Si l’Afrique a longtemps été épargnée par les trafics de drogue, ce n’est aujourd’hui plus le cas. Loin d’être une plaque tournante de produits venus d’Asie et d’Amérique latine, l’Afrique est un marché de consommation de plus en plus important. À Bamako, à Lagos ou à Yamoussoukro, au milieu des cartons et des bouteilles en plastique, les « pharmacies par terre » proposent pour quelques francs CFA des pilules bleues et rouges destinées à combattre la fatigue et à réveiller les ardeurs viriles. L’Afrique est devenu un lieu de production et de consommation des nouvelles drogues.
La méthamphétamine arrive sur le continent noir et, par ses prix bas, se met à la portée d’une population nombreuse. L’Afrique est également un producteur et un consommateur de plus en plus important de cannabis, consommé autant pour des raisons récréatives que spirituelles et professionnelles. Ces plantes évacuent la fatigue et redonnent de l’ardeur aux ouvriers exerçant des professions difficiles. Le Swaziland et l’Afrique du Sud ont légalisé sa consommation, espérant certes des retombées fiscales, mais conscient surtout de l’impossibilité de lutter contre cette croissance en hausse.
La cocaïne arrive directement de la Colombie. Les cargaisons transitent par le Venezuela et arrivent en Afrique grâce à des avions de ligne affrétés pour l’occasion. Une fois atterries, les cargaisons de plusieurs tonnes sont récupérées par des complices, débitées et transportées en Europe, ou consommées sur place. Rien de cela ne peut se faire sans la complicité des fonctionnaires locaux, de la police et des plus hautes autorités de l’État, qui ensuite perturbent les enquêtes et enterrent les investigations pour éviter que l’on remonte les filières.
Les groupes criminels africains fonctionnent sur un modèle clanique et ethnique. Ils font usage de langues locales propres au groupe, qui sont presque impossibles à décoder par les policiers. Une fois l’affaire conclue, le groupe se dissout, ce qui empêche la pénétration de celui-ci par les enquêteurs. Les Africains ont adapté à leurs réalités sociales le modèle du trafic et des cartels copiés des Colombiens.
Guinée-Bissau : un narco-État. Porte d’entrée du Venezuela en Afrique, disposant d’un archipel qui facilite les caches, la Guinée-Bissau est devenue un narco-État connecté aux cartels d’Amérique latine. Les militaires au pouvoir ne s’embarrassent pas de scrupules pour ravitailler les avions en essence, assurer les déchargements et le transport des marchandises. Le président Nino Vieira a été assassiné en 2009 par des partisans du général Tagmé Na Waï, lui aussi impliqué dans les trafics, les deux se concurrençant pour obtenir les faveurs des narcos. Les responsables politiques et militaires tombent mais sont remplacés par d’autres, au fur et à mesure des règlements de compte et des assassinats.
Le Mali : le carrefour des trafics. Situé aux marges du Sahel et de l’Afrique centrale, le Mali a la géographie idéale pour être un carrefour des trafics. À cela s’ajoute l’hybridation de la criminalité et du politique. Les différents mouvements autonomistes trouvent dans le trafic des drogues de quoi financer leurs guérillas, s’acheter des armes et des fidélités, s’assurer le contrôle des territoires. À l’image des Farc de Colombie, ils se mutent en groupes mafieux pour qui les raisons politiques deviennent de plus en plus des façades et des prétextes à des activités illicites. L’argent de la drogue est bien utile quand il faut acheter des voix lors des élections et des complaisances pour fermer les yeux.
L’Afrique aussi est en train de muter. Ce n’est plus seulement une terre de transit, mais de plus en plus un lieu de production et de consommation. Les cartels africains ont investi dans les drogues de synthèse, ce qui suppose la construction des structures nécessaire à leur production. La méthamphétamine devient l’eldorado des mafias africaines, le produit qui pourra concurrencer et dépasser le cannabis marocain et l’héroïne colombienne. Avec cette drogue made in Africa, le continent noir acquiert son indépendance criminelle. Nous n’en sommes qu’au début. Les États africains, en pleine déliquescence, sont en train de devenir des archipels de cartels mafieux qui investissent de plus en plus dans la corruption et l’illicite. Se superposant aux antiques structures tribales, les nouveaux réseaux de la drogue tissent une nouvelle Afrique qui n’est plus un angle mort, mais une zone centrale de la criminalité mondiale.
Le tramadol : un trafic en plein essor
Analgésique de la famille des opiacés, la consommation du tramadol connaît une forte croissance en Afrique. Les gélules sont bien souvent surdosées, ce qui fait courir des risques sanitaires à ses consommateurs. Enjeu de santé public tout autant que de sécurité intérieure, ce trafic étend ses ramifications dans de nombreux pays africains. C’est l’analyse notamment d’Antonin Tisseron, consultant auprès de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), qui livre une synthèse de cette criminalité croissante dans l’ouvrage dirigé par Laurent Guillaume. Les saisies augmentent, témoignant de l’accroissement de la consommation : 13 tonnes saisies en février 2015 à Cotonou, 90 tonnes au Nigeria en 2017. La plupart de ces comprimés proviennent d’Inde, fabriqués dans l’une des nombreuses usines pharmaceutiques du pays. La consommation répétée de ce produit provoque des effets secondaires (crampes, maux de tête) qui obligent à accroître les doses afin d’y échapper. Cercle vicieux aux conséquences sanitaires lourdes.
Depuis l’Inde, le tramadol arrive en Afrique par trois portes d’entrée principales : le Nigeria, le Bénin et la Guinée, puis il se diffuse via les routes principales et les villes, où il est revendu. Le marché illicite du médicament est une imbrication des secteurs formels et informels. Ainsi, des professionnels de la santé vendent clandestinement des médicaments soit à des particuliers soit à des revendeurs. La diaspora nigériane en Chine fait usage de ses réseaux pour participer à ces trafics. Les boîtes de médicaments transitent entre Lagos et la Chine, via des entreprises sous-traitantes qui servent d’écran et qui mêlent les produits légaux et les cartons non déclarés.
Ces trafics ne peuvent se faire sans le soutien des autorités. Plusieurs hommes politiques locaux ont été arrêtés à la suite de la découverte de cartons non référencés chez eux. Boko Haram participe également de ces trafics, soit en en prélevant des taxes, soit en le vendant directement, comme c’est le cas aussi des pêcheurs du lac Tchad qui assurent la contrebande des médicaments entre les pays des rives du lac. Peu onéreux, soulageant la douleur et rapportant beaucoup aux trafiquants, l’avenir du trafic de tramadol est assuré.