reprise de la totalité de la crête du Chemin des Dames, 200 canons pris à l’ennemi, 50 000 pertes du côté allemand contre 14 000 du côté français) et qui surtout, après une année très éprouvante, redonna à l’époque confiance et moral aux Poilus. Mais une victoire presque complètement oubliée ou ignorée 100 ans après. Il est vrai que le commandant-en-chef des armées françaises n’était autre que le général Pétain… Frappé d’indignité nationale 30 ans plus tard, le généralissime a emporté dans sa déchéance une partie de ses poilus et leurs faits d’armes. Nous connaissions l’antique « vae victis » ! L’époque contemporaine a engendré le « vae victoribus ». Malheur aux vainqueurs …

D’une façon générale, les Français se souviennent facilement de leurs défaites. Il est permis d’espérer qu’ils retrouvent un jour le goût et le souvenir de leurs victoires.

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La guerre de Cent Ans, période structurante de notre histoire au cours de laquelle seraient nées, en réaction à l’occupation anglaise, les prémices d’un sentiment national français, n’évoque souvent dans la mémoire de nos compatriotes que des noms de défaites : L’Écluse, Crécy, Azincourt, Poitiers … Une succession de revers incontestables, mais qui ne restent au fond que des batailles dans la guerre. Étrangement, les batailles de Formigny et de Castillon, victoires françaises définitives de la guerre de Cent Ans, qui par la reconquête successive de la Normandie en 1450 puis de l’Aquitaine en 1453, marquent la fin de ce conflit séculaire, ne bénéficient absolument pas aujourd’hui de la même notoriété. De la même façon, ils étaient peu nombreux les Français qui se rassemblèrent place Vendôme autour de la colonne éponyme en ce soir du 2 décembre 2005 pour célébrer le bicentenaire de la grande victoire d’Austerlitz, alors que le gouvernement britannique avait fêté en grande pompe six mois plus tôt la bataille de Trafalgar en présence du porte-avions Charles de Gaulle et d’un sous-marin nucléaire d’attaque français. Étrange paradoxe.

Les victoires oubliées

Il reste vrai cependant que les Français sont traditionnellement sensibles au courage dans la défaite, au panache dans l’épreuve, quand tout semble perdu, et parfois l’est déjà, à l’exemple du sacrifice des légionnaires de Camerone ou des parachutistes de Diên Biên Phu. L’esprit français, c’est aussi le beau geste et la belle parole, qui s’incarnent dans la sentence célèbre de François Ier, adressée à sa mère Louise de Savoie, au soir de la défaite de Pavie ou dans les mots de Cyrano au moment de passer à trépas :

« (La mort) vient. Je me sens déjà botté de marbre, Ganté de plomb ! Oh ! mais !… Puisqu’elle est en chemin, Je l’attendrai debout, et l’épée à la main ! […] Que dites-vous ?… C’est inutile ?… Je le sais ! Mais on ne se bat pas dans l’espoir du succès ! Non ! non, c’est bien plus beau lorsque c’est inutile ! »

Mais il ne s’agit plus désormais tout à fait de cela. Si notre attention se porte plus à nos défaites qu’à nos victoires, c’est certainement parce que nous avons un peu perdu nos rêves de Grandeur et nos passions collectives. N’est-il pas urgent de raviver ces désirs ? Car former une Nation, n’est-ce pas justement honorer le passé et affirmer notre volonté de le perpétuer, selon les mots de Renan :

« Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. »

En 2018, mettant un terme aux commémorations, nous avons beaucoup célébré et chanté la Paix. Cela est louable. Mais a-t-on aussi fêté la Victoire ? Cette victoire gagnée, arrachée par les Poilus un 11 novembre au terme de quatre années de lutte héroïque ?

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Si certains de nos compatriotes apparaissent parfois si embarrassés, si ce n’est complexés, à l’égard des victoires remportées par leurs aïeuls, c’est peut-être au fond qu’ils ne sont pas complètement guéris des illusions de la paix à tout prix, même 71 ans après la terrible leçon des accords de Munich. Cet esprit du temps est magnifiquement incarné par le « Mur pour la paix », cette imposante charpente artistique élevée en 2000 sur le champ de Mars, Dieu de la Guerre des Romains, devant l’École militaire, qui abrite notamment l’École de Guerre. Tout un symbole ! Si ce n’est une provocation. Ce monument, sur lequel est écrit, martelé, le mot Paix dans 49 langues différentes, défie sciemment la statue équestre de Joseph Joffre, le vainqueur de la Marne, en lui faisant exactement face, à quelques mètres à peine. Le monument édifié à la gloire du maréchal est de son côté plutôt mal entretenu. Les taches de rouille souillent le piédestal. Il faut désormais s’approcher pour déchiffrer les inscriptions. On y lit alors le magistral ordre du jour du 6 septembre, diffusé à l’aube de la contre-offensive :

« Au moment où s’engage une bataille dont dépend le sort du pays, il importe de rappeler à tous que le moment n’est plus de regarder en arrière. Tous les efforts doivent être employés à attaquer et à refouler l’ennemi. Une troupe qui ne peut avancer devra, coûte que coûte, garder le terrain conquis et se faire tuer sur place plutôt que de reculer. Dans les circonstances actuelles, aucune défaillance ne peut être tolérée ».

Et dix jours plus tard, par un miracle dont seul le génie français est capable, la situation était rétablie. Mais ces mots, ce discours seraient aujourd’hui abhorrés, conspués par les moralisateurs. Mais que fallait-il faire et dire le 6 septembre 1914, alors que les Allemands se trouvaient à 50 kilomètres de Paris ? Leur ouvrir les portes de la ville et signer un armistice comme plus tard en mai 1940 ? Ne nous leurrons pas ! Ce ne sont pas des lâchés de ballons multicolores, d’émouvantes chansonnettes d’écoliers ou des minutes de silence qui ont arrêté les Allemands en septembre 1914, mais le sang-froid des élites, l’immense courage de tout un peuple et singulièrement l’esprit guerrier du soldat français !

La paix se gagne par un esprit guerrier

Péguy avait bien connu et combattu ce pacifisme effréné avant la Grande Guerre, ce qui l’a amené à rompre avec certaines amitiés. C’est ce même Péguy qui devait tomber héroïquement lors des premières heures de cette bataille de la Marne, incarnant lui-même par son sacrifice les paroles magnifiques de son poème mystique écrit en 1913 :

« Heureux ceux qui sont morts pour la terre charnelle, Mais pourvu que ce fût dans une juste guerre […] Heureux ceux qui sont morts dans les grandes batailles, Couchés dessus le sol à la face de Dieu […] Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés » …

De Péguy à son maître Bergson, il n’y a qu’un pas. Nous aurions également intérêt à méditer aujourd’hui cette réflexion du philosophe français :

« Plus grande est la portion du passé qui tient dans son présent, plus lourde est la masse qu’il pousse dans l’avenir pour presser contre les éventualités qui se préparent : son action, semblable à une flèche, se décoche avec d’autant plus de force en avant que sa représentation était plus tendue vers l’arrière. ».

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« Pour presser contre les éventualités qui se préparent… » Pour faire face aux défis immenses du temps présent, et à ceux qui ne manqueront pas de surgir par surprise, n’hésitons pas à puiser des forces dans ce passé, à nous appuyer sur le socle édifié par les générations qui nous ont précédés, à célébrer leurs victoires avec reconnaissance et fierté. Car elles sont aussi les nôtres puisque nous les avons reçues en héritage. Il est certes nécessaire d’admettre ses erreurs. Il est également indispensable, pour l’estime de soi, de reconnaître avec lucidité ses réussites. Revisiter notre histoire de façon positive et commémorer sans demi-mesure, en y associant activement la jeunesse qui est l’avenir de la Nation, les gloires françaises passées ne pourra que contribuer à redonner confiance à notre pays. Un besoin essentiel tant il est vrai que les forces morales sont de loin les plus déterminantes dans l’adversité. Nul doute qu’il en faudra dans le futur, car l’Histoire ne s’arrête jamais.

Ils étaient peu nombreux rassemblés sur le Chemin des Dames fin octobre 2017 pour le Centenaire de la Malmaison : de remarquables et courageuses associations commémoratives, quelques élus municipaux et départementaux, les autorités préfectorales. Un régiment : le 19e Régiment du Génie dont l’inscription « la Malmaison – 1917 » brille depuis un siècle dans les plis de son drapeau, une marque indélébile de l’héroïsme de cette unité pendant la Grande Guerre. Les Sapeurs du 19 sont restés fidèles cette année pour le 102e anniversaire. Non pour pleurer leurs anciens, mais pour les honorer et témoigner de ce qu’ils ont accompli avec courage, et succès, sur cette terre de France.

Un peuple a besoin de symboles pour faire corps. Étymologiquement, le symbole est en effet ce qui unit, ce qui rassemble. Les victoires, les héros en font partie au premier titre. En 2018, le sacrifice du colonel Arnaud Beltrame a permis à la France de retrouver l’amour de ses héros. Il ne lui reste plus qu’à redécouvrir celui de ses victoires.

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Général Christophe Bizien, commandant la brigade du Génie (Angers). Il a servi dans la Légion étrangère, puis il a commandé le 19e Régiment du Génie de 2016 à 2018. Il a été projeté sur plusieurs théâtres d'opération (Bosnie, Afghanistan, Irak et opérations SERVAL puis BARKHANE en bande sahélo-saharienne).
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