<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Bosworth (22 août 1485) – « Mon royaume pour un cheval ! »

14 janvier 2023

Temps de lecture : 8 minutes

Photo : La mort de Richard à Bosworth, chronique de 1485

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Bosworth (22 août 1485) – « Mon royaume pour un cheval ! »

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Sans l’une des plus célèbres répliques de Shakespeare[1], se souviendrait-on encore de la dernière bataille du Moyen Âge anglais et de l’éphémère roi Richard III, tentant vainement de renverser un sort contraire ?

Aussi impitoyable et mouvementée que celles pour le Trône de fer, la guerre des Deux-Roses (1455-1485) déchira l’Angleterre entre deux lignées dynastiques ayant pour emblème une rose : rouge pour le clan des Lancastre, blanche pour celui des York[2]. La bataille de Bosworth Field n’en est que l’ultime péripétie.

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Un roi fou

Les racines du conflit plongent à la fin du xive siècle, quand une succession de morts prématurées perturba la succession au trône. L’avènement de rois trop jeunes ou faibles poussa les grandes familles aristocratiques à se disputer le contrôle du gouvernement. L’abondance de bandes armées désœuvrées par l’apaisement des hostilités avec la France alimentait aussi les guerres privées en Grande-Bretagne. Le dérèglement dynastique commence avec la mort du prince de Galles[3], le « Prince noir », en 1376, un an avant celle de son père Édouard III. Craignant l’ambition du quatrième fils d’Edward, le puissant duc de Lancastre Jean de Gand, l’entourage du jeune Richard II le tient à l’écart des affaires après la grande révolte paysanne de 1381. Après le décès de Jean début 1399, Richard déclenche les hostilités contre son fils aîné, Henry Bolingbroke, privé de ses terres et titres. Mais Henry réussit à déposer Richard et devient Henry IV, le premier roi Lancastre.

À sa mort, en 1413, à 46 ans, son fils lui succède. Henry V relance la guerre sur le continent et remporte une victoire inespérée sur l’armée française à Azincourt (1415), ce qui renforce sa légitimité et lui permet d’imposer au faible Charles VI le traité de Troyes (1420) ; il épouse la fille du roi de France, Catherine de Valois, dont il a un fils, Henry. En 1422, Henry V décède à 36 ans, suivi de Charles VI : un enfant d’à peine un an devient en titre roi de France et d’Angleterre ; son règne fut catastrophique. Les rivalités entre clans nobles reprirent de plus belle, détournant le pays du continent, où Charles VII mène à bien méthodiquement la reconquête de la France. En 1453, après la défaite de Castillon, l’Angleterre n’y détient plus que Calais : la guerre de Cent Ans est perdue.

Cette même année, Henry VI connaît sa première crise de « folie » – sans doute héritée de son grand-père maternel – qui se traduit par de longues phases d’indifférence, voire de prostration. Une bonne occasion pour Richard d’York de manifester ses ambitions : arrière-petit-fils d’Edward III, comme le roi, mais par ses deux parents, il reprend le nom Plantagenet, tombé en désuétude, et obtient d’être nommé Lord Protecteur – une sorte de régent. Son influence croissante l’oppose à la reine Marguerite d’Anjou, qui défend les intérêts de son mari et de leur fils, Edward de Westminster.

La première bataille entre les deux partis a lieu à St Albans, le 22 mai 1455. Elle ouvre une période de domination de Richard, qui veut être reconnu héritier d’Henry. Après une série de victoires et de revers, dont celui de Wakefield où Richard perd la vie (30 décembre 1460), les Yorkistes prennent l’ascendant lors de la terrible bataille de Towton (29 mars 1461), la plus sanglante journée de l’histoire de l’Angleterre[4]. Le fils de Richard devient le roi Edward IV, Henry VI et sa femme fuient en Écosse, puis en France. Mais la trahison de Richard Neville, comte de Warwick, le « faiseur de rois », remet Henry sur le trône en octobre 1470.

La mort de Richard à Bosworth, chronique de 1485

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Triomphants, les York se déchirent

Six mois plus tard, Edward IV revient en Angleterre avec des troupes fournies par le duc de Bourgogne. Il remporte les batailles de Barnet (14 avril 1471) et de Tewkesbury (4 mai) : Warwick est tué dans la première, Edward de Westminster est décapité à l’issue de la seconde ; pour reprendre le contrôle du royaume, Edward a pu compter sur son frère Richard, duc de Gloucester, qu’il a fait connétable du fait de ses talents guerriers, malgré son jeune âge (il n’a pas 20 ans) et son dos déformé par une scoliose. Enfermé à la tour de Londres, Henry VI meurt dès le 21 mai.

Les York triomphent, mais quand Edward IV décède, en avril 1483, son fils aîné, Edward V, n’a que 12 ans. Certains soutiens des York redoutent que cette nouvelle régence ne permette à la reine mère Elizabeth et à son clan familial, les Woodville, de renforcer leur emprise. L’ascension fulgurante des Woodville, issus de la petite noblesse, leur ambition dévorante, leur valaient de solides inimitiés à la cour. Le Conseil de régence fait appel au duc de Gloucester, institué Lord Protecteur, qui passe sans tarder à l’action : il élimine sans jugement les principaux membres du clan Woodville – sauf Elizabeth –, mais aussi l’un de ceux qui ont fait appel à lui, lord Hastings. Il obtient ensuite que le Parlement déclare illégal le mariage d’Elizabeth et d’Edward ; écartés de la succession, car illégitime, les deux fils d’Edward sont enfermés à la tour de Londres, officiellement pour les protéger – nul ne les revit plus vivant.
Richard ceint la couronne le 6 juillet 1483, mais son accession scabreuse au trône lui vaut une certaine impopularité. Le duc de Buckingham organise un complot avec le dernier rejeton des Lancastre : Henry Tudor, réfugié en Bretagne depuis douze ans. Faute de coordination, Buckingham est arrêté en Angleterre et exécuté, tandis qu’Henry doit renoncer à débarquer et regagne la France. Richard III a gagné, mais perd son fils unique, le prince de Galles Edward, âgé de 11 ans, en avril 1484 ; quand sa femme, Anne Neville, décède en 1485, beaucoup accusent Richard de l’avoir empoisonnée pour épouser sa jeune nièce Elizabeth (née en 1466). Malgré les démentis du roi, Henry Tudor s’inquiète, car il s’est lui-même fiancé en 1483 à la fille aînée d’Edward IV, héritière du roi défunt depuis la mort présumée de ses frères dans la tour de Londres.

Les droits d’Henry au trône sont en effet ténus. Son père, Edmond, était le fils d’Owen Tudor et de la veuve d’Henry V, Catherine de Valois, et sa mère était Margaret Beaufort, issue d’un des enfants illégitimes que Jean de Gand avait eus avec Katherine Swynford, avant de l’épouser en troisièmes noces. Richard II avait accepté de légitimer les enfants de son oncle nés avant le mariage, mais Henry IV avait annulé leurs droits sur le trône. Unilatéral, cet acte n’a pas reçu l’approbation du Parlement, mais la revendication d’Henry, issu d’une lignée féminine et bâtarde, reste fragile quand il débarque à Mill Bay, au sud du Pays de Galles, le 7 août 1485, avec 2 000 à 3 000 hommes, surtout français, grâce au soutien de Louis XI. Au lieu de marcher droit sur Londres, il sillonne le Pays de Galles pour regrouper ses partisans – il a presque doublé son effectif par le ralliement d’Anglais hostiles à Richard et surtout de Gallois, quand se présente l’armée du roi, à moins de 20 km à l’ouest de Leicester, en plein centre de l’Angleterre.

Pris à revers alors qu’il attendait un débarquement au sud, Richard a convoqué à Leicester le duc de Norfolk, venant de l’est, le duc de Northumberland qui vient du nord, ainsi que des troupes amenées de Londres ; il a réuni environ 10 000 hommes et quelques pièces d’artillerie légère. Des recherches archéologiques récentes ont montré que la rencontre avait eu lieu non pas près d’Ambion Hill, juste au sud de Market Bosworth, mais à quelque 6 km à l’est d’Atherstone. Outre l’armée royale et celle du prétendant, Thomas Stanley et son frère William se tiennent au sud avec 3 000 hommes, mais n’ont pas encore choisi leur camp – Thomas ayant épousé la mère d’Henry, Richard tient un de ses fils en otage et, au matin du 22 août, la réponse des Stanley à Henry est plus qu’évasive.

Un cheval qui coûte une couronne

Sans expérience militaire, Henry laisse le commandement au comte d’Oxford, qui regroupe ses soldats, majoritairement à pied, en un seul bloc. L’artillerie et le corps de Northumberland sont déployés au centre derrière un marais, aussi Oxford vise l’aile droite, dirigée par Norfolk ; si le chef yorkiste réussit à éviter une prise de flanc, la manœuvre d’Oxford lui a permis de limiter les effets des tirs ennemis et d’atténuer le déséquilibre numérique ; ses troupes parviennent à progresser, des soldats royaux commencent à se retirer, ce qui pourrait accréditer un moral ou une loyauté chancelants. Peut-être à cet instant des proches de Richard lui proposent-ils un « coursier », plutôt que son cheval de bataille (« destrier »), pour fuir, mais il refuse, car il pense pouvoir forcer le destin : en glissant sur la gauche, Oxford a laissé à découvert Henry et sa suite, en arrière des lignes ; le roi entraîne alors sa propre garde – au plus 200 hommes d’armes à cheval – droit sur son ennemi.

Au premier choc, il tue de sa lance le porte-bannière Tudor, William Brandon, et cherche à défier le prétendant en combat singulier. C’est alors que les Stanley basculent du côté Tudor. Tandis que Thomas attaque le flanc de Norfolk, sans réaction de Northumberland que le marais devant son front empêche de manœuvrer, William secourt Henry et submerge l’escorte du roi en titre, repoussée vers ses lignes. Richard est jeté à bas de son cheval par la presse, ou parce que sa monture s’est enlisée dans le terrain meuble, et c’est à pied qu’il périt, sûrement sous les coups de plusieurs adversaires. L’aile droite yorkiste se débande ; Norfolk, rattrapé, est tué ; Northumberland se retire sans avoir combattu.

Henry refuse que Richard soit enterré avec les autres morts de cette journée, dont le nombre est inconnu : sa dépouille dénudée est exposée deux jours durant à Leicester, pour attester sa mort, et il est finalement inhumé dans un couvent franciscain de la ville, supprimé, comme les autres monastères, sous Henry VIII, le deuxième roi Tudor. Un monument funéraire subsiste cependant dans le domaine privé qui le remplace, mais disparaît ensuite, avant 1850.

En août 2012, des fouilles pour retrouver les ruines du couvent sous le parking d’un immeuble de Leicester permirent d’exhumer les restes d’un homme présentant une scoliose prononcée, mais qui n’était pas bossu pour autant ; l’analyse du squelette et de son ADN confirmèrent qu’il s’agissait bien de Richard III : il avait reçu neuf blessures à la tête, dont trois mortelles à coup sûr, suggérant qu’il ne portait plus son casque, et deux au corps, sûrement infligé après qu’on eut ôté son armure au cadavre. Nulle trace, en revanche, du bras atrophié dont parlait Shakespeare.

Le dernier Plantagenet est tombé sur la plaine de Bosworth Field, à moins de 33 ans, affrontant ses ennemis la hache à la main, à l’image de son emblème héraldique, le sanglier ; il n’est pas mort en demandant un cheval, mais en répétant rageusement : « Trahison ! » – il pensait sans doute à lord Stanley, qui retrouva, dit-on, sa couronne sur le champ de bataille et l’offrit à Henry Tudor. Selon l’habitude des vainqueurs d’écrire l’histoire, ce dernier demande au Parlement de dater le début de son règne du 21 août : il fait ainsi de ses opposants à Bosworth des rebelles, et lève les doutes sur ses droits, devenant un conquérant victorieux, plutôt qu’un prétendant incertain ; il paiera des chroniqueurs pour noircir la mémoire de son rival[5] et donner à sa victoire une portée métaphysique, influençant durablement la tradition littéraire. Il épouse comme prévu Elizabeth d’York, et symbolise la fusion des deux dynasties rivales en créant la rose Tudor, au cœur blanc et aux pétales rouges. Toutefois, les complots ou révoltes yorkistes ne cessent pas totalement, et et Henry VII devra livrer encore une bataille à Stoke, en 1487, et affronter des prétendants secondaires pendant une décennie – le dernier rejeton de la famille d’York fut Richard de la Pole, qui mourut en défendant François Ier à Pavie (1525).

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[1] William Shakespeare, La Tragédie du roi Richard III, acte V, scène VI (1597).

[2] Pourtant, l’appellation « Guerre des Deux Roses » ne s’impose que sous l’influence du romancier Walter Scott (1771-1832) se référant à une autre pièce de Shakespeare, Henry VI.

[3] Titre porté par l’héritier du trône d’Angleterre depuis 1301.

[4] Les sources d’époque parlent de 28 000 à 30 000 morts, des estimations plus récentes d’environ 10 000.

[5] Richard III a tout de même fait proscrire une centaine de personnes sur les deux ans de son règne, plus que son successeur en vingt-trois ans.

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Photo : La mort de Richard à Bosworth, chronique de 1485

À propos de l’auteur
Pierre Royer

Pierre Royer

Agrégé d’histoire et diplômé de Sciences-Po Paris, Pierre Royer, 53 ans, enseigne au lycée Claude Monet et en classes préparatoires privées dans le groupe Ipesup-Prepasup à Paris. Ses centres d’intérêt sont l’histoire des conflits, en particulier au xxe siècle, et la géopolitique des océans. Dernier ouvrage paru : Dicoatlas de la Grande Guerre, Belin, 2013.
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