Au Niger, la situation politique et économique s’aggrave

4 juillet 2024

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : Young people gather to register to volunteer to fight for the country as part of a volunteer initiative, in Niamey, Niger, Saturday, Aug. 19, 2023. (AP Photo/Sam Mednick)/XSM101/23231460558573//2308191456

Abonnement Conflits

Au Niger, la situation politique et économique s’aggrave

par

Expulsion d’Orano des mines d’uranium, entrisme de la Chine et de la Russie, crise économique et aggravation des relations avec le Bénin voisin, la situation politique et économique du Niger ne cesse de se dégrader.

Situé à l’ouest du massif de l’Aïr, dans le nord du Niger, le site d’Imouraren est considéré comme l’un des plus importants gisements d’uranium au monde, avec 200 000 tonnes de réserves. Orano avait obtenu son permis d’exploitation en 2009, mais le projet était resté en suspens depuis 2015 et des essais pilotes devaient débuter en 2024. Le nouveau gouvernement nigérien a utilisé cette lenteur pour appuyer sa décision.

Cet épisode s’inscrit dans le mouvement d’expulsion progressive de la France du Niger. Après son coup d’État le 26 juillet 2023, la junte militaire nigérienne a opéré un rapprochement net avec la Russie. En s’emparant du pouvoir, elle s’était engagée à rompre les liens avec l’Occident « dominateur et colonialiste » et donc à revoir les concessions minières. Le renversement de situation est problématique pour l’Europe qui renoue avec l’énergie nucléaire. Selon l’Agence internationale de l’énergie atomique, le Niger a fourni plus d’un quart de l’uranium de l’Union européenne en 2022, et représentait environ 20% de l’uranium importé en France. Une riche production sur laquelle d’autres puissances ambitionnent de mettre la main.

(AP Graphic)/GFX1379/24173778362555//2406230305

Progression de l’ « anti-France »

La prise du pouvoir par la junte militaire au Niger a été le sixième coup d’État réussi en Afrique de l’Ouest depuis 2020. Il fut dirigé par le général Abdourahamane Tiani contre le président Mohamed Bazoum.

Les campagnes de désinformation anti-France menées sur WhatsApp, Facebook et Telegram ont largement relayé de fausses allégations concernant l’implication de la France dans la déstabilisation du pays. Les groupes pro-russes en ont été des acteurs clés, comme le Groupe panafricain pour le commerce et l’investissement (GPCI), agence de communication dirigée par Harouna Douamba, connu pour sa proximité avec les sphères russes. Le 10 août, par exemple, l’une de ces pages, INFOS DU FASO, avait affirmé que la France préparait un « complot de déstabilisation » du Niger et armait des « terroristes » (TV5Monde).

La concrétisation politique ne s’est pas fait attendre. En septembre 2023, Emmanuel Macron annonçait le départ contraint du Niger des 1 500 soldats français déployés pour lutter contre les bandes armées terroristes. En janvier 2024, la junte ordonnait l’expulsion de l’ambassade de France à Niamey qui a été rapatriée à Paris.

Les États-Unis dans l’incertitude

Les États-Unis sont implantés au Niger pour surveiller l’Afrique de l’Ouest au nom de la lutte contre le djihadisme depuis 2012 et pour profiter des mines d’uranium.

Ils sont partenaires de la mine DASA, exploitée par la société canadienne Global Atomic Corporation dont les travaux ont débuté en juin 2022. Le projet est en partie financé par les agences de Credit-export du Canada et par la Banque de développement des États-Unis. Cette mine d’uranium est d’importance pour les États-Unis qui ont récemment acté leur retour vers l’atome. En mars dernier, la Chambre des représentants a adopté L’Atomic Energy Advancement Act pour accélérer le développement des réacteurs nucléaires de nouvelle génération sur le sol américain.

Mais, en janvier 2024, la junte nigérienne a révoqué l’accord de coopération militaire, obligeant la Maison-Blanche à rapatrier ses 1 000 soldats. L’incertitude plane désormais sur la mine DASA. Les nouveaux enjeux de l’uranium et le probable retour de D. Trump aux commandes pourraient rendre les États-Unis offensifs sur la question nigérienne. Surtout, il est impensable qu’ils acceptent l’arrivée des Russes et des Iraniens dans les mines du pays.

Rapprochement avec la Russie

Après une décennie d’influence sur le continent africain pour y déstabiliser les Occidentaux, la Russie profite des coups d’État pour recomposer les alliances. En septembre 2023, le Niger a formé l’Alliance des États du Sahel avec le Mali et le Burkina Faso sous l’égide de Moscou, rompant avec le G5 Sahel, sous influence française.

Le 4 décembre 2023, le général Abdourahamane Tiani a accueilli le vice-ministre russe de la Défense, le colonel général Yunus-bek Yevkurov, pour discuter du renforcement de la coopération en matière de défense. Un protocole d’accord a été signé, mais les détails restent secrets. Des troupes russes, comprenant des formateurs militaires et des équipements, ont été déployées à Niamey en avril 2024, à la base aérienne 101.

Les mines d’uranium se libèrent, et les Russes se verraient bien en nouveaux exploitants.

La Chine s’étend au Niger

La Chine a fait son apparition dans les mines d’uranium au Niger en 2007 pour exploiter la mine d’Azelik. Surtout, elle a financé et exploite désormais le pipeline qui relie le Niger jusqu’au port de Sèmè au Bénin. L’enjeu économique est conséquent pour la région où 90 000 barils de pétrole doivent être exportés tous les jours. Mais, les tensions entre le Niger et le Bénin ralentissent la production. À la suite du coup d’État, la frontière entre les deux pays avait été fermée. En mai 2024, un accord provisoire a été trouvé pour permettre le passage des premières cargaisons de pétrole nigérien, mais les tensions persistent. Le 8 juin, cinq employés de la compagnie pétrolière chinoise Wapco Niger ont été arrêtés dans le port de Sèmè par les autorités béninoises, qui les accusaient d’être entrées illégalement sur le site.

Vers l’instabilité

Le Niger, malgré les sanctions économiques imposées par la CEDEAO après le coup d’État de juillet 2023, devrait enregistrer le taux de croissance le plus élevé d’Afrique en 2024, avec un PIB attendu en hausse de 11,2%, selon la Banque africaine de développement (BAD). Cette prévision est fondée sur l’exportation de 90 000 barils de pétrole par jour via un nouvel oléoduc vers le port de Sèmè au Bénin, générant des revenus fiscaux significatifs.

Les sanctions économiques et financières imposées par la CEDEAO avaient paralysé l’économie nigérienne, augmentant les prix des denrées alimentaires de 75% en moyenne à Niamey et obligeant les opérateurs économiques à contourner les restrictions via des routes plus longues et dangereuses.

La levée des sanctions en février 2024 a certes permis un soulagement partiel, mais les défis restent immenses.

La fermeture de la frontière avec le Nigéria, un partenaire commercial clé, a exacerbé la crise économique et l’insécurité. Les échanges commerciaux ont été sévèrement affectés, entraînant une augmentation des prix des denrées alimentaires et une détérioration des conditions de vie. La population locale souffre de la montée de la criminalité et de l’insécurité alimentaire. Les tensions entre éleveurs et agriculteurs se sont intensifiées, et de nombreux habitants se tournent, pour survivre, vers des activités illégales. La situation est aggravée par le conflit persistant avec le Bénin.

Conflit avec le Bénin

En effet, le Niger a fermé ses frontières avec le Bénin à la suite du coup d’État de 2023. Cette fermeture était une des mesures imposées par la CEDEAO pour isoler le nouveau régime militaire et rétablir l’ordre constitutionnel. Bien que ces sanctions aient été levées le 25 février 2024, le Niger a maintenu la fermeture de ses frontières en invoquant des raisons sécuritaires, en invoquant la nécessité de prévenir les menaces terroristes et de protéger l’intégrité du pays face aux tensions régionales.

En réponse, le Bénin a bloqué les exportations de pétrole du Niger via son port de Sèmè, exigeant la réouverture des frontières et la normalisation des relations commerciales avant de permettre la reprise des exportations de pétrole.

En mai 2024, un accord provisoire a été trouvé pour permettre le passage des premières cargaisons de pétrole nigérien. Cependant, les tensions ont continué, culminant avec l’arrestation de cinq employés de la compagnie pétrolière nigéro-chinoise Wapco Niger par les autorités béninoises, qui les accusaient d’être entrés illégalement sur le site. Le Niger, de son côté, a dénoncé ces arrestations comme une violation des accords commerciaux et a menacé de stopper le flux de pétrole à travers le pipeline.

Le 25 juin, vingt militaires et un civil ont été tués dans l’ouest du Niger par une coalition de groupes armés terroristes. Cette attaque s’inscrit dans une série d’attaques croissantes qui exploitent la gouvernance fragile du régime militaire du général Tiani et la corruption endémique, aggravant l’instabilité régionale et les tensions avec le Bénin. Cette crise a des implications économiques significatives pour les deux pays. Pour le Niger, un pays sans accès direct à la mer alors que l’exportation de pétrole via le Bénin est cruciale pour son économie. Pour le Bénin, les droits de transit pétrolier représentent une source de revenus non négligeable.

L’expulsion d’Orano du Niger symbolise les difficultés rencontrées par ce pays depuis le coup d’État de juillet 2023. Un an après, le pays connait une déliquescence politique, économique et sociale qui le fragilise et affaiblit sa population.

Mots-clefs :

Vous venez de lire un article en accès libre

La Revue Conflits ne vit que par ses lecteurs. Pour nous soutenir, achetez la Revue Conflits en kiosque ou abonnez-vous !

À propos de l’auteur
Guy-Alexandre Le Roux

Guy-Alexandre Le Roux

Journaliste

Voir aussi