Comment l’Autriche devint une Nation

19 juin 2020

Temps de lecture : 7 minutes

Photo : Comment l'Autriche devint une nation, Rodrigue AKPADJI

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Comment l’Autriche devint une Nation

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Docteur en études germaniques, certifié d’allemand et diplômé en sciences politiques en Allemagne, Rodrigue Akpadji enseigne l’allemand à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée. Il est membre associé de l’Institut IMAGER de l’UPEC, ainsi que membre de l’AGES et de l’Internationale Vereinigung für Germanistik. Il décrit en détail, comment l’Autriche, collée de force à l‘Allemagne, en 1938, a su acquérir son indépendance, se forger une personnalité riche et distincte, comme de jouer un rôle actif et positif sur la scène internationale.


 

L’Autriche au sortir de la guerre

Divisée en quatre zones d’occupation, l’Autriche, à la différence de l’Allemagne disposait d’un gouvernement indépendant et unique.  La déclaration interalliée du 1er novembre 1943, l’avait déclarée « Le premier pays libre à avoir été la victime de l’agression hitlérienne ». Dès avant la fin de la guerre, l’Armée rouge avait sorti de sa retraite le vétéran socialiste Karl Renner, qu’elle plaça à la tête d’un gouvernement démocratique de coalition, le 27 avril, ce qui suscita la suspicion de Truman et Churchill qui ne reconnurent le gouvernement autrichien qu’en septembre 1945.

 

 

 

Karl Renner, intégra dans son gouvernement des représentants des zones sous occupation occidentale, ce qui contribua à maintenir l’unité du pays. Par ailleurs, des élections libres se tinrent en novembre 1945, ce qui apparut a priori étonnant de la part de Staline, le PC autrichien n’y recueillit que 5,4% des voix et obtint 4 sièges.

De plus, la reconnaissance de ce gouvernement par les forces alliées lui conféra le rôle de partenaire de négociation officiel, de représentant et de défenseur des intérêts de l’Autriche en tant qu’État. ». Par la suite, Moscou n’entendait pas bouger sur l’Autriche tant que la question allemande n’aurait pas été résolue, position qu’elle réitéra à la conférence de Berlin, du 25 janvier au 18 février 1954, premier fruit de la première détente qui suivit la mort de Staline. Le ministre des Affaires étrangères autrichien, Leopold Figl, déclara que l’Autriche se tiendrait à l’écart de toute alliance militaire et qu’après le départ des forces d’occupation, elle n’autoriserait pas le maintien sur son territoire de bases militaires de puissances étrangères. L’Union soviétique considéra cet engagement comme un grand pas en avant. Dès 1946 et 1947, le premier président de la IIe République autrichienne, Karl Renner avait fait référence à la neutralité suisse, et ce fut cette formule que Bruno Kreisky fit connaitre, en juin 1953, à Nehru, qui séjournait en Suisse, pour que celui-ci le transmette aux Soviétiques. A quoi Molotov répondit qu’elle devrait être incluse dans le projet de traité « d’Etat pour le rétablissement d’une Autriche indépendante et démocratique ».

Tout l’art et toute la cohésion politique et sociale des Autrichiens furent  d’obtenir des Soviétiques, que la neutralité ne fasse pas l’objet d’un  traité, mais seulement d’une déclaration unilatérale du Parlement autrichien et que celle -ci n’intervienne dans la forme qu’une fois l’évacuation totalement achevée.[1]A l’automne 1954, Pierre Mendès France posa la question autrichienne à la tribune de l’ONU, appel qui fut certainement entendu, car en février 1955, Molotov leva le préalable allemand, la question autrichienne pourrait être réglée dès lors que la possibilité d’un nouvel Anschluss serait écartée.

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Le rétablissement d’une Autriche indépendante et démocratique

A Moscou, non sans avoir rassuré les Occidentaux sur le maintien de l’Autriche dans leur camp, le chancelier Julius Raab régla tous les problèmes lors des pourparlers qui se déroulèrent du 11 au 15-avril. Les occupations cesseraient en 1955 ; l’Autriche, par un acte constitutionnel, se déclarerait neutre, et les « biens allemands », principalement les champs pétroliers, lui seraient restitués moyennant paiement d’une indemnité. De ce fait, le 15 mai 1955, (15/5/55) les quatre ministres des Affaires Etrangères, Molotov, Dulles, Pinay et Mac Millan, ainsi que le ministre des Affaires étrangères autrichien Figl, signèrent au château du Belvédère un traité portant sur le rétablissement d’une Autriche indépendante et démocratique, dit Traité d’Etat autrichien. L’immense majorité des historiens souligne la détermination dont fit preuve le pouvoir politique en 1955 pour aboutir à cette signature. La neutralité permanente avait été une condition posée par les Soviétiques pour adhérer au traité. Au lendemain du départ des quatre forces d’occupation, le 26 octobre, le Conseil national vota, à l’unanimité (à l’exception des députés néonazis), la loi relative à la neutralité autrichienne, qui, en un sens, complète donc le traité. La signature de ce document fut l’étape la plus positive de la réussite historique de la Seconde République. Cette occasion saisie par les dirigeants du pays servit de référence dans le processus d’une prise de conscience nationale des Autrichiennes et Autrichiens, processus qui commença à se concrétiser à partir de la fin des années 1970.

 

Se distinguer de la neutralité suisse

Par cette sécession définitive des Autrichiens, le Reich de nation allemande en sa forme historique avait éclaté. En dépit du fait d’avoir approuvé massivement à 99% leur rattachement au Reich, les Autrichiens bien que qualifiés de Reichsdeutsch, n’en avaient pas moins gardé leur identité : celle de la Petite Allemagne, qui retrouvait son indépendance pleine et entière. C’est la première fois depuis l’affaire iranienne que l’URSS retirait ses troupes stationnées dans un pays occupé, non sans avoir obtenu de solides garanties. L’adoption souveraine de la neutralité par l’Autriche, suivant le modèle suisse, posa rapidement un certain nombre de questions sur les plans pratique et juridique. En effet, elle limite l’action sur le plan international. Le choix de la neutralité permanente oblige l’Autriche à se tenir à distance de tout conflit qui pourrait éclater entre des États tiers.

Mais le fait que cette neutralité soit librement consentie par l’Autriche elle-même renforce également sa souveraineté. En effet, le pays conserve un statut international du simple fait d’avoir réussi à faire reconnaître cette neutralité par les anciennes forces d’occupation. On remarque d’ailleurs que, dans la loi de neutralité du 26 octobre, aucune référence explicite n’est faite à la Suisse, ce qui permet des différences d’appréciation. De plus, on constate que ni la politique internationale ni la diplomatie de l’Autriche ne sauraient être identiques à celles de la Suisse, du simple fait de la position géopolitique particulière de l’Autriche en Europe centrale. En effet, la Suisse est immergée dans le bloc occidental alors que l’Autriche est un état tampon entre deux blocs. Même si les obligations qui découlent de la neutralité semblent être identiques pour ces deux pays, la vraie différence réside dans la pratique politique, notamment en matière d’adhésion à des organisations internationales : ainsi l’année où l’Autriche est devenue neutre, la Confédération helvétique se refusait à adhérer à l’Organisation des Nations unies (ONU), contrairement à l’Autriche qui en devint membre à part entière en 1955. La Suisse n’est membre ni de l’ONU, ni de l’U.E., ni d’autres organisations internationales auxquelles adhère l’Autriche ; elle est donc très indépendante du contexte international.

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Une admission à l’ONU restrictive

En Autriche, la pratique politique de la neutralité a évolué au fil du temps et ces différences étaient moins évidentes au départ. En adhérant à l’ONU, l’Autriche accepta les dispositifs prévus dans la Charte des Nations unies. Les polémiques provoquées en avril 1956 par l’intégration de l’Autriche au Conseil de l’Europe furent moins vives que celles suscitées par son adhésion à l’ONU. En réalité, on voit en cette neutralité l’interdiction faite à l’Autriche de prendre des initiatives militaires et d’adhérer à une alliance militaire. Sa liberté d’action dans tous les autres domaines de la vie internationale reste totale. Le premier article de la loi relative à la neutralité oblige l’Autriche à ne participer à aucun conflit entre États tiers. Elle doit maintenir sa souveraineté et l’inviolabilité de son territoire en se dotant uniquement de moyens de défense. Cette loi prévoit en outre l’absence de base militaire étrangère sur son territoire. En cas de conflits entre États tiers, le pays a l’obligation d’abstention et d’impartialité, selon le droit coutumier et les dispositions des Conventions de La Haye pour le désarmement et la prévention de la guerre. Par nature, l’État neutre doit s’abstenir de prêter main-forte aux belligérants A la différence de la Suisse, qui applique très strictement sa neutralité, l’Autriche fut admise à l’ONU le 15 décembre 1955.

La diplomatie autrichienne eut un effet positif du fait du rayonnement de Kreisky, comme ministre des Affaires étrangères, puis en qualité de chancelier de 1970 à 1983. Elle se manifesta principalement vis-à-vis des organisations internationales Dans les années suivantes Vienne deviendra le siège de l’AIEA, (Agence internationale de l’énergie atomique), de l’OPEP, puis de l’ONUDI devenant après New-York et Genève le troisième siège de l’ONU.  L‘Autriche, désira par la suite faire partie de la CEE, en posant, dans le sillage de la candidature britannique, avec la Suisse, et la Suède, également la sienne. Mais l’URSS s’y opposa de manière purement formelle.  En fait les pourparlers s’enlisèrent parce que l’Italie subordonnait l’adhésion autrichienne au règlement du litige sud-tyrolien en souffrance du fait de la non-application d’un accord Gruber – De Gasperi de septembre 1946, puis pour cause d’actes terroristes.

Quand en mars 1967 cet obstacle parut levé, la réticence soviétique, exprimée à Vienne, par Podgorny, en novembre 1966, fit dériver la candidature en direction d’un « accord préférentiel partiel de nature intérimaire », qui aboutit en 1972 aux accords passés par la CEE avec chacun des membres de l’AELE. Dans l’ensemble, l’Autriche tira des bénéfices non négligeables de la politique de neutralité active menée sous l’égide de Bruno Kreisky. Sur les plans politique et diplomatique, elle devint progressivement une référence internationale et, malgré son poids démographique, militaire et économique limité, une médiatrice dans certaines crises. La prospérité revenue pouvait donc être vue comme une légitimation du bien-fondé de la politique du pays.

 

L’Autriche, une intégration réussie

De nos jours, la question de savoir si les Autrichiens se considèrent comme une nation ne se pose plus pour les nouvelles générations : contrairement à la Première République, on peut parler d’une intégration réussie. Les Autrichiens sont même parmi les peuples les plus fiers de leur pays, bien plus que les Allemands. Ce qui semble évident pour les générations actuelles fut le fruit d’un long processus. Reste à découvrir si la vitalité de la nation autrichienne, nation encore jeune, lui permettra de trouver des solutions spécifiques aux défis nouveaux auxquels sont confrontées les nations européennes et par conséquent la nation autrichienne en ce début de XXIe siècle : la montée des populismes et la poussée des flux migratoires.

[1] Exemplaire question d’Autriche, Bernard Fessard de Foucault, Revue de la Défense Nationale, janvier 1991.

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À propos de l’auteur
Eugène Berg

Eugène Berg

Eugène Berg est diplomate et essayiste. Il a été ambassadeur de France aux îles Fidji et dans le Pacifique et il a occupé de nombreuses représentations diplomatiques.

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