La fin chaotique de la présidence Trump a rendu encore plus forte l’impression d’apaisement donnée par Joe Biden. La contestation virulente de la présidentielle du 3 novembre et l’invasion spectaculaire du Capitole, le 6 janvier, ont confirmé les graves lignes de fractures de l’Amérique. Elles ne datent pas toutes de la présidence Trump, loin de là. Les réduire sera l’un des chantiers majeurs de Biden. Âgé de 78 ans, il n’a que quatre ans pour le faire, ayant déjà annoncé qu’il ne se représenterait pas en 2024.
Le 46e président des États-Unis a hérité d’une nation meurtrie, engluée dans plusieurs crises simultanées : le durcissement du jeu politique et la résurgence des tensions raciales ; les ravages de la pandémie de Covid-19 (près de 450 000 morts) et l’ampleur de la récession économique. Sénateur démocrate pendant trente-six ans, puis vice-président de Barack Obama pendant huit ans (de 2009 à 2017), Biden doit aussi tenir compte de la division politique du pays : 81 millions d’électeurs ont voté pour lui, mais 74 millions ont choisi Trump. « Les forces qui nous divisent sont profondes et réelles », reconnaît-il. Dès son discours d’investiture, il appelait à l’unité et à l’apaisement : « Je vous le promets, je serai un président pour tous les Américains, et je me battrai aussi bien pour ceux qui ne m’ont pas soutenu que pour ceux qui l’ont fait. » Ses communicants parlent d’un « nouveau moment national ». La lutte contre la pandémie et le sauvetage de l’économie sont ses priorités. Doté de 1 900 milliards de dollars, son colossal plan d’urgence prévoit des chèques pour les familles, la prolongation des aides au chômage, une aide aux États et aux collectivités locales, l’augmentation du salaire minimum de 7,25 dollars à 15 dollars de l’heure, l’extension de la réforme du système de santé Obamacare.
Ces choix à dominante sociale sont dans la logique de ses généreuses promesses électorales, inspirées par l’aile gauche du Parti démocrate. Persuadé d’incarner le Bien, très influent dans les universités et les grands médias, ce courant « progressiste » a réussi à placer de nombreux cadres au sein de l’administration Biden. Beaucoup ont d’ailleurs été choisis sur des critères communautaires (de couleur ou d’orientation sexuelle non traditionnelle), selon les règles de la discrimination positive en vigueur aux États-Unis. La vice-présidente Kamala Harris, 56 ans, première femme à occuper ce poste, est une figure de proue de ce courant moraliste, dont le messianisme veut porter les « valeurs américaines » dans le monde. Énergique et ambitieuse, l’ancienne sénatrice démocrate de Californie va jouer un rôle crucial. Présidente – de droit – du Sénat, elle garantit à Biden la majorité dans les deux chambres du Congrès. En cas de blocage entre les 50 sénateurs démocrates et les 50 sénateurs républicains, sa voix sera décisive pour faire passer les choix de Biden, à qui elle offre la liberté de gouverner comme il l’entend. Elle – et ses amis – en attendront sans doute une solide contrepartie.
En politique étrangère, Biden promet la reprise d’un dialogue multilatéral et le retour immédiat de son pays au sein de l’OMS et dans l’Accord de Paris sur le climat : « Nous allons réparer nos alliances et nous engager à nouveau avec le monde. » La personnalité d’Antony Blinken, le nouveau patron de la diplomatie américaine, accrédite ce « retour à la normale ». Diplomate expérimenté, francophone et francophile, Blinken annonce que « l’Amérique revient en première ligne ». Enthousiaste et confiante, l’Europe applaudit. Comme si ce reset espéré n’annonçait pas la volonté américaine d’imposer un nouvel alignement transatlantique, notamment sur les grands dossiers qui conditionnent l’avenir et la sécurité de l’Europe : les sanctions contre la Russie, l’étranglement de l’Iran, les traités de libre-échange ou l’opposition au gazoduc russo-européen Nord Stream 2, projet stratégique auquel s’oppose l’Amérique.
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Joe Biden et son ministre ont déjà confirmé que les intérêts des États-Unis continueraient à prévaloir sur tout. Dès son premier discours, Biden a même résumé l’axe géopolitique central de sa présidence : « Nous allons refaire des États-Unis la grande force du Bien dans le monde. » Nous aurons été prévenus…