Entre Asie et Europe, l’Azerbaïdjan souhaite s’affirmer comme un Etat qui compte. Que ce soit du point de vue de la politique intérieure ou de son action sur la scène internationale, ce pays entend passer un cap. Entretien avec Hikmet Hajiyev, assistant du Président de l’Azerbaïdjan.
Propos recueillis par Gil Mihaely.
Fin 2019 le parlement d’Azerbaïdjan, élu en 2015, s’est auto dissout et a voté des nouvelles élections le 9 février, alors qu’elles devaient avoir lieu à la fin de l’année 2020. Pourquoi était-il nécessaire et urgent de convoquer des élections anticipées ?
L’Azerbaïdjan traverse un processus de réforme globale qui a été lancé par le président Aliev lors de sa réélection en avril 2018. Les réformes touchent le pouvoir exécutif et sont accompagnées de nombreuses nouvelles nominations. Entre-temps, le système judiciaire a également été réformé ainsi que les services sociaux et publics. Les élections anticipées ont été initiées par le Parti du Nouvel Azerbaïdjan, majoritaire au parlement (69 sièges sur 125) afin de permettre aux citoyens azerbaïdjanais d’intervenir dans le processus et de l’approuver ou de le désapprouver.
Pour ceux qui ne connaissent pas l’Azerbaïdjan, pourriez-vous décrire votre système politique ?
La République d’Azerbaïdjan est une démocratie présidentielle monocamérale. Le président est élu au suffrage universel direct pour un mandat de sept ans (les dernières élections ont eu lieu en avril 2018) et les 125 membres du parlement sont élus dans 125 circonscriptions pour un mandat de cinq ans. Les ministres, nommés par le président, ne sont pas directement responsables devant le parlement, mais à la fin de chaque année ils présentent un rapport d’activité devant les élus. Le contrôle direct est fait par la législation : pour agir, les ministres ont besoin d’une majorité parlementaire pour adopter des lois et, bien sûr, le budget.
Est-ce les réformes appliquées par le président et son cabinet ne bénéficient pas de majorité dans le parlement dissout ? Est-ce là le problème ?
Non. Il s’agit plutôt de légitimer la série de réformes profondes et étendues que le pays traverse et ainsi que de permettre aux personnalités engagées en faveur de ces changements d’accéder à des postes d’importance nationale.
Si l’on regarde la liste des candidats (près de 2000), on constate qu’il y a beaucoup de nouveaux visages qui font leur apparition dans l’arène nationale. Beaucoup de jeunes et moins de membres des élites précédentes, dont certaines dates de l’époque de l’URSS. C’est une véritable passation de témoin, car les nouvelles candidatures représentent une nouvelle génération dans la vie publique azerbaïdjanaise.
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Si vous deviez définir deux ou trois questions, principaux sujets que les citoyens se poseront avant de voter, quelles seraient-elles ?
Une question domine les préoccupations de chaque citoyen d’Azerbaïdjan : l’avenir du Haut-Karabakh et les autres territoires azerbaïdjanais occupés depuis presque trois décennies par l’Arménie. C’est le défi le plus immédiat et le plus important pour la sécurité nationale, parce que le front avec l’Arménie est actif et des Azerbaïdjanais y meurent même si le sujet ne fait pas la une des journaux en Europe. De plus, près d’un million d’Azerbaïdjanais, soit plus de 10 % de la population, sont de réfugiés et de personnes déplacées, victimes de la guerre de 1991-1994. Il s’agit d’un problème aigu et souvent d’une affaire personnelle pour nos citoyens et ils aimeraient connaître la position de leur candidat sur le sujet.
Quel est le débat sur Karabakh ? Y a-t-il deux stratégies face au conflit, deux camps opposés ? Existe-t-il un parti de guerre et un parti de compromis en Azerbaïdjan ?
Sur la question principale à savoir la libération du Karabagh de retour à la souveraineté azerbaïdjanaise et la résolution du conflit des réfugiés et des personnes déplacées il y a un consensus. Le débat est plutôt sur la manière d’y parvenir. Nous avons nos partisans de la ligne dure, ceux qui pose une question simple : après presque 25 ans de négociations, où sont les résultats ? Faut-il, dans ces conditions, poursuivre les négociations ? Ces partisans de la ligne dure disent que la diplomatie a fait son temps et que nous devrions réfléchir à d’autres moyens de résoudre le conflit. Aujourd’hui, ce n’est pas la position du gouvernement : nous sommes fermement engagés sur la voie diplomatique, mais certains de nos citoyens s’impatientent et on peut les comprendre.
Y a-t-il une partie importante de la société, de l’opinion publique, du groupe de parlementaires, qui pousse vers une solution militaire ?
En général, je dirais qu’il y a des gens qui sont fatigués des efforts diplomatiques sans fin et stériles pour récupérer des territoires azerbaïdjanais que la loi et la communauté internationale reconnaissent comme étant illégalement occupés par l’Arménie. Cet état d’esprit crée de la frustration : nos soldats continuent à mourir et les réfugiés veulent simplement rentrer chez eux. Dans de telles circonstances, certains estiment que nous devrions montrer et utiliser nos muscles. Il est difficile d’évaluer leur nombre, mais il n’est pas rare de croiser des personnes tenant ce genre de discours. Cependant, je répète que le gouvernement et le Président sont engagés dans la voie diplomatique et pour une résolution pacifique du conflit. Malheureusement, la partie arménienne ne permet pas de progresser sur cette voie. Et, encore malheureusement, 2019 a été à cet égard une année perdue. Nous n’avons pas avancé d’un centimètre dans la direction d’une solution pacifique et négociée.
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Pourquoi ? Pouvez-vous analyser la position arménienne ?
La société arménienne n’est pas monolithique. Nous sommes bien conscients de l’existence des certaines voix sobres en Arménie, s’exprimant notamment sur les médias sociaux. Nous constatons un certain mouvement et une volonté d’avancer pour le bien des deux pays. Car, tout comme en Azerbaïdjan, les Arméniens se demandent également ce qu’ils ont accompli en 25 ans de conflit et d’occupation des territoires azerbaïdjanais. Pour beaucoup d’entre eux, la réponse n’est tout simplement rien. L’Arménie est coincée. Le conflit compromet son développement et accroît son isolement. Il en résulte des difficultés économiques, un niveau élevé de pauvreté et un grave problème démographique. Aucun de ces problèmes ne peut être résolu sans une solution acceptable pour le problème du Karabakh. De nombreux Arméniens d’Arménie en sont conscients. Mais ils ne sont pas les seuls dans l’équation… La diaspora arménienne pèse lourdement sur la politique arménienne et, de manière générale (il existe heureusement des exceptions !), elle joue un rôle négatif en soutenant les partisans de la ligne dure en Arménie et en faisant pression sur leurs gouvernements nationaux (comme en France par exemple) pour qu’ils adoptent des positions qui ne contribuent pas à réduire les tensions. Trop de membres des diasporas arméniens sont victimes d’une vision de la situation actuelle fondée sur une interprétation historique erronée. Nous considérons qu’elles peuvent et doivent jouer un rôle plus utile dans la recherche d’une résolution négociée du conflit.
Vous avez parlé de l’opinion publique et de la diaspora. Qu’en est-il du nouveau gouvernement arménien élu l’année dernière ?
L’élection en mai 2018 de Nikol Pachinian au poste de Premier ministre a suscité de grandes attentes tant en Arménie qu’en Azerbaïdjan. Malheureusement, en ce qui nous concerne, elles ne se sont pas concrétisées : le processus de négociation reste bloqué. Ce que nous voyons en Arménie, malheureusement, c’est trop de démagogie tandis que la résolution des conflits exige une approche complètement différente… Plusieurs des déclarations publiques de Pachinian sont contradictoires (parfois le Karabakh est l’Arménie, et parfois il ne peut pas parler pour le Karabakh…). Nous ne comprenons pas ce que veut l’Arménie et comment elle envisage une résolution du conflit. Ce que nous voyons, c’est un effort arménien de mettre en cause le peu qui a été réalisé…
Quel rôle la Russie joue-t-elle en tant qu’allié principal de l’Arménie ?
La Russie a des relations stratégiques avec l’Azerbaïdjan, et aussi des relations avec l’Arménie. La Russie a des liens historiques étroits avec l’Azerbaïdjan parce que nous avons fait partie de l’Union soviétique. Mais je crois que la Russie, dans le cadre du groupe de Minsk, et aussi par sa place naturelle, fait des efforts actifs pour la résolution du conflit, et nous apprécions en effet l’engagement actif du côté russe.
Dernière question : qu’attendez-vous de la France ?
Depuis l’indépendance de l’Azerbaïdjan, nous avons forgé de très bonnes relations avec la France, fondées sur la compréhension et l’amitié. Mais dans l’état actuel de nos relations, nous pensons que nous sommes dans une phase où nous pouvons faire avancer les choses, approfondir notre coopération et devenir de meilleurs partenaires. N’oubliez pas que l’Azerbaïdjan, pays laïc de culture islamique, est sur le front de la lutte contre l’extrémisme, le radicalisme et l’immigration clandestine. Nous partageons votre vision sur la place du religieux dans un État moderne, le principe de la laïcité, ce qui n’est pas très commun dans des sociétés de culture musulmane…
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Le Président Macron s’est rendu à Erevan pour participer à une conférence des pays francophones. Il n’est pas encore allé à Bakou. Est-ce quelque chose qui est prévu ?
Cette question doit être adressée à nos partenaires français, mais le Président Macron a une invitation ouverte à l’Azerbaïdjan, et nous serons heureux de l’accueillir dans notre pays.
Note de la rédaction : Conflits n’a pas de position sur le dossier du Haut-Karabakh. Nous cherchons à montrer la complexité du dossier et à donner la parole à l’ensemble des acteurs pour que les lecteurs français puissent se faire une opinion. En géopolitique, il est essentiel de comprendre comment l’autre voit le monde et comment il perçoit les événements. Raison pour laquelle nous donnons ici la parole au Chef du département des affaires étrangères d’Azerbaïdjan, comme auparavant nous avons enregistré une émission avec le représentant en France de l’Artsakh. Nous espérons qu’en croisant ces deux points de vue, nos lecteurs pourront prendre la mesure de la complexité de la région.