La Chine se positionne comme protectrice des patrimoines civilisationnels du monde

31 juillet 2019

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : (c) Aude de Kerros

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La Chine se positionne comme protectrice des patrimoines civilisationnels du monde

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Dans le concours des jeux d’influence, la Chine a choisi sa ligne, son apport : elle s’affirme promotrice du patrimoine et des civilisations.

 

 

La priorité urgente du patrimoine

Très souvent à Paris ont lieu événements, expositions, colloques sur le thème du patrimoine, organisés par diverses entités chinoises publiques ou privées. Ainsi, une Journée franco-chinoise du patrimoine a été organisée le 16 juillet au Château de Champs-sur-Marne, fort connu pour ses décors sinisants et sa remarquable collection de laques et céramiques. Le thème de la rencontre, rassemblant représentants des institutions françaises, associations patrimoniales, journalistes spécialisés [1], thésards sur ces sujets, était la présentation des fouilles, travaux de restauration et aménagements de réception touristique de la forteresse de Diaoyu à Chongqing (Se Chouan), en Chine du Sud-Ouest. Site important dans l’histoire en raison de sa résistance aux attaques mongoles pendant trente-six ans, dus à l’ingéniosité architecturale, l’adaptation aux stratégies, la supériorité technique des armes. La réunion a permis de découvrir des points de vue, méthodes et technologies différentes en matière de patrimoine, car, jusqu’à une époque récente, cette expertise était le privilège de la vieille Europe. Une des grandes différences dans son apport à la discipline est liée au fait que si l’harmonie, conservation et restauration du patrimoine en France est un parcours au long cours, pour la Chine elle est considérée comme une urgence prioritaire !

 

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Réparer, ordonner, harmoniser

Après reniements et destructions, elle veut exorciser la période de la Révolution culturelle encore présente dans les mémoires. C’est en réparant, en mettant en valeur la beauté, la profondeur de l’histoire, la spiritualité confucéenne, qu’elle retrouve estime de soi, optimisme… l’énergie d’une Renaissance.
On peut faire une comparaison entre les destructions terribles du patrimoine qui ont été faites pendant la Révolution française et les destructions de la Révolution culturelle chinoise (en Russie, lors de la Révolution bolchévique, le Comité central a donné les moyens à son responsable des arts et de la culture, Anatoli Lunatcharski, d’arrêter, dès le début, les pillages et les incendies des palais et collections du tzar).
Curieusement on constate, après ces destructions tragiques, une même réaction de restauration de protection du patrimoine en France et en Chine. En France cela commence avec la Monarchie de Juillet et surtout sous le Second Empire. Prospère Mérimée, Violet Le Duc en ont été les personnalités marquantes. La conservation du patrimoine est ainsi devenue une institution d’état. La Chine connaît la même nécessité. Il s’agit aussi de cicatriser la plaie laissée par une guerre intestine, mettant à sac un patrimoine pluri séculaire et commun. Un phénomène anthropologique ?

Ainsi en Chine se multiplient fouilles archéologiques, restaurations, musées et restitutions intégrales de monuments disparus.

La Chine veut tout apprendre sur la conservation du patrimoine en Europe, mais elle ne vient pas les mains vides à Paris. Elle désire partager son expérience récente, son avance sur l’emploi du numérique et de l’intelligence artificielle, avec les savoir-faire acquis par l’Occident depuis 200 ans… qui hérite et préserve le passé peut se projeter dans l’avenir !
Ainsi, la Chine, grande civilisation s’est donnée comme mission de défendre les grandes civilisations.

 

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Concours de soft powers

Il y aurait au monde, si l’on en croit l’opinion dominante, un seul soft power, indépassable et légitime, celui de l’Amérique. Depuis 2015, le cabinet de conseil stratégique Portland, aidé par le centre de diplomatie publique de l’université de Californie du sud, réalise chaque année un indice, le Soft Power 30, un classement par pays. Il présente généralement les USA en première position [2] et la Chine en antépénultième… on peut admirer au passage l’exploit de l’Agence en matière de communication !

Si l’on considère qu’il puisse exister un soft power rival des USA, la Chine semblerait bien être devenue, ces dix dernières années, le premier concurrent à émerger, après la chute de l’URSS. Elle a créé plus de 500 Instituts Confucius dans le monde, ainsi qu’une Agence de presse ayant des bureaux dans 170 pays. Une chaîne de télévision internationale diffuse informations et programmes en anglais certes, mais aussi en d’autres langues, sans parler de la radio, internet et presse écrite. Elle a enfin lancé une grande opération de rattachement continental entre Pacifique et Atlantique, la Route de la soie, commerciale et culturelle à la fois. Il faut rappeler aussi que ces dix dernières années, la Chine était classée en tête, ou à égalité avec les USA, du marché de l’art international [3].

 

Les deux softs power chinois

La Chine semble avoir conçu face à l’Amérique deux soft powers. Un soft power symétrique pour répliquer à l’influence américaine. Par exemple, quand la Foire de Bâle s’installe à Hong Kong et que la ville se munit d’un port franc, immédiatement Shanghai crée deux foires internationales et un port franc. Mais la Chine ne s’en tient pas seulement à la réplique. Elle tient à donner une image d’elle-même au monde, sans se soumettre entièrement au mimétisme « mainstream ». Le soft power américain s’est positionné depuis trente ans sur la défense du global, multiculturel, communautarisé, contre les états, assurant ainsi au monde une « créativité » perpétuelle, un changement permanent, favorable au commerce de masse, au divertissement et à la paix universelle. Toutes choses devant résulter de la disparition des grandes civilisations. Sa formule est la ruse, il agit avec des acides : la dérision, le moralisme, la culpabilisation, le dénigrement, la déconstruction des cultures, le partage du monde entre gentils et méchants, en diabolisant l’adversaire.
Face à cela la répliquer symétrique ne suffit pas et la Chine y ajoute une stratégie asymétrique en occupant un espace vide, abandonné par le soft power américain. Ainsi sont préférées les démarches de séduction, d’échange entre égaux dans le domaine des arts, des savoirs et de la culture. Le patrimoine est un terrain d’entente et de partage universel qui n’humilie pas, mais valorise les parties.
La Chine semble faire école, d’autres grandes nations conçoivent elles aussi leur politique d’influence comme une œuvre de rayonnement plutôt que de soumission. C’est le cas en particulier des pays qui ont fait l’expérience tragique de l’enfermement, de la destruction du patrimoine, du rejet de la beauté, de l’humiliation de la défaite.
L’Histoire bat les cartes, quel sera le nouveau jeu ?

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[1] ICOMOS France, Conseil international des monuments et sites, AJP, Association des journalistes du patrimoine, Art Exhibitions China, AFCAC, Académie franco-chinoise d’Art et de Culture, en coordination avec les autorités de Chongqing.
[2] Depuis que Donald Trump est Président, l’indice a rétrogradé l’Amérique au troisième rang, à titre de réprobation à son égard, derrière la Grande-Bretagne et même la France qui a gagné le premier rang, « en récompense d’avoir élu Emmanuel Macron », selon les termes employés par le cabinet de conseil stratégique Portland, au moment de la publication de l’Indice 2017.
[3] Excepté en 2018.

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À propos de l’auteur
Aude de Kerros

Aude de Kerros

Aude de Kerros est peintre et graveur. Elle est également critique d'art et étudie l'évolution de l'art contemporain.
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