Pendant les deux premières années de son mandat, le Président Bolsonaro a voulu ignorer les règles du présidentialisme de coalition. Celles-ci imposent au chef de l’exécutif de constituer une majorité parlementaire au Congrès afin d’obtenir que ses projets politiques soient approuvés par le pouvoir législatif et transformés en lois. Le nouveau Président a cru qu’il pourrait gouverner en instaurant une relation directe avec le peuple. Il a imaginé qu’en imposant un style autoritaire, en mobilisant les réseaux sociaux et la rue, il mettrait fin à la vielle politique incarnée par la kyrielle de petites formations parlementaires opportunistes que l’on désigne sous le terme de Centrão [1]. Il a échoué.
Article original paru sur le site IstoéBrésil
Un mariage de convenance avec le Centrão.
Pour assurer son maintien au pouvoir et tenter de gouverner enfin, il a fini par s’associer à ce marais du Congrès. Après un flirt de quelques mois, les deux parties ont célébré le 1er février dernier un mariage de convenance. Bolsonaro a fait élire à la tête des deux chambres du Congrès des Présidents issus du Centrão. Cette alliance va l’obliger à se plier aux exigences de leaders et de forces parlementaires qui ne donnent jamais rien sans recevoir, qui facturent leur soutien et sont fidèles tant que l’exécutif est généreux.
L’échec d’une stratégie.
Sur les premiers mois d’un mandat présidentiel, le chef de l’État récemment élu jouit d’un crédit politique élevé. Pendant cette phase d’état de grâce, en soumettant un programme cohérent et mobilisateur aux partis proches de sa sensibilité, il peut constituer une majorité au Congrès. Il parvient alors à faire voter des lois, voire des réformes importantes pour le pays. Jair Bolsonaro a voulu ignorer ces réalités. En 2019, au fil d’un dialogue heurté et tendu avec le Congrès, il a accumulé davantage de défaites (propositions de loi rejetées, projets enlisés, vetos) que ses prédécesseurs. Plusieurs des grands thèmes de sa campagne (le retour d’un ordre moral, la lutte contre la criminalité et l’insécurité) ont été dédaignés par les parlementaires ou édulcorés [2]. Le Président n’a pas soutenu son ministre de l’économie qui proposait pourtant dès le début de mandat un catalogue ambitieux de mesures destinées à assainir et à réduire les dépenses publiques, à multiplier les privatisations, ou à réformer la fiscalité. L’ancien capitaine n’a jamais su engager une véritable négociation politique avec les élus parlementaires pour obtenir l’approbation de textes majeurs.
Autoritaire, sans charisme et talent de négociateur, Bolsonaro méprise les institutions de la République et la démocratie. Député fédéral pendant 27 ans (1991-2018), il n’a jamais démontré au cours de sept mandats successifs un leadership, un savoir-faire de conciliateur et de stratège capable de forger par la conviction et le dialogue des alliances efficaces. Ces graves insuffisances sont alors passées inaperçues parce que le député se faisait d’abord reconnaître par son discours radical, très conservateur et provocateur.
Pendant les vingt premiers mois de sa Présidence, Jair Bolsonaro n’a pas cessé de multiplier les conflits avec les principaux leaders politiques du Congrès et avec les hauts magistrats de la Cour suprême (Supremo Tribunal Federal ou STF). À plusieurs reprises, il a même encouragé ses partisans les plus fanatiques à se mobiliser pour exiger la fermeture des Chambres et l’extinction du STF. Il avait déjà adopté une posture autoritaire au cours de la campagne de 2018. Le candidat se présentait alors comme l’homme providentiel qui, une fois élu, allait détruire le système politique, éliminer l’establishment, imposer la volonté du peuple contre les « élites ». Il annonçait même qu’il conduirait les dirigeants du Parti de Lula au peloton d’exécution ou qu’il mobiliserait l’armée pour en finir avec la Cour suprême. Il allait évidemment abolir cette vieille tradition politique qui impose une logique de marchandage entre le pouvoir législatif et l’exécutif. Il s’attaquerait bien sûr au Centrão que ses communicants de campagne présentaient comme un réseau mafieux ou une bande de gangsters.
Bolsonaro n’a pas cessé de jouer avec le feu pendant un an et demi. Son offensive permanente contre les institutions républicaines a atteint un sommet en mai 2020. Le chef de l’État s’en est pris alors une nouvelle fois au STF qui venait d’ouvrir une information sur l’origine de fake-news propagées sur les réseaux sociaux par des bolsonaristes. Réuni avec ses partisans devant le palais présidentiel, Bolsonaro a appelé à la mobilisation contre la haute cour et proclamé qu’il fallait en finir avec le pouvoir judiciaire. Hélas, le mois suivant, la Police fédérale procédait à l’arrestation de Fabrício Queiroz, grand ami de la famille Bolsonaro et ancien assesseur du fils de Jair, Flávio Bolsonaro, lorsque ce dernier était élu de l’Assemblée municipale de la ville de Rio de Janeiro[3]. Après juin 2020, le Président a continué de temps en temps à tenir des propos trahissant des penchants autoritaires. Néanmoins, pour sauver sa famille et son mandat, il a dû envisager un autre mode de gouvernement, plus « traditionnel ». Oubliant ses imprécations du passé, il a engagé un flirt sérieux avec…. le Centrão.
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Les deux partenaires n’ont pas envisagé d’emblée un projet de mariage. Bolsonaro voulait séduire les parlementaires du Centrão pour qu’ils unissent leurs voix à ceux des bolsonaristes afin de bloquer toute procédure de destitution au Congrès [4]. La gestion calamiteuse de la crise sanitaire a en effet conduit de nombreuses organisations politiques et de la société civile à déposer des demandes d’impeachment. Le flirt sérieux engagé par le Chef de l’État avec les partis du Centrão avait aussi un autre objectif : protéger ses deux fils qui siègent à la Chambre et au Sénat contre une initiative émanant de leurs pairs et susceptible de déboucher sur une cassation de mandats. En contrepartie, il proposait au dit Centrão d’intervenir auprès du ministère Public afin que ces élus du marais soient protégés de toute dénonciation inopportune de crime de corruption. Entre les deux partenaires, il y avait sans doute des affinités politiques, notamment une vision assez conservatrice de la société. Reste qu’entre les fiançailles célébrées en 2020 et le mariage récent, les deux parties ont multiplié les palabres et les conversations d’alcôve sans que le Président n’en vienne encore à offrir des cadeaux onéreux et une bague de fiançailles d’exception à la promise…
Noces de complaisance.
En ce début de 2021, à l’ouverture de la nouvelle session parlementaire, les tourtereaux ont enfin souscrit un véritable contrat de mariage. Les noces ont été célébrées au Congrès avec l’élection à la présidence de la Chambre des députés et à celle du Sénat Fédéral de deux personnalités éminentes du Centrão, le député fédéral Arthur Lira (du Parti Populaire) et le Sénateur Rodrigo Pacheco (du Parti Démocrate). Les deux vainqueurs auront bénéficié pendant les mois précédant le scrutin du soutien actif et affiché du chef de l’État.
Plusieurs événements ont conduit le Président à anticiper la date de son alliance avec le Centrão. Il y a d’abord eu le bilan calamiteux de la politique de lutte contre l’épidémie de covid-19. Dès la fin de 2020, ce bilan a commencé à peser sur la cote de popularité du chef de l’État. Certes, son image avait déjà bien souffert compte tenu des échecs répétés du gouvernement dans divers domaines de l’action publique. Néanmoins, la tragédie survenue à Manaus (capitale de l’État d’Amazonas) en janvier dernier, avec la mort de centaines de patients affectés par la covid et morts par manque d’oxygène dans les hôpitaux, a été le drame de trop. Ce drame est devenu le symbole de la gestion désastreuse de la pandémie par plusieurs gouverneurs et par le gouvernement fédéral lui-même. Soudain, la rue a commencé à demander la destitution du chef de l’État. L’hypothèse d’une procédure d’impeachment du Président a commencé à être débattue dans les milieux politiques et…à la chambre des députés. Il était donc crucial que la direction de cette assemble ne soit pas confiée à n’importe qui à l’occasion de l’élection qui a eu lieu le 1er février dernier. Le vainqueur du scrutin ne pouvait pas être une personnalité viscéralement anti-bolsonariste qui aurait pu avoir l’idée saugrenue de lancer la procédure redoutée.
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Un autre facteur a conduit à précipiter la date des noces entre le chef de l’État et le Centrão. Jusqu’à la fin janvier dernier, la Présidence de la Chambre était occupée par Rodrigo Maia, une personnalité politique centriste qui n’a cessé depuis 2019 de défendre le pouvoir législatif contre les ambitions populistes et autoritaires de l’exécutif. Sur les derniers mois de 2020, ce député modéré a multiplié les rencontres avec d’autres leaders de l’opposition au gouvernement afin d’organiser une coalition susceptible de représenter une alternative à Bolsonaro en vue des élections générales de 2022. De partenaire difficile, l’ancien Président de la Chambre devenait peu à peu un adversaire ou un ennemi politique dangereux. Bolsonaro a donc tout fait pour anéantir ce rival.
Dès le second semestre de 2020, dans la perspective de l’élection pour le renouvellement des présidences des deux instances du Congrès, Bolsonaro a multiplié les initiatives en vue de s’assurer que ses candidats préférés l’emportent avec aisance. À la fin décembre, le gouvernement fédéral a ainsi autorisé le ministre du Développement régional à libérer 3 milliards de réais de crédits exceptionnels afin que 250 députés et 35 sénateurs puissent annoncer le lancement ou la poursuite de programmes d’infrastructures dans leurs circonscriptions. Satisfaits et séduits, plusieurs parlementaires qui envisageaient de voter pour le candidat d’opposition ont rejoint illico presto l’électorat d’Arthur Lira et de Rodrigo Pacheco. Pour libérer des postes dans la haute administration fédérale et les cabinets ministériels, tous les élus et proches du candidat d’opposition ont été priés de céder leurs places.
Le chef de l’État a donc libéré et distribué des centaines de postes au sein de l’Administration fédérale aux personnalités du Centrão et à leurs protégés afin d’encourager les partis ainsi gratifiés à porter leurs voix sur les candidats Arthur Lira et Rodrigo Pacheco. Bolsonaro s’est engagé avec l’ardeur, les budgets et les décrets de nominations nécessaires dans cette bataille. Comme s’il s’agissait pour lui d’une question de vie ou de mort politique. Il s’est probablement souvenu du sort réservé à ses prédécesseurs également menacés d’impeachment, Fernando Collor (en 1992) et Dilma Rousseff (en 2016). L’un comme l’autre avait négligé les formations du Centrão qui auraient sans doute pu stopper les procédures de destitution si l’exécutif avait fait preuve de compréhension à leur égard. À la chambre, Bolsonaro a su choisir le candidat adéquat. Arthur Lira est un politicien habile. Elu pour la première fois député fédéral en 2011, il a entamé en 2019 son troisième mandat. C’est un artisan chevronné des manœuvres et combinaisons organisées en coulisses. Il a le profil typique du député qui connaît ses pairs et les paramètres à partir desquels est construite une carrière parlementaire.
Les candidats appuyés par l’exécutif ont remporté une victoire éclatante dès le premier tour de scrutin le 1er février dernier. Arthur Lira a été élu Président de la Chambre avec 302 voix sur 513, soit un nombre de suffrages bien supérieur au total des voix des élus de 10 partis du Centrão et de droite qui le soutenaient officiellement. Cela signifie que le vainqueur a su séduire des députés de formations traditionnelles de centre droit qui appuyaient pourtant théoriquement son adversaire. Lira est parvenu ensuite à faire élire au bureau de la Chambre (l’instance qui va piloter les travaux des députés) des personnalités de partis du Centrão ou ralliées à ce rassemblement de forces politiques opportunistes. Au Sénat, le candidat de Jair Bolsonaro l’a aussi emporté dès le premier tour. Rodrigo Pacheco a été choisi par 57 sénateurs sur 81, dont plusieurs élus de partis d’opposition.
À partir de ce premier succès, Bolsonaro n’entend pas seulement obtenir du Congrès qu’il se montre plus docile. Il attend aussi de ses partenaires du Centrão qu’ils mobilisent leurs réseaux et alliés locaux afin de constituer un large front d’appui à sa candidature pour une réélection en 2022.
Retour sur investissement
Dès la phase de flirt avancé de ces derniers mois, les élus de partis du Centrão ont obtenu des postes au sein de l’administration fédérale et d’agences qui en dépendent. Maintenant que les noces sont célébrées, ils espèrent entrer au gouvernement et obtenir des portefeuilles ministériels. Ces derniers mois, Jair Bolsonaro a évoqué un profond remaniement qui permettrait d’offrir à ses nouveaux amis les positions qu’ils convoitent au sein du gouvernement. La première étape de l’opération pourrait être la nomination d’un nouveau titulaire à la tête du ministère de la Citoyenneté (Ministério da Cidadania), un portefeuille créé par l’Administration Bolsonaro et qui réunit les compétences que détenaient avant 2019 le ministère de la Culture et du Sport et celui du développement social. La personnalité qui détient ce portefeuille a un rôle clé pour valoriser les efforts de politique sociale du gouvernement fédéral auprès des élus locaux et des couches les plus pauvres de la population. C’est le Ministério da Cidadania qui gère et exécute les principaux programmes sociaux fédéraux comme le Bolsa Familia. En 2020, il a été chargé de mettre en œuvre le dispositif d’aides d’urgence aux familles modestes dit auxilio Emergencial ou coronavoucher. Le maroquin doit revenir à un élu républicain originaire de l’État de Bahia [5]. Ce choix permettra aussi à l’exécutif de remercier un cacique politique local, Antonio Carlos Magalhaēs Neto. Cet ancien maire de Salvador et actuel Président du Parti des démocrates a contribué à la victoire d’Arthur Lira en évitant sur son parti ne soutienne officiellement l’autre candidat à la Présidence de la Chambre. Les ascenseurs se renvoient.
Le remaniement ne devrait pas se limiter à ce ministère clé. D’autres maroquins sont convoités par les partis du Centrão. L’appétit des nouveaux partenaires de Jair Bolsonaro devrait être satisfait par étapes au cours de ce premier semestre, après que l’exécutif ait vérifié que les nouveaux alliés méritent bien la confiance qui leur est attribuée. Les personnalités et les partis proches d’Arthur Lira ont déjà déployé leurs réseaux d’influence au sein des cabinets et des administrations centrales qui occupent l’esplanade des Ministères à Brasilia. Officiellement, le ministère du Développement régional est dirigé par Rogério Marinho, un ancien député fédéral qui a longtemps appartenu au PSDB, une formation de centre gauche. Marinho est à la tête d’une administration qui gère à l’échelle fédérale tous les projets d’infrastructures (routes, aménagement de fleuves) et de développement régional (logement social, traitement des eaux usées, distribution d’eau potable, réseaux d’égouts). Doté d’un budget conséquent, le ministère est en relation permanente avec les élus locaux (gouverneurs d’États, maires). Il constitue donc une position-clé pour gérer et entretenir des réseaux clientélistes. Les organisations politiques qui ont porté la candidature de Lira ont déjà placé leurs hommes à la tête de plusieurs directions générales du Ministère et agences fédérales rattachées, autant de leviers qu’ils utilisent pour gagner le soutien ou entretenir la fidélité d’élus locaux [6].
Outre les deux ministères mentionnés ici, les partis du Centrão lorgnent le portefeuille de la santé et celui de l’agriculture. Ils souhaitent que soit recréé un ministère de l’industrie et du commerce, un portefeuille que Bolsonaro avait intégré à celui de l’économie en 2019. Le remaniement ministériel à venir pourrait entraîner le remplacement de militaires occupant des postes techniques par des personnalités issues du Centrão.
Le mariage a été préparé avec soins par le Président qui connaît parfaitement le monde de ces partis du marais parlementaires et sait à quelles initiatives ils sont sensibles. La plupart des leaders du Centrão ont eu maille à partir avec la Justice ou sont encore impliqués dans des scandales financiers. Le Président et sa famille sont eux-mêmes concernés par des informations ouvertes par la Justice commune ou par le STF. Les deux partenaires ont donc un objectif commun : mettre au pas un pouvoir judiciaire qui a eu trop tendance depuis quelques années à remettre en cause l’impunité dont bénéficie souvent le personnel politique. Directement intéressé, Jair Bolsonaro n’a pas attendu les noces récentes pour engager la part du travail qui lui revient. La priorité est de disposer à la Cour suprême (STF) de plusieurs hauts magistrats disciplinés qui sauront calmer les audaces de leurs collègues et adopter une posture plus compréhensive à l’égard des deux autres pouvoirs.
Le Supremo Tribunal Federal est une institution composée de 11 hauts magistrats qui sont nommés à vie. Les Juges sont cependant contraints d’abandonner leur fonction lorsqu’ils atteignent l’âge de la retraite fixé à 75 ans. Les membres de la haute cour sont choisis par le Président, mais ce choix doit ensuite être avalisé par le Sénat Fédéral qui doit approuver la nomination à la majorité absolue (41 sénateurs sur 81). En novembre 2020, suite au départ en retraite du Juge Celso de Mello, Jair Bolsonaro a choisi comme nouveau membre du STF le magistrat de cour d’appel Kassio Marques, originaire de l’État du Piaui. Cette indication a été chaudement approuvée par plusieurs personnalités du Centrão. Âgé de 48 ans, le promu pourra exercer son mandat jusqu’en 2047. Il est considéré comme très proche des partis clientélistes et « physiologistes » de la Chambre. En juillet 2021, un autre membre de la haute cour sera atteint par la limite d’âge. Le chef de l’État devra donc à nouveau indiquer un successeur. Il avait promis en 2019 qu’il donnerait la préférence à un candidat « terriblement évangélique »… La donne a changé. Bolsonaro doit désormais tenir compte des exigences des élus du Centrão qui veulent un haut-magistrat « compréhensif », qu’il soit religieux ou pas…
Les pressions sur le pouvoir judiciaire ne concernent pas seulement le STF et ont commencé dès la première année du gouvernement Bolsonaro. En 2019, le chef de l’État a nommé un nouveau Procureur Général de la République. Il a choisi Augusto Aras, un ancien magistrat du parquet qui a manifesté depuis sa nomination un total alignement sur les orientations et les intérêts de l’exécutif. Depuis deux ans, la principale mission que s’est donné Aras a consisté à asphyxier progressivement les task forces formées de juges d’instruction et de magistrats du parquet qui animent depuis sept ans l’opération dite lavage-express [7]. La méthode a consisté à interdire aux procureurs fédéraux qu’ils puissent se consacrer à temps complet aux missions confiées par les task forces, à réduire les effectifs d’enquêteurs dont ils disposent [8]. L’affaiblissement systématique de ce qui aura été la plus grande opération de lutte contre la corruption menée par la Justice brésilienne a soulagé de nombreuses figures du monde économique et de la vie politique qui ont pu craindre un temps que la fin de l’impunité était arrivée.
Notes
[1] Sur la définition de ce terme, sur la notion de fisiologismo (physiologisme) employée par les analystes politiques, on pourra consulter les trois posts de la série « Petit voyage dans la vieille politique brésilienne », publiés sur ce site le 10 février 2021, sous la rubrique politique.
[2] Le seul grand succès obtenu par son Administration aura été l’adoption en début de mandat d’une réforme des retraites par le Congrès. En réalité, cette réforme n’a pas été adoptée parce que le Président l’a défendue bec et ongles, s’est engagé activement auprès des parlementaires pour gagner leur adhésion. Elle était déjà débattue à la Chambre et au Sénat avant l’élection de Bolsonaro. Si elle a pu être votée au début de 2019, cela tient avant tout à l’implication du Président de la Chambre des députés de l’époque qui a su convaincre ses collègues de l’importance de la question. D’autres réformes ont été votées en 2019. Elles ont été préparées et élaborées par les instances législatives, souvent sans proposition claire émanant de l’exécutif.
[3] Flavio Bolsonaro est soupçonné d’avoir créé des emplois fictifs au sein de son cabinet et d’avoir conservé les salaires versés à des employés inexistants.
[4] Depuis 2019, plus de soixante demandes en destitution ont déjà été déposées auprès du président de la Chambre des députés à qui il revient de lancer ou non la procédure. Critique de l’action gouvernementale, l’ancien président de la Chambre avait jusqu’alors refusé de donner suite. Mais un successeur distant du camp bolsonariste aurait pu utiliser ces demandes comme une menace, voire s’en servir pour engager la procédure.
[5] Onyx Lorenzoni, le ministre actuel, est un député du Parti Démocrate (centre droit). Il devrait rapidement abandonner ce poste au bénéfice d’un élu du Parti des Républicains, une formation très représentative du Centrão. Le ministère en question dispose d’un budget de 104 milliards de relais en 2021 (21 milliards d’euros). Cette enveloppe ne comprend pas les crédits qui pourraient être débloqués pour rétablir un auxilio emergencial dans les prochaines semaines afin de permettre aux pauvres de continuer à faire face à la crise sanitaire. En 2020, le coronavirus a représenté une dépense exceptionnelle de 300 milliards de réais (58 milliards d’euros).
[6] Ces directions et agences détiennent le record du nombre d’infrastructures inaugurées en 2020. La plupart des chantiers concernés étaient alors achevés ou sur le point de l’être en 2019. La date officielle de mise en service a été retardée pour que soient organisées de pompeuses cérémonies d’inauguration à la veille des élections municipales de novembre 2020.
[7] L’opération Lavage-express est une opération conduite par plusieurs équipes de magistrats depuis 2014. Elle a mis en évidence un gigantesque réseau de versements de pots-de-vin d’entreprises du bâtiment à des dirigeants politiques en vue de l’obtention de marchés publics, notamment avec la compagnie pétrolière d’État Petrobras. Des dizaines de chefs d’entreprise et de personnalités politiques de tous bords ont été inculpés écroués, notamment l’ancien Président Lula.
[8] Le 1er février dernier, le jour même où des représentants du Centrão assumaient les présidences des deux chambres du Congrès, le Procureur Général annonçait l’extinction de la principale task force de Lavage-express, celle de Curitiba.