<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Entretien avec Flavio Werneck Meneguelli – La criminalité, problème n°1 au Brésil

28 juin 2020

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Intervention de l'armée brésilienne dans les favelas de Rio en 2017 © Bruno Itan/AGIF/SIPA Numéro de reportage : 00824246_000027

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Entretien avec Flavio Werneck Meneguelli – La criminalité, problème n°1 au Brésil

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Avec 3 % de la population mondiale, le Brésil concentre à lui seul 14 % des homicides de la planète. L’insécurité – qu’elle soit physique, politique, juridique, économique ou financière – demeure la préoccupation première des Brésiliens. Tour d’horizon sans tabou avec Flavio Werneck Meneguelli, vice-président de la Fédération nationale des policiers fédéraux.

Propos recueillis par Bruno Racouchot

Conflits : Le Brésil est considéré comme l’un des pays les plus criminogènes au monde. Cela correspond-il à la réalité et comment l’expliquez-vous ?

Flavio Werneck Meneguelli : Ce constat est malheureusement fondé et correspond à la réalité du Brésil d’aujourd’hui. Nous avons des indices de violence astronomiques (voir encadré). En outre, nous devons faire face à une corruption érigée en système. Si l’on s’en rapporte au Contrôle général de l’Union (équivalent de la Cour des comptes), 80 % des mairies qui ont fait récemment l’objet de contrôles fiscaux présentaient des irrégularités graves ou sérieuses, révélatrices de détournements de fonds publics à l’échelle fédérale. Un tiers de ces mairies ont déjà subi des redressements fiscaux.

Parallèlement à cela, si l’on prend en compte l’Indice de développement humain (revenu par tête, années d’études et espérance de vie) établi par le PNUD, le Brésil se classe en 75e position sur 188 pays, alors qu’il s’impose en même temps comme la 8e économie mondiale… De tels chiffres s’expliquent en partie par la faillite d’un système efficace de suivi de la criminalité, d’où une prévention inopérante et in fine l’impunité dont bénéficie le système criminel brésilien.

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Conflits : Existe-t-il une véritable mafia ou doit-on parler « seulement » de gangs ?

Flavio Werneck Meneguelli : On recense environ 80 organisations criminelles qui se disputent notamment le trafic de drogue, la contrebande, le braquage de banques et de distributeurs. Trois d’entre elles dominent la scène criminelle, tant par l’importance de leurs réseaux que par leur structuration financière : le PCC, Premier commando de la capitale ; la FDN, Famille du nord ; le CV, Commando rouge. Ces organisations placent au sein des entités gouvernementales des hommes à eux, pour influer sur la conduite des affaires publiques et amplifier encore une corruption endémique leur permettant d’accroître toujours plus leur emprise sur la société. Elles agissent, chacune de leur côté, au sein des trois pouvoirs, exécutif, législatif, judiciaire.

L’accroissement des enquêtes de corruption et de criminalité en col blanc au cours de ces vingt dernières années a montré que les grandes entreprises, les fonctionnaires et les politiciens se sont organisés pour détourner de colossales sommes d’argent public. Des opérations telles que Lava Jato ne révèlent que la pointe émergée d’un mal qui ronge nos finances et sape la confiance en nos institutions. Au Brésil, la corruption est devenue endémique. Elle ne se cantonne pas à une région. Elle gangrène l’ensemble du tissu social et du spectre politique, et plus généralement toutes les instances de pouvoir.

Conflits : Que coûte ce phénomène au Brésil ? Pouvez-vous en donner une idée par quelques chiffres ?

Flavio Werneck Meneguelli : Selon l’ONU et le Ministère public fédéral, la corruption a coûté au pays, en 2017, 200 milliards de reais (environ 50 milliards d’euros). Néanmoins, le préjudice va bien au-delà.

La démocratie brésilienne elle-même se trouve mise en situation d’échec. Selon l’Association des magistrats brésiliens, 73 % de nos concitoyens s’abstiennent de participer à quelque association que ce soit, politique ou sociale. Des données officielles récentes montrent que plus de 38 % des Brésiliens ne se rendront pas aux urnes, ou encore voteront nul ou blanc (N.D.L.R. : au Brésil, le vote est obligatoire), tendance confirmée par de nombreux instituts. Pis encore, le soutien populaire à la démocratie est seulement de 32 %, à peine mieux qu’au Guatemala (30 %) et très en dessous de la moyenne relevée en Amérique latine (54 %).

On le voit, l’absence de perspectives et la culture de la corruption affectent directement la société brésilienne. Une étude de l’université de Brasilia montre ainsi que 50,3 % des Brésiliens engageraient volontiers des parents dans les services publics s’ils étaient en mesure de le faire ; et que 28,1 % utiliseraient – s’ils le pouvaient – des cartes professionnelles à des fins personnelles. 22,5 % des fonctionnaires du service public reconnaissent avoir déjà enfreint la loi et 18,1 % avoir reçu une commission ou un pot-de-vin pour satisfaire une demande légitime d’un citoyen. Clairement, ces données ont un effet direct ou indirect sur notre économie !

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Conflits : Il semble que l’intervention de l’armée dans les favelas de Rio n’ait pas été couronnée de succès. Qu’en est-il exactement ?

Flavio Werneck Meneguelli : En matière de sécurité publique, le recours aux forces armées doit être exceptionnel, limité à des situations de crise. L’intervention que vous évoquez a eu lieu dans un maelström politique extrêmement compliqué. Elle se déroule d’ailleurs sans aucune modification du système de sécurité publique. Pour prendre une image triviale, nous appliquons un analgésique sans offrir d’antibiotique.

L’actuelle intervention court ainsi à un échec probable, imputable à deux causes majeures : le recours régulier aux forces armées (qui devrait être tout à fait exceptionnel) et surtout l’absence de projet réellement structuré pour engager une mutation du système actuel de sécurité publique. Quid aujourd’hui des actions de prévention ? Quid des investissements en matière d’éducation et d’urbanisme ? Quid de la simplification des circuits administratifs et judiciaires ?…

Conflits : Que fait la police contre le crime organisé ? Et que pourrait-elle faire de plus ?

Flavio Werneck Meneguelli : L’actuel modèle d’enquête de la police ne permet pas de mettre en pleine lumière l’activité de nombre d’organisations criminelles, en premier lieu celles qui s’attaquent directement à l’argent public. Ont ainsi été créées dans les différents états du pays des structures dédiées – comme les Groupes spéciaux de combat contre le crime organisé – qui s’efforcent de cerner au plus près les agissements de ces organisations et de partager les informations visant à les contrer. Ce qui ne se fait pas sans mal ! Récemment, le gouvernement a approuvé la mise en œuvre du Système unique de sécurité publique, lequel, à travers une organisation centralisée de renseignement, vise à optimiser la circulation des informations, notamment en matière financière, cœur du système criminel. Le gouvernement commence d’ailleurs à conclure des accords bilatéraux avec les pays frontaliers, permettant l’échange d’informations et de renseignements.

Les défis en matière de lutte contre le crime organisé sont énormes. Et l’équilibre est parfois délicat à tenir entre le respect des droits fondamentaux garantis par la constitution et la nécessité d’un combat impitoyable contre les criminels. Avec une difficulté supplémentaire imputable au fait que le droit pénal brésilien est, au quotidien, lent, procédurier et complexe. D’où parfois, de la part de la population, un profond sentiment d’injustice dû à l’impunité dont bénéficieraient les criminels.

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Voilà pourquoi nous devons au plus vite adopter, en matière de sécurité publique, des principes qui donneront rapidement des résultats tangibles : investissements sérieux en matière de prévention, formation renforcée pour tous les acteurs de la sécurité publique, simplification des procédures juridiques définissant clairement les rôles et compétences de la police et du pouvoir judiciaire, limitation sérieuse des recours en matière pénale et enfin application réelle des peines prononcées.


En 2016, le Brésil a atteint le seuil historique de 62 517 homicides (chiffres du ministère de la Santé), ce qui équivaut à un taux de 30,3 pour 100 000 habitants, soit 30 fois le taux relevé en Europe. Sur les seules dix dernières années, le Brésil a enregistré 553 000 homicides. En 2016 toujours, la police brésilienne a enregistré 49 497 cas de viols, dont la moitié concerne des victimes de moins de 13 ans. (Atlas da Violência 2018, Ipea et Fórum Brasileiro de Segurança Pública – FBSP). Les coûts économiques de la criminalité ont augmenté de façon significative entre 1996 et 2015, passant de 113 milliards de reais à 285 milliards de reais (environ 70 milliards d’euros), soit un taux de croissance de 4,5 % par an, volume équivalant à 4,38 % du PIB en 2015. (Custos econômicos da criminalidade no Brasil, juin 2018).


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Bruno Racouchot

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