Entre la catastrophe annoncée du Brexit et l’épidémie du coronavirus, la peur qui nous gagne peut devenir légitime. Mais deux outils peuvent nous aider à y faire face : l’analyse critique de l’information et la formation.
L’épidémie de coronavirus n’a pas été attribuée au Brexit ; c’est bien l’une des rares catastrophes dont le populisme ne semble pas être responsable. Pourtant, depuis 2016, les commentateurs annonçaient que, s’il quittait l’Union européenne, les dix plaies d’Égypte allaient s’abattre sur le Royaume-Uni. À ce jour, la Tamise n’a pas été changée en sang et les sauterelles ne se sont pas abattues sur les Cornouailles. Le Royaume-Uni affiche un très faible taux de chômage et continue d’attirer les meilleurs lycéens français, qui préfèrent de plus en plus poursuivre leurs études dans les universités anglaises. La guerre civile n’a pas encore éclaté en Irlande et l’Écosse ne s’est pas détachée de son voisin anglais. S’il est trop tôt pour faire un bilan du Brexit, force est de constater que toutes les prévisions catastrophistes n’ont pas eu lieu. Encore une fois, beaucoup de commentateurs et d’hommes politiques ont soufflé sur la peur en annonçant le pire et tout cela ne s’est avéré être que du vent.
La peur est une arme politique
Elle empêche toute réflexion, toute prise de distance ; elle attise les passions, elle radicalise les opinions, elle désigne à la vindicte populaire le bouc émissaire qu’il faut égorger. La peur annihile la spécificité des personnes pour ne créer que des groupes de masse allant dans le sens imposé. Elle est la première ennemie des libertés et des démocraties. En Chine, Xi Jinping tente de profiter de la peur causée par l’épidémie pour renforcer la centralisation du pouvoir et le contrôle des populations. Ailleurs, c’est la peur agitée de l’ennemi extérieur qui justifie l’embrigadement des masses et la militarisation de la jeunesse. L’effet de sidération empêche toute distance et toute réflexion, aboutissant à la dictature de la majorité ; ce nouveau despotisme perçu avec crainte par Tocqueville.
À lire aussi: « Coronavirus : beaucoup de bruit pour rien ? »
La formation et la culture sont les remparts de la peur
Ce sont elles qui évitent de tomber dans l’ornière de la démagogie et du mensonge et qui seules assurent la formation des peuples libres. François Guizot avait perçu ce danger de servitude. Il ne peut y avoir de démocratie qu’avec un peuple formé et éduqué ; l’ouverture des écoles doit donc précéder l’ouverture du suffrage universel. D’où la loi scolaire de 1833, qui favorisa l’ouverture d’école dans presque toutes les villes et tous les villages de France. Un pays n’est libre que lorsque ses habitants sont suffisamment instruits pour percevoir la complexité du monde. Force est de constater que le pays qui se réclame de Descartes et de la raison tombe bien souvent dans l’obscurantisme scientifique, qui laisse le vent de la peur souffler sur les esprits. Sur l’agriculture, l’économie, le climat, les relations internationales etc., le pluralisme intellectuel est contrarié par l’absence de débat et l’interdiction des mises en perspective. Au lieu de proposer à la jeunesse de s’instruire et de passer du temps dans les bibliothèques pour lire les classiques, se plonger dans les sciences, se frotter à des disciplines inconnues, on lui propose des marches et des manifestations qui ne conduisent nulle part. Au lieu d’allumer les lumières de son esprit pour éclairer les mondes qu’elle doit parcourir, on lui fait croire que les monstres qu’elle voit se dessiner sur les murs de sa chambre d’enfant sont réels. Les peurs de l’an 2000 hypnotisent, décérèbrent, asservissent. Cette société du mensonge ne peut aboutir qu’à des drames : drogues pour certains, sectes pour d’autres, mouvements radicaux pour quelques-uns.
À lire aussi: « Droit et devoir d’ingérence : exporter la démocratie au nom du droit ? »
S’informer et savoir analyser
Bien sûr, chacun a ses biais cognitifs, ses préférences, ses aveuglements. Mais savoir s’informer et s’abreuver aux sources non frelatées est vitale. Le renseignement est le nerf de la guerre pour les États, les entreprises et les particuliers. « Ils s’instruisent pour vaincre » affirme la devise de Saint-Cyr. Encore faut-il être capable de trier l’information, l’interpréter, l’analyser. Seule l’instruction est capable de chasser les peurs et, de là, former des hommes libres, des hommes de combat, comme le rappelait Paul Claudel : « La jeunesse n’est pas faite pour le plaisir, elle est faite pour l’héroïsme. »