Bitcoin, la monnaie de demain ? Entretien avec Adli Takkal Bataille

8 mai 2021

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Photo by: STRF/STAR MAX/Hx 2021H/18/21 Bitcoin prices tumble on US crackdown reports./IPX/21108687559780//2104182114

Abonnement Conflits

Bitcoin, la monnaie de demain ? Entretien avec Adli Takkal Bataille

par

Monnaie numérique qui échappe aux États, le bitcoin suscite engouements, détestations ou mépris. Si sa technologie peut changer les modes de relation entre les personnes, la philosophie politique qu’il sous-tend contribue aussi à redéfinir les rapports étatiques. 

Entretien de Laurent Gayard avec Adli Takkal Bataille, auteur, chercheur et entrepreneur. Il a publié, avec Jacques Favier, Bitcoin, la monnaie acéphale (CNRS, 2017) et Bitcoin – Métamorphoses – De l’or des fous à l’or numérique ? ( Dunod, 2018). Il est co-fondateur avec Jacques Favier du Cercle du Coin. 

Laurent Gayard : Qu’est-ce que le Bitcoin ? Un réseau de transactions sans banque ? Une monnaie ? De l’or numérique ?

Adli Takkal Bataille : Bitcoin est par essence protéiforme. L’usage du grand B et du petit b indique déjà sa nature changeante. Soit, avec un B majuscule, un protocole informatique instituant un réseau d’échange pair à pair complètement décentralisé et indépendant de toute autorité financière, soit, avec un petit b, une monnaie numérique dont les unités de change existent en nombre fini. 21 millions de bitcoins peuvent être créés, pas un de plus, 18 millions l’ont déjà été et sont en circulation. Le protocole informatique de Bitcoin impose donc une finitude programmée dans l’espace a priori infini du cyberespace. Bitcoin crée de la valeur à partir de la limitation de cette monnaie dont chaque unité de compte possède une signature spécifique. En ce sens, le protocole Bitcoin a bien permis de créer un or numérique, dont la valeur et les transactions qu’il génère sont totalement vérifiables grâce à sa chaîne de blocs

A lire également : Le Renminbi numérique fait son apparition

Néanmoins, le principal reproche adressé au bitcoin reste sa volatilité et les fluctuations extrêmes de sa valeur…

L’aventure de Bitcoin, qui dure depuis maintenant dix ans, a ceci de passionnant qu’elle remet en question la définition aristotélicienne de la monnaie, à partir de laquelle s’est structurée la pensée économique des scolastiques aux keynésianistes, en passant par les classiques, les néoclassiques, ou les marxistes. La question de la valeur d’usage ou d’échange de la monnaie a cependant déjà été posée par l’avènement de l’économie financière. La valeur des monnaies Fiat provient essentiellement du fait qu’un gouvernement impose son cours légal sur un territoire donné. Elle s’oppose historiquement aux monnaies-marchandises comme l’or. Les monnaies Fiat, dont le cours était théoriquement fixé par les États, ne s’appuient plus, depuis les années 1970, et la fin du système de « l’étalon-or », sur le cours d’une « monnaie-marchandise » comme l’or, pour définir leur valeur. En conséquence, depuis que l’or ne sert plus de valeur de référence, le cours des monnaies comme le dollar n’a cessé de fluctuer, car il est décorrélé de toute matière première et leur valeur n’a cessé de chuter. En dix ans d’existence, le cours du bitcoin n’a cessé lui de grimper. Avec les cryptomonnaies,  la valeur n’est plus décidée par une institution ou un marché, elle fait l’objet d’une appropriation collective. Les cryptomonnaies tirent leur valeur de la confiance dans les systèmes crypto-économiques qui les soutiennent et donc uniquement de ceux qui y participent, sans l’intervention des institutions pour fixer artificiellement leur cours. 

A lire également : Bitcoin : valeur sûre ou mode passagère ?

Il est difficile de savoir à quel niveau se situera le « juste prix » du bitcoin. Sa croissance est pour le moment exponentielle, malgré des phases de correction du cours qui peuvent être sévères. Bitcoin atteindra une phase de maturité sans doute plus rassurante pour les usagers et les investisseurs quand il entrera dans une phase de croissance linéaire plus maîtrisée et prévisible. Deux indicateurs peuvent permettre de se faire une idée. Le nombre de bitcoins pouvant être produits est limité : 21 millions et 18 millions ont déjà été créés. Les réserves d’or sur terre sont elles aussi limitées. À ce jour la capitalisation du marché de l’or atteint 10 000 milliards de dollars. Celle du bitcoin avoisine les 1 000 milliards. La stabilisation du prix interviendra peut-être quand le bitcoin aura une capitalisation équivalente à celle de l’or. En attendant, la question de la consommation énergétique entraînée par le réseau Bitcoin ne doit pas être écartée. De manière générale, je pense que notre modèle de développement va dans le mur en matière de consommation énergétique et ce problème n’est pas limité au bitcoin ou aux autres cryptomonnaies. Je reste en partie optimiste et je crois qu’il est possible que nous trouvions des solutions technologiques et industrielles pour y remédier. 

A lire également ; Annuler la dette publique ? Ni possible, ni souhaitable

L’essor des cryptomonnaies, du bitcoin et du principe de la chaîne de blocs, vaste registre de transactions en ligne, ne fait-il pas courir le risque de voir l’avènement d’une sorte de féodalisme numérique monétaire, ou, au contraire, de sociétés de contrôle dans lesquelles les États utiliseraient la chaîne de blocs comme outil de contrôle des échanges et des individus, après s’être débarrassés des cryptomonnaies qui leur échappent ?

L’avènement d’un « féodalisme monétaire » ne signifierait pas forcément un chaos monétaire si les différentes cryptomonnaies utilisées proposent des systèmes interopérables. On pourrait imaginer un vaste écosystème dans lequel on peut échanger ces devises numériques les unes contre les autres. Les monnaies numériques comme le bitcoin offrent même des garanties qui n’existent pas avec les monnaies Fiat en permettant aux utilisateurs d’être les seuls à contrôler l’usage de leur argent. Le vrai combat qui s’annonce n’oppose pas monnaies et cryptomonnaies, mais les cryptomonnaies privées et celles que souhaitent créer les États, fondées sur des chaînes de blocs, des registres en ligne, contrôlés par les institutions. Néanmoins, dans le contexte géopolitique actuel, je ne pense pas que les États aient la possibilité de faire disparaître les cryptomonnaies telles que le bitcoin à coups de régulation globale. Il faudrait pour cela que la majorité des gouvernements du monde parviennent à s’entendre sur cette question alors qu’ils éprouvent beaucoup de difficultés à s’entendre sur bien d’autres priorités ! La monnaie que souhaite lancer Facebook, le Diem (ex-Libra), ne me semble pas représenter non plus un danger direct pour le bitcoin, tout simplement parce que si le Diem venait à voir le jour, il concernerait des usages bien différents. La monnaie Facebook ne serait qu’une monnaie privée adossée aux monnaies Fiat. Facebook n’a pas compris l’importance du paradigme de la décentralisation et de la valeur intrinsèque qui lui est liée.

A lire également : La fin du dieu dollar ?

Évidemment, il reste le danger que la chaîne de blocs offre aux États la possibilité de créer un système économique dans lequel la transparence et la traçabilité totale des transactions représenteraient un danger certain pour les libertés, mais là encore c’est plus facile à dire qu’à faire et il existe malgré tout des remparts juridiques et constitutionnels contre ce danger. Les démocraties libérales devront adapter les conceptions juridiques aux évolutions technologiques pour protéger les citoyens. Malheureusement, en France, la réflexion à ce niveau porte surtout sur les moyens d’élaborer une taxation plus élevée que tous ses voisins et qui de facto éloigne ses innovateurs et qui étouffe les possibilités d’innovation. Elle porte aussi sur la régulation, On peut citer l’agrément de prestataire de services sur actifs numériques (PSAN) délivré par l’Autorité des marchés financiers qui représente un carcan réglementaire pour l’innovation dans le domaine des cryptomonnaies ou des technologies de chaîne de blocs en France, en imposant une forte réglementation sans prendre en compte les pratiques et les innovations de ces nouveaux écosystème. Un fournisseur de code permettant de faire des échanges sans jamais être dépositaire peut-il être considéré comme une plateforme d’échange ?

Mots-clefs :

Vous venez de lire un article en accès libre

La Revue Conflits ne vit que par ses lecteurs. Pour nous soutenir, achetez la Revue Conflits en kiosque ou abonnez-vous !

À propos de l’auteur
Laurent Gayard

Laurent Gayard

Docteur en études politiques du centre Raymond Aron de l’EHESS. Professeur à l’Institut Catholique de Paris.

Voir aussi