Aux racines du conflit entre l’Arabie et le Yémen, une opposition multiséculaire

20 mai 2015

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Olivier Hanne, Les Seuils du Moyen-Orient. Histoire des frontières et des territoires

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Aux racines du conflit entre l’Arabie et le Yémen, une opposition multiséculaire

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[colored_box bgColor= »#f7c101″ textColor= »#222222″]Thomas Flichy, professeur à l’ESM de Saint-Cyr et auteur, avec Olivier Hanne, de L’État islamique. Anatomie du nouveau Califat, Bernard Giovanangeli Éditeur , qui a obtenu le prix EDF-Conflits du jeune auteur de géopolitique, nous explique les racines lointaines du conflit entre Arabie et Yémen : une opposition entre deux cultures.[/colored_box]

Si la situation géographique a jamais pu déterminer le destin d’un peuple, c’est au Yémen que cette influence s’est faite particulièrement sentir. Qu’on imagine en effet une région montagneuse de la zone aride, très accidentée et difficile d’accès, jouissant d’un excellent climat à cause de l’altitude et d’un sol fertile, arrosé par les pluies de printemps et d’été. Le Yémen est une île de verdure au milieu d’un océan de sable et de rocailles. Sur ces hauts plateaux, un peuple audacieux a su exploiter admirablement les conditions géographiques.

Le Yémen se présente pour l’essentiel, comme un ensemble de hautes terres qui s’élèvent en direction du Sud jusqu’à 3760 m. Tout ceci n’aurait qu’un intérêt secondaire si le Yémen ne se distinguait par son climat : le haut pays reçoit des précipitations inhabituelles dans le reste de la péninsule, à la fois par leur abondance et par leur répartition saisonnière. On comprend donc les avantages dont jouit le haut pays : climat, richesse du sol sur roche mère volcanique, et donc richesse du potentiel biologique, autant de conditions qui sont remplies pour qu’une population abondante s’y soit constituée, beaucoup plus dense que dans le reste de la péninsule.

Une civilisation urbaine qui s’oppose aux bédouins

L’Arabie du Sud était parvenue au VIème siècle avant J-C à un haut degré de civilisation comme en témoignent son écriture et ses monuments. La population construisait des barrages et avait atteint un grand raffinement artistique dans la statuaire. Les habitants policés des royaumes du Sud avaient un genre de vie très différent des Bédouins du Nord. Cultivateurs et citadins, formant des États policés aux structures complexes, dotés de techniques perfectionnées, les Sudarabiques appelaient Arabes uniquement les pasteurs nomades du Nord et du Centre. Eux-mêmes parlaient une langue sémitique proche mais différente. Grands bâtisseurs, ils avaient érigé des temples, construits des forts, édifié des palais et rendu la vie au désert grâce à d’importants ouvrages d’art. Tandis que le Sud de l’Arabie connaissait un haut degré de civilisation, le reste de la péninsule arabique, hormis les régions influencées par les méridionaux, était plus ou moins livré au bédouinisme.

Cent ans avant l’islam, deux civilisations dominaient encore l’ensemble de la péninsule arabique, représentées essentiellement d’un côté par des fermiers et des commerçants, de l’autre par des nomades qui avaient su exploiter les étonnantes possibilités du dromadaire. Ces deux types de populations étaient souvent en conflit, notamment en raison de la disparité des intérêts économiques.

Un rôle d’intermédiation commerciale entre l’Inde et la Méditerranée

Placé au carrefour des routes commerciales, à l’extrémité sud-ouest de l’Arabie, le Yémen saute par-dessus les obstacles naturels pour jouer à l’intermédiaire entre l’Inde et la Méditerranée, deux mondes aux richesses multiples et complémentaires, dont il est séparé par la mer d’Oman, l’Érythrée, jadis la terreur des navigateurs, et le Rub al-Khâli, vaste étendue désertique hostile à l’homme et quasiment impénétrable. Les anciens Yéménites surmontèrent ces difficultés et détournèrent ainsi, à leur profit, une partie d’un vaste courant d’échange, parmi les plus importants du monde antique.

Amenés par bateau dans les ports de l’Arabie du Sud, les marchandises en provenance de l’Inde étaient dirigées par caravanes vers le golfe Arabo-persique, la Babylonie, la Syrie et l’Égypte. De très gros bénéfices étaient ainsi réalisés, auxquels s’ajoutaient les gains résultant de l’exportation de produits locaux très recherchés : encens, myrrhe et aromates.

Devenus riches et prospères, les anciens Yéménites travaillèrent à améliorer leur niveau de vie et surtout à développer l’agriculture en exploitant au maximum la possibilité de leurs terres arables. C’est ainsi qu’ils créèrent de gigantesques terrasses aux flancs de leurs montagnes, maîtrisèrent l’eau, et rendirent la vie au désert, grâce à d’imposants ouvrages d’art. La célèbre digue de Ma’rib, qui défia le temps pendant plus de mille ans, témoigne à la fois du génie yéménite en architecture et de leur préoccupation majeure de revivifier le désert. Ces Yéménites étaient fortunés lorsque leur souveraine, la fameuse Balqîs, reine de Saba, rendit visite à Salomon, lui offrant selon la Bible, de l’or en énorme quantité, des pierres précieuses et des charges d’aromates. Ce récit nous permet de nous faire une idée de la richesse fabuleuse de ce royaume.

Les anciens Yéménites avaient par conséquent édifié leur fortune et leur puissance sur le commerce, en exportant leurs propres produits, jadis très recherchés et en exploitant judicieusement la position géographique de leur pays, par lequel transitaient les richesses de l’Inde et de la Méditerranée. Ensuite, ils surent donner un essor prodigieux à l’agriculture en multipliant les terrasses et en gagnant de grands espaces sur le désert. Enfin, ils étaient en relation avec l’ensemble de la péninsule arabique, pour les besoins de leurs trafics qui se faisait surtout par caravane.

Le déclin du royaume du Sud

Comment expliquer qu’une langue de culture, parlée par des hommes policés parvenus à un degré avancé de civilisation ait été finalement submergée et vaincue par une langue de pasteurs ? L’invasion linguistique s’est opérée pacifiquement à la faveur du déclin du royaume du Sud. Au VIème siècle, la Perse, soucieuse de chasser les Abyssins du Yémen, alliés de Byzance, son ennemi héréditaire, avait contribué militairement à la lutte yéménite pour la libération nationale. La disparition de son protégé Dhi Yazan lui fournit le prétexte d’une nouvelle intervention armée. Ainsi, à la veille de l’Islam, le Yémen n’était plus qu’une dépendance de la Perse, administré par des gouverneurs persans.

L’Islam bédouin s’empare de la richesse humaine et matérielle du Yémen

L’Islam bédouin s’empare de la richesse humaine et matérielle du Yémen

La conversion du Yémen à l’islam ne fut ni spontanée, ni totalement désintéressée.

Avec la bédouinisation de l’Arabie, l’unification culturelle des Arabes était virtuellement atteinte. Il ne leur manquait qu’une personnalité marquante. Ce fut Mahomet. Après avoir conquis le Yémen, une double ligne politique guida la politique de Mahomet : gagner la région la plus riche, la plus peuplée et la plus civilisée de l’Arabie à la cause de l’islam, et s’assurer, d’autre part, le contrôle d’une des artères principales du commerce international par laquelle transitaient les produits de l’Inde.

La conversion du Yémen à l’islam ne fut ni spontanée, ni totalement désintéressée. Les Yéménites jouèrent toutefois un rôle majeur dans la conquête arabe : l’Arabie du Sud fut en effet le grand réservoir d’hommes dans lequel l’islam puisa tout au long de son histoire. La conséquence est que le Yémen se vida progressivement de ses habitants.

Un Yémen religieusement et politiquement divisé, la mainmise de l’étranger, abyssin ou persan, c’est à cette situation qu’avait mis fin, du vivant du Prophète, la conversion à l’islam du gouverneur sassanide Badhân (628), entraînant officiellement celle du pays entier. Cela signifiait aussi la prédominance des Arabes au sein de l’Empire des Califes. Ainsi semblait devoir s’effacer la spécificité du Yémen dans un espace religieux, culturel et politique au sein de l’Islam. Pourtant, dès la fin du IXème siècle, en 897, un descendant d’Ali profita de la situation chaotique qui régnait au Yémen pour établir sa capitale dans le nord du pays à Saada.

Ainsi, à la différence du reste de la péninsule et de la majorité du monde arabe, le Yémen devint shiite au moins dans le haut pays.

Crédit photos : rod_waddington via Flickr (cc)

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