L’Union européenne veut imposer la voiture électrique au continent. Mais aucun constructeur européen n’est prêt pour cette transformation industrielle. Les constructeurs chinois, très en avance dans la voiture électrique, sont en train de rafler les parts de marché.
Article paru dans le numéro 48 de novembre 2023 – Espagne. Fractures politiques, guerre des mémoires, renouveau de la puissance.
Par Yanmei Xie, analyste géopolitique chez Gavekal
L’annonce par Ursula von der Leyen du lancement par Bruxelles d’une enquête antisubventions sur les importations de véhicules électriques en provenance de Chine a suscité une réaction rapide de Pékin, qui a accusé l’Union européenne de « comportement protectionniste flagrant » et a promis de « défendre fermement » les producteurs chinois. Que cette guerre des mots dégénère au cours des prochains mois en un conflit commercial ouvert, avec des droits de douane et des mesures compensatoires punitives, ou que les deux parties parviennent à négocier une trêve, il est peu probable que les constructeurs automobiles allemands en sortent indemnes.
Les voitures chinoises à l’assaut de l’Europe
L’augmentation des livraisons de véhicules électriques a permis à la Chine de dépasser l’Allemagne en 2022 et le Japon au premier trimestre 2023 pour devenir le premier exportateur mondial d’automobiles. L’année dernière, les marques chinoises ont conquis 8 % du marché des véhicules électriques (VE) de l’UE, alors qu’elles n’en détenaient pratiquement aucun en 2019. BYD, le leader chinois des VE, devrait lancer cinq nouveaux modèles en Europe cette année et atteindre une part de 15 % d’ici 2025.
Pourtant, malgré les craintes en Allemagne d’une domination de l’Extrême-Orient sur l’industrie automobile du pays, ce ne sont pas les constructeurs automobiles allemands qui ont agité l’enquête antisubventions de la Commission européenne. Même si certains dirigeants de l’industrie automobile allemande ont demandé en privé à Berlin de les aider à faire face à la concurrence croissante de la Chine, ils ont hésité à engager une confrontation susceptible de provoquer des représailles de la part de Pékin. Au lieu de cela, la Commission a lancé l’enquête de sa propre initiative, sans plainte officielle de l’industrie.
Une fois que la Commission a officiellement entamé l’enquête, elle dispose de neuf mois pour la mener à bien. Les enquêteurs examineront dans quelle mesure les importations de véhicules électriques en provenance de Chine sont subventionnées, si ces subventions nuisent à l’industrie automobile européenne et s’il est dans l’intérêt de l’UE de riposter. En fonction des réponses obtenues, l’UE pourrait imposer des droits de douane sur les véhicules électriques chinois importés.
L’enquête, si elle aboutit, conclura très certainement à la culpabilité de l’État chinois pour avoir truqué les subventions en faveur de ses propres entreprises. Mais la décision d’imposer ou non des droits de douane sera politique et pourrait bien incomber à la nouvelle Commission qui doit être nommée fin 2024. Même dans ce cas, toute décision en faveur de droits de douane peut être rejetée par une majorité qualifiée d’au moins 15 des 27 États membres de l’UE, qui représentent 65 % de la population de l’Union.
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France et Allemagne sont opposées
Ce point peut être important, car les deux plus grandes économies de l’Union sont en désaccord sur les importations de véhicules électriques chinois. Les responsables français, sous la houlette du président Emmanuel Macron, ont appelé à la protection de l’industrie automobile européenne. À l’inverse, le chancelier allemand Olaf Scholz a rejeté l’accusation selon laquelle les VE chinois sont injustement subventionnés, proclamant que « la concurrence devrait nous stimuler, et non nous effrayer ».
Ces points de vue reflètent les priorités différentes des industries automobiles françaises et allemandes. Les constructeurs automobiles français ont des ventes négligeables en Chine, mais ils sont en concurrence avec les marques chinoises sur les marchés européens des voitures à bas prix et des voitures de milieu de gamme. Les trois grandes entreprises allemandes vendent 30 à 40 % de leurs voitures en Chine et ne se sentent pas menacées dans le segment du luxe. Les constructeurs automobiles français s’inquiètent donc de perdre des parts de marché au profit de leurs rivaux chinois, tandis que les entreprises allemandes craignent que les droits de douane n’entraînent des représailles qui leur feraient perdre des ventes en Chine. L’association allemande de l’industrie automobile a demandé à la Commission de prendre en compte les « représailles de la Chine » dans le cadre de l’enquête antisubventions.
Ces dernières années, la Chine a déployé une série d’outils officiels et informels sur son marché intérieur, notamment des boycotts de consommateurs, des retards de dédouanement, des restrictions de vente et des droits de douane, afin de punir les entreprises et les industries étrangères pour les infractions commises par leur gouvernement national. La liste des victimes s’allonge : voitures japonaises, feuilletons sud-coréens, porc et bœuf canadiens, vin et orge australiens et Micron, un producteur américain de puces mémoire. Le dernier ajout à la liste est Apple, après que Pékin aurait ordonné aux employés de l’État de cesser d’utiliser des iPhone, ce qui a fait chuter la capitalisation boursière d’Apple de 200 milliards de dollars américains.
L’UE osera-t-elle la guerre commerciale ?
L’UE a déjà tenté de mener des guerres commerciales avec la Chine. En 2012, Bruxelles a commencé à enquêter sur les importations de panneaux solaires en provenance de Chine pour des raisons de subventions et de dumping. En 2013, elle a lancé une enquête antidumping sur les équipements de télécommunications fournis par les sociétés chinoises Huawei et ZTE. Pékin a riposté en lançant ses propres enquêtes sur le vin européen importé et le polysilicium utilisé dans les panneaux solaires, et a menacé de lancer une autre enquête sur les voitures de luxe européennes. Bruxelles a plié. Elle a mis fin à l’enquête sur les télécommunications pour entamer des pourparlers et a renoncé aux droits de douane sur les panneaux solaires en échange de l’acceptation par les exportateurs chinois de prix minimum et de plafonds de volume.
Cette fois encore, la Chine dispose d’une grande marge de manœuvre pour menacer de prendre des mesures de rétorsion. Parmi les cibles potentielles figurent les voitures allemandes, le vin français et la mode de luxe italienne, chacune d’entre elles étant calculée pour affaiblir la détermination politique de l’UE. Il est donc probable que le différend actuel se termine lui aussi par des négociations.
Bruxelles n’a toutefois pas l’habitude d’obtenir des accords favorables. Dans les années qui ont suivi l’abandon des enquêtes sur Huawei et ZTE, les équipements de télécommunications chinois ont rapidement gagné des parts de marché dans les réseaux européens. Les champions européens de la technologie, Ericsson et Nokia, ont dû se battre pour survivre jusqu’à ce que les États-Unis fassent pression sur les gouvernements européens pour qu’ils interdisent Huawei pour des raisons de sécurité. Les conditions imposées aux ventes de panneaux solaires n’ont pas empêché l’essor de l’industrie solaire chinoise. Aujourd’hui, 80 % des panneaux solaires vendus en Europe sont fabriqués en Chine.
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L’industrie automobile allemande se trouve donc dans une situation sans issue. Si l’enquête antisubventions de la Commission européenne débouche sur l’imposition de droits de douane, Pékin trouvera des moyens de nuire aux ventes de voitures allemandes en Chine. Mais si Bruxelles parvient à une trêve négociée avec Pékin, le marché de l’UE restera largement ouvert aux VE chinois et, dans les années à venir, les constructeurs automobiles allemands devront faire face à la concurrence croissante des fabricants chinois sur leur marché national et à une part de marché en constante diminution.