<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La guerre des arts au début du XXIe siècle

11 septembre 2019

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Photo : Art socialiste réaliste letton. (c) JBN

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La guerre des arts au début du XXIe siècle

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Après la guerre froide culturelle, l’Amérique a exercé, depuis 1991, une hégémonie culturelle et artistique. La maîtrise du marché de l’art par New York a joué un rôle d’influence majeur grâce à la construction d’un réseau international, très interconnecté, d’Institutions, de Foires, de Musées, à même d’engendrer des cotes faramineuses, des discours, de la vie mondaine à l’échelle planétaire. Ainsi ce très haut marché effervescent, onirique et surréel, médiatiquement hyper-visible, a donné chair à l’idée utopique d’un art global, qui serait seul, « contemporain ».

En 2008, le cataclysme du krach financier planétaire a provoqué un choc. Beaucoup de pays entraînés dans la crise, en ont perçu les causes, ainsi que la nature perverse du système financier international de conception « occidentale ». Ils n’ont pas remis en question mondialisation, échanges, circulation des hommes, arts et marchandises, mais ils ont contesté l’infaillibilité du modèle culturel hégémonique occidental, source d’un système qui s’estime, seul, économiquement efficace, novateur, vertueux et garant de la paix.

La décennie qui suit voit alors apparaître dans ces divers pays, dont les plus importants sont les grandes puissances qui ont récemment abandonné le modèle collectiviste, un retour à leurs fondamentaux civilisationnels perdus, longtemps avant, avec la Révolution communiste. Dans le domaine de l’art, ils ne souhaitent pas un nouvel enfermement et il n’est pas question de rejeter « l’Art contemporain » validé et coté à New York. Mais ils veulent aussi pratiquer et faire connaître l’art issu de leurs racines, sans rupture ni déconstruction. Ils ont connu l’Art unique et ne le veulent plus.

Un événement significatif et spectaculaire, mais peu médiatisé, montre cette prise de distance culturelle : à partir de 2009, la Chine passe en tête du marché de l’art, devant les États-Unis d’Amérique. Hormis en 2015, la Chine est restée en tête. Beaucoup d’artistes chinois atteignent les plus hautes côtes du marché mondial et parmi eux il y a à la fois des artistes conceptuels adoubés à New York, mais aussi de nombreux peintres aimés en Chine.

Ce qui se produit, n’est cependant pas de l’ordre de la rivalité entre deux grandes puissances pour dominer culturellement la planète et imposer son art au détriment de tous les autres, comme ce fut le cas pendant la guerre froide culturelle entre URSS et USA. C’est l’avènement d’une concurrence et de l’échange entre les arts de différentes civilisations.

Trois modèles concurrents de « soft power » apparaissent, trois camps se forment :

– le camp organisé des « globalistes », encore dominant

– le camp informel des pays qui veulent défendre leur art civilisationnel sans rejeter l’art globaliste

– le camp refusant radicalement à la fois libre concurrence et globalisme artistique

Les Globalistes et leurs stratégies

« L’Empire Global » défend un art non fondé sur l’esthétique, mais sur le concept. Son rôle n’est pas de séduire, mais de sidérer, critiquer, déconstruire, déstabiliser son public qui ne comprenant pas, s’incline. Cet art ne doit être ni virtuose ni beau, mais volontairement médiocre. Ce choix à l’avantage de soumettre l’artiste qui n’ayant pas une œuvre qui s’impose par elle-même, dépend de celui qui le coopte en amont du public et du consortium qui assure la « production ».

Les vertus financières de la nullité ne sont pas des moindres. Ce type d’œuvre n’est pas faite pour être aimée, élue par le public. L’acheteur ne s’y attache pas, ce qui rend sa circulation rapide et active sa cotation à la hausse. Elle est pouvoir libératoire plus que trésor unique.

Cet art dit « contemporain » est conceptuel. C’est le concept qui est acheté lors du contrat de vente. La « production » de l’objet est un détail du contrat qui se règle à part. L’œuvre peut être ou non réalisée, par un praticien ou un autre, ici ou ailleurs. Cette possible immatérialité de l’œuvre permet une fluidité pour ainsi dire « monétaire » non limitée par les frontières.

La nullité de l’œuvre a aussi un potentiel social et international.  Elle donne l’illusion de l’existence d’une société d’égaux, partageant une culture globale. L’art sans valeur intrinsèque apaise l’ego, calme les blessures narcissiques, permet à quiconque d’être artiste, si coopté ou, collectionneur, si fortuné. C’est un grand facteur de sociabilité pour des élites incultes qui ne risquent aucune critique sur leur goût.

L’art global est le contraire de l’œuvre inspirée et unique, pour exister elle doit être produite vite et en grand nombre. La sérialité de ces œuvres est une nécessité absolue afin d’être visible partout dans l’espace planétaire, en nombre et en formats différents, afin de fournir galeries, foires, musées. Elles doivent pouvoir, afin d’être rentables, se décliner en produits dérivés, du t-shirt au porte-clefs. Ce type de production de masse rejoignant les autres industries culturelles, rend possible la marchandisation de l’art.

Pour imposer à la planète un art non séduisant, essentiellement financier et de consommation, rentabilité et profit ne suffisent pas. Il faut une stratégie d’intimidation. Ainsi est exploitée l’élaboration, par trois générations de théoriciens, universitaires et journalistes, d’un corpus d’écrits qui diabolise les Arts esthétiques comme « opium du peuple », stratégie de pouvoir, fabrique d’identité donc source de « repli identitaire », facteur de racisme… de guerre. L’Art appartient donc à des périodes obscures et est moralement dénoncé. Cette accusation qui a traversé le siècle sert de verrou à toute tentation de retour à la pratique esthétique de l’art.

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L’Art Global défendu par une classe sociale

Avant 2016, on aurait pu dire que cet Art global était le fruit d’un fort travail d’influence de l’Amérique. Aujourd’hui il n’en est plus ainsi. L’arrivée au pouvoir de Donald Trump limite cette identification. Son but est « America first ! ».  Chaque pays est encouragé par lui à faire de même. La défense de l’Art Global repose dès lors sur une classe sociale et un système international d’institutions et de marché, qui gagne très bien sa vie sans financement politique important. Cet Art qualifié d’« Occidental », à dominante anglo-saxonne, fonctionne comme un consortium mondial fondé sur une « légitimité » s’appuyant sur des labels indispensables pour avoir la réputation de « libéral », quand on ne l’est pas. C’est ainsi qu’en 2018, le prince Mohammed ben Salmane Al Saoud  a financé en un temps record toutes les infrastructures nécessaires au développement de l’Art contemporain en Arabie Saoudite !

Dans le courant des années 2010, le système de l’Art Global est arrivé à sa perfection et inclut les cinq continents dans la boucle planétaire, grâce à son réseau de foires, musées, salles des ventes, ports francs, obéissant au label : « international, bancable, contemporain ». Ce « soft power » a l’ambition de faire de l’art commercial une culture universelle. Ce rhizome mondial de l’Art Global, s’est nourri de spéculation, de défiscalisation et a assis sa légitimité sur le discours vertueux des Droits de l’Homme.

Un obstacle est alors apparu : le global est porté par un milieu aussi étroit qu’hyper visible d’intellectuels, gens de média et de grandes fortunes. Il souffre d’élitisme, de froideur, d’artificialité alors que l’Art esthétique est aimable, enraciné, local et bénéficie d’une adhésion naturelle.

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Le fonctionnement du marché global

Les stratèges de l’Art Global ont compris que pour conquérir les continents loin de l’Occident, il fallait séduire d’une façon ou d’une autre les publics locaux. Il a dû s’adapter en favorisant un art simple, compréhensible par toute la planète et a promu le « kitsch, flat, flashy ».

Le nouveau mot d’ordre est : « Local is the new cool ». Il faut appliquer la formule « Penser global et agir local ». Le mot « glocal » a été inventé pour qualifier l’instrumentation du local par le global. On ne peut faire qu’illusion, car le marché de l’art global ce sont les œuvres vendues au-dessus du million de dollars ; c’est un marché de l’offre, acheter une œuvre signifie que l’on a été accepté par un réseau de collectionneurs très fermé. À l’opposé, le marché local est un marché plus modeste qui dépend de la demande.

Autre stratégie d’appropriation du « local » : après 2008, les réseaux d’influence de New York ont souhaité spécialiser chaque place de marché afin de réserver la prédominance et le contrôle de New York. Dans cet esprit, chaque ville importante est censée être la capitale d’une province de l’art.  Ainsi Bruxelles, ville globale modèle, est le laboratoire d’un marché entre local- global, à prix moyens. Berlin est le modèle de ville multiculturelle en Europe, protectrice des artistes et minorités sexuelles, elle est pour les artistes candidats, le marche pied de New York. Paris, est au service de New York et sert d’écrin aux stratégies commerciales du Global Art et est le leader du marché international du dessin et des arts premiers. Cologne capitale du Pop Art, Lausanne, de l’Art Brut, Montréal, de l’art numérique, Melbourne du Street Art, etc.

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 Les Civilisationnistes et leurs « soft powers » alternatifs

Face aux bons globalistes qui sont les méchants identitaires ?

Les pays qui refusent l’hégémonie culturelle et son art unique global, sont divers et dispersés sur les cinq continents. Ils défendent a contrario un art esthétique, ayant une valeur intrinsèque, aux critères partageables et compréhensibles destinés à un large public. Cet Art est dans la suite de l’Histoire de l’art, se renouvelant sans rupture. Il exprime l’âme des civilisations.  Les plus actifs dans la recherche d’indépendance et de résistance sont les pays ex-communistes, Chine et Russie.  Ils connaissent bien, pour l’avoir pratiqué, le discours internationaliste, humanitaire et pacifiste. Ils ont fait l’expérience de l’effondrement du collectivisme. Ils ont été sous la pression du FMI, de l’OMC, et d’innombrables ONG prêchant l’abolition des frontières, l’unification des réglementations internationales, la soumission à la pensée et arts « mainstream ». Il a fallu à leur population au moins une décennie pour avoir, après une période de fascination, une vision plus réaliste du paradis occidental.

Le positionnement de la Chine et de la Russie face au « soft power globaliste » est : garder dans le domaine de l’art une dimension de gratuité, d’esthétique, de civilisation, sans rejeter l’Art globaliste, vu comme un courant, non pas unique, mais parmi d’autres. Ces pays ont connu l’Art unique et ne souhaitent pas y revenir. Beaucoup de pays, partagent ce point de vue, tels que le Japon, l’Inde, et bien des pays d’Europe et d’Amérique Latine.

Leurs stratégies sont la valorisation de la différence, instituant un modèle en rupture avec le « soft power » dominant. A contrario du credo global, ils montrent la valeur et le rayonnement de leur culture. Ils démontrent que leur civilisation est capable de se développer, d’innover. La modernité n’est plus le monopole de l’Occident. Il n’est pas nécessaire de faire table rase pour créer du nouveau. Ils proposent en plus du global la suite de leur art civilisationnel. Leur offre est plus large. Ainsi est née tout le long des années 2010 une diagonale des arts de civilisation, impliquant un échange entre identités. Chaque culture s’épanouit dans son bassin culturel et ses diasporas. Grâce à la communication mondiale passant par plateformes et réseaux sociaux, se connectent naturellement des courants qui existent dans plusieurs pays à la fois. Ainsi l’Art Brut semble être un phénomène anthropologique universel. Cela semble être aussi le cas de l’Art Visionnaire, art inspiré, pratiqué par des virtuoses très prisés des Japonais, des pays germaniques et anglo-saxons. Les Arts Réalistes ont des amateurs dans le monde entier.

La stratégie des « soft power » civilisationnels est pragmatique : elle met le local au centre du global. La révolution technologique d’internet, rend visible ce qui est local dans le monde entier. Big data et algorithmes rapprochent les affinités entre ce qui est proche et lointain.

L’exemple le plus spectaculaire aujourd’hui de « soft power » alternatif est celui élaboré par la Chine qui invite les artistes du monde entier à y exposer et à la connaître. Le projet de la « Nouvelle route de la soie » est grandiose, l’objectif est de démontrer au monde entier que la Chine est une grande civilisation, différente et néanmoins égale à l’Occident en traditions et en modernité. Le Japon avec « Cool Japan » fait, sans y mettre les mêmes moyens, la même chose.  La Russie tenue à l’écart par l’Occident depuis le début de la guerre en Ukraine, exerce une politique d’influence plus discrète en prenant pour support les réseaux orthodoxes. Elle associe le culturel et le spirituel. L’affirmation du spirituel est d’ailleurs un point commun de plusieurs nouveaux « soft powers » : le Japon évoque comme fondement de sa culture le Shinto, la Chine met en avant Confucius.

Les Isolationnistes de l’Islam

Excepté les pays du golfe qui jouent « global » pour des raisons d’intérêts financiers et politiques, le « soft power » des pays de l’Islam est mené par des associations internationales.   Leur position est le refus du globalisme culturel tout comme de la concurrence. Depuis1969 existe une organisation de coopération économique, sociale, culturelle, entre 57 pays islamiques, l’OCI.  Elle est la seule organisation intergouvernementale possédant une délégation permanente aux Nations Unies, la seule organisation confessionnelle dont les membres signataires sont des États. L’OCI a créé un organisme consacré à culture, éducation et science de l’Islam, l’ISESCO. Celle-ci a élaboré une « Stratégie de l’Action Islamique Culturelle à l’extérieur du Monde islamique ». Son rôle est d’exercer une influence sur les populations de la diaspora, en particulier en Occident, visant à les protéger de la dilution culturelle et de la perte d’identité. La démarche est défensive, fondée sur la valorisation de l’Islam aux yeux des musulmans eux-mêmes. Il n’est pas question dans cette charte, d’arts, ni de création actuelle.

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Curieusement on observe une relation en miroir entre les deux extrêmes : l’unicité de l’Art global et l’immuabilité des pratiques de l’Islam. Le fait majeur de cette décennie qui s’achève

est sans aucun doute l’apparition d’une diagonale des arts esthétiques, spirituels, d’émerveillement, face à la diagonale de l’art matérialiste, transgressif et nihiliste. Aujourd’hui, les réalistes pragmatiques du local s’opposent aux utopistes globalistes.

 

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À propos de l’auteur
Aude de Kerros

Aude de Kerros

Aude de Kerros est peintre et graveur. Elle est également critique d'art et étudie l'évolution de l'art contemporain.

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