<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La guerre au Burkina Faso

6 juillet 2020

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La guerre au Burkina Faso

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Dans l’ouest de la région sahélo-guinéenne, le Burkina Faso constitue actuellement la principale cible des groupes armés terroristes (GAT). Ayant des frontières communes avec le Niger, le Mali, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Togo et le Bénin, le pays est un verrou régional dont l’effondrement pourrait avoir des conséquences incalculables dans toute la sous-région.

La désintégration du Burkina Faso a commencé en 2014, après que le président Blaise Compaoré ait été chassé du pouvoir. À Paris, les « grandes consciences de gauche » saluèrent le départ de ce fidèle allié de la France, comme une victoire de la « démocratie » et des « droits de l’homme ». Une fois de plus, l’idéologie avait donc percuté, à la fois nos intérêts et ceux des populations africaines.

Résultat, le RSP (Régiment de sécurité présidentielle), seule force militaire efficace dans la sous-région, fut dissous et ses 1 400 hommes commandés par le général Gilbert Diendéré devinrent des suspects[1]. Plus grave encore, alors que Blaise Compaoré s’appuyait sur la chefferie traditionnelle, assurant à travers elle une présence de l’autorité centrale, le maillage étatique fut détruit après son départ.

Dès 2015, les groupes armés terroristes (GAT) profitèrent de l’opportunité qui leur était offerte et ils prirent pied dans un pays jusque-là préservé. Ils s’implantèrent d’abord dans la province du Soum limitrophe du Mali, puis dans celles d’Oudalan et de Seno (voir la carte), toutes deux à forte population peule et où le contentieux ethnique régional est ancien. Avant la colonisation, les populations vivant le long du fleuve Niger et dans ses plaines alluviales, qu’il s’agisse des Songhay, des Djerma ou des Gourmantche, étaient en effet prises en étau entre deux poussées prédatrices, celle des Touareg au nord et celle des Peuls au sud. Celle des Touareg s’exerçait depuis le désert au nord du fleuve Niger, celle des Peuls à partir d’émirats dont celui du Liptako figuré sur la carte.

Accroissement des attaques terroristes

L’année 2016 vit l’explosion des attaques terroristes. Elles se produisirent naturellement dans la province du Soum en contagion des événements du Macina malien, mais aussi dans l’est du pays, y provoquant de fortes réactions ethniques. Le 2 mars 2016, la capitale, Ouagadougou, fut le théâtre d’un attentat sanglant revendiqué par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM).

Durant l’année 2017, la tache terroriste s’étendit, puis, en 2018, furent touchées à leur tour les régions peu peuplées de l’est et du centre-est où existait une tradition de banditisme de brousse. Les GAT achevèrent d’y détruire le faible maillage administratif en attaquant gendarmeries et casernes et en brûlant les écoles. Laissées sans protection, les populations s’armèrent et elles constituèrent des groupes d’autodéfense qui s’attaquèrent aux Peuls suspectés d’être de connivence avec les GAT.

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Durant les derniers mois de l’année 2018 et tout au long de l’année 2019, la contagion terroriste toucha l’est de la région de Fada-Ngourma autour de Gourmantché. Ici aussi, abandonnées par l’armée et par l’administration, les populations levèrent des milices, notamment en pays mossi, ce qui amplifia encore la tension ethnique, ce dont profitèrent les djihadistes. Les représailles se multipliant, la cohésion ethnique du Burkina Faso fut alors remise en question.

L’identité djihadiste en question

Qui sont ces hommes qui font régner la terreur dans le pays ? S’agit-il de véritables djihadistes ou bien de « bandits djihadisés » ? La réponse est complexe, car les composantes de ces groupes sont diverses. Une chose est cependant certaine, le facteur religieux motivant leurs membres est secondaire. Rapidement baptisés « djihadistes », ces insurgés se sont en effet soulevés pour des motifs locaux dans lesquels la religion est quasiment absente. Cependant, les raisons de leur colère sont utilisées et même captées par les djihadistes. En réalité, à de petits noyaux de religieux sont venus s’agréger tout ce que les régions concernées peuvent compter de mécontents, de bandits traditionnels, d’orpailleurs, de braconniers et d’éleveurs dont les troupeaux sont razziés.

L’actuelle désintégration du Burkina Faso a donc d’abord des causes endogènes. Ainsi :

– Dans le sud-est, le déclencheur de la déstabilisation fut la création de zones faunistiques protégées dont la conséquence fut à la fois la restriction des activités de transhumance, la fin des défrichages, l’interdiction de la chasse, des activités d’orpaillage et parfois même des déguerpissements de populations. Les djihadistes ont promis à ceux qui subissaient cette situation nouvelle de rendre la liberté des terres en supprimant l’immense réserve naturelle d’où les villageois avaient été expulsés et dans laquelle ils autorisent la chasse et l’extraction de l’or.

– Dans le nord du pays, en dehors du cas particulier du Soum, la principale question qui se pose est celle de l’opposition entre colons mossi et indigènes. Ici, la migration de paysans mossi à la recherche de terres exerce une forte pression sur le foncier, d’où des tensions avec les ethnies autochtones.

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Le phénomène a été aggravé par la loi de 2009 sur le foncier rural qui reconnaît la pleine propriété aux migrants agricoles après trente années d’occupation continue, ce qui est ressenti comme une spoliation par les indigènes qui parlent de colonisation mossi. Le phénomène a été une fois encore aggravé par la démocratie, car, étant donné que ces colons mossi votent, ils ont donc une influence sur les élections des maires et des chefs de villages, lesquels détiennent les clés de l’accès au foncier. Nous sommes là face à une réalité bien étudiée en Côte d’Ivoire avec la colonisation agricole du pays des Kru-Bété par les colons nordistes et baoulé. Un « grand remplacement » en quelque sorte…

– Dans les provinces limitrophes du Macina malien, notamment dans la province du Soum, la création de la filière rizicole a attiré des paysans mossi, gourmantché et fulsé-kurumba. Or, les rizières ont été créées sur des terrains humides qui étaient indispensables aux éleveurs peuls. Devenus majoritaires dans certaines parties de la province, ces colons ont contesté l’autorité de l’émir peul dans la désignation des chefs de villages et les djihadistes ont donc facilement profité de l’exaspération des Peuls.

Dans les provinces à importants noyaux de peuplement peul, les conflits opposent éleveurs et agriculteurs. Recrutant chez les Peuls, les GAT s’attaquent aux Mossi, lesquels ont constitué des groupes d’autodéfense, les Koglweogo, gardiens de la brousse en mooré, la langue des Mossi. Les Koglweogo recrutent également chez les Fulsé (Kurumba). Ces miliciens sont vus comme le bras armé de l’expansionnisme mossi et les Peuls, qui sont leurs victimes, organisent leur autodéfense vue par les non-Peuls comme une forme de djihadisme.

Quelle suite pour ces groupes ?

Les chefs (« émirs ») de ces GAT ont-ils une stratégie ? Ont-ils décidé de déstabiliser le Burkina Faso afin de s’ouvrir un couloir vers les pays du littoral, Bénin[2], Togo, Ghana et Côte d’Ivoire ? Sommes-nous face à la reprise du grand mouvement de poussée de certains peuples sahéliens vers l’océan, mouvement qui avait été bloqué par la colonisation et qui renaîtrait donc aujourd’hui sous paravent islamique et à la faveur de la déliquescence des États ? Ou bien ne sommes-nous pas tout simplement en présence de groupes opportunistes n’ayant aucune vocation à la coagulation mais qui, à l’image des groupes antagonistes qui formèrent la Séléka en Centrafrique, pourraient s’engerber dans une entreprise de razzia régionale ?

Quoi qu’il en soit, en dépit de ses causes endogènes, la question du Burkina Faso s’inscrit clairement dans un cadre sous-régional englobant le sud du Mali, le Niger fluvial, le nord de la Côte d’Ivoire, du Ghana, du Togo et du Bénin. Dans toutes ces régions, le soubassement de la dislocation est formé par la résurgence active ou potentielle de conflits antérieurs à la période coloniale. Renaissant actuellement sous forme de querelles paysannes amplifiées par la surpopulation et par la péjoration climatique, ils entrent ensuite tout à fait artificiellement dans le champ du djihad.

Dans le Mali central et dans le nord du Burkina Faso, les actuels massacres ethniques découlent ainsi d’abord de conflits datant de la fin du xviiie siècle et de la première moitié du xixe, quand la région fut conquise par des éleveurs peuls dont l’impérialisme s’abritait derrière le paravent du djihad comme je l’explique dans mon livre Les guerres du Sahel des origines à nos jours.

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Il faut en effet bien voir que c’est d’abord sur le socle de ces souvenirs toujours présents dans les mémoires que le sud du Mali, l’ancien Macina historique, région administrative de Mopti, s’embrasa avant de déborder au Burkina Faso. En partie composé du delta intérieur du Niger, la région est partiellement inondée une partie de l’année, donnant naissance à des zones exondées très fertiles convoitées à la fois par les agriculteurs dogon (± 45 % de la population), Songhay ou Bambara, ainsi que par les éleveurs peuls (± 30 %).

Or, les djihadistes du Macina sont essentiellement des Peuls et les attentats de 2015 et 2016 qui ensanglantèrent Bassam en Côte d’Ivoire, Ouagadougou au Burkina Faso, Bamako et Sévaré au Mali, furent commis par des Peuls du Macina. De plus, au mois de janvier 2015, un Peul du Macina, Amadou Koufa, de son vrai nom Amadou Diallo, créa le FLM (Front de libération du Macina), connu localement sous le nom de Katiba Macina. Et Amadou Koufa a clairement ancré sa revendication sur l’ethnie peule demandant aux Peuls de se soulever et cela « […] où qu’ils se trouvent : au Sénégal, au Mali, au Niger, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, au Nigeria, au Ghana et au Cameroun ».

L’ethnisation du conflit a donc pris une forme de plus en plus radicale.

 


Les guerres du Sahel des origines à nos jours. 280 pages, 60 cartes. 35 euros port Colissimo inclus. UE  41 euros.

Disponible uniquement via L’Afrique réelle www.bernard-lugan.com, soit par PayPal, soit par chèque, BP 45, 42 360 Panissières.

[1] En 2019, il a été condamné à trente ans de prison pour son rôle dans le coup d’État manqué du mois de septembre 2015.

[2] C’est dans le parc de la Pendjari qu’au mois de mai 2019 furent enlevés deux touristes français dont la libération se fit au prix de la mort de deux commandos des forces spéciales françaises.

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À propos de l’auteur
Bernard Lugan

Bernard Lugan

Universitaire, professeur à l'École de Guerre et aux Écoles de Saint-Cyr-Coëtquidan. Expert auprès du TPIR (Tribunal pénal international pour le Rwanda). Directeur de la revue par internet L'Afrique réelle.
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