Le général Igor Kirillov, responsable russe de la défense contre les armes chimiques, a été tué par une trottinette piégée le mardi 17 décembre 2024 à Moscou. Cette élimination revendiquée comme une action de représailles par les services de renseignement ukrainiens pose plusieurs questions d’ordre éthique et stratégique.
Sur un plan éthique, éliminer un haut responsable d’une armée ennemie, a priori sans dommage collatéral, même s’il n’est pas engagé directement sur le théâtre d’opérations, semble de prime abord conforme au droit des conflits armés qui repose notamment sur la distinction essentielle entre combattants et non-combattants et le principe de proportionnalité.
Ce mode d’action a d’ailleurs été largement utilisé par les armées occidentales dans leur lutte contre les groupements djihadistes que ce soit en Afghanistan, dans la zone irako-syrienne ou au Sahel avec une efficacité d’ailleurs toute relative, mais c’est un autre sujet.
Cela étant, les représailles si elles n’ont d’autre but que la vengeance et non l’affaiblissement du potentiel ennemi n’ont pas vraiment de sens et ne font qu’entrer les belligérants dans le cycle de la montée aux extrêmes. D’un point de vue éthique, leur valeur reste alors douteuse.
Une action pour quel but ?
La vraie question est donc : quel est le but de cette action ? Cette élimination est-elle de nature à dégrader une capacité militaire russe hautement sensible ? Doit-elle être comprise comme faisant partie d’une stratégie de contournement ? Ou est-elle juste un coup médiatique à l’instar de l’éphémère conquête d’une partie de l’oblast de Koursk?
Écartons d’emblée la première hypothèse. En effet, un général, même très compétent, se remplace et il est peu probable que cette élimination ait un impact significatif sur la mise en œuvre des capacités NRBC[1] russes. Il aurait fallu pour cela qu’elle soit accompagnée d’actions cinétiques sur une partie de la chaine de commandement russe en charge des armements NRBC.
Deuxième hypothèse : en difficulté sur le front des opérations, l’Ukraine montre qu’elle reste capable de porter le fer au cœur de la capitale russe et espère ainsi reprendre l’avantage sur le registre psychologique (redonner confiance à son camp ; démoraliser la partie adverse). Après tout, c’est le propre de la guerre hybride que de jouer de tous les modes d’action possibles sur le « clavier de l’action » cher au général Beaufre. L’intention est peut-être là, mais la réalité des effets recherchés sans doute peu probable au regard des presque trois années de guerre écoulées qui ont montré la capacité du gouvernement ukrainien à surprendre, mais aussi sa relative incapacité à exploiter ses « coups » c’est-à-dire à élaborer une véritable stratégie. L’offensive sur Koursk de l’été 2024, citée supra, en est l’illustration.
En effet, cette élimination au cœur de Moscou, qui plus est revendiquée, est certainement humiliante pour les Russes et de nature à créer une certaine psychose au sein du haut commandement russe. Mais de là à provoquer un effet de sidération ou infléchir l’apparente inéluctabilité de l’avancée russe en Ukraine, c’est peu probable et c’est sous-estimer la résilience d’un pays qui a été capable en d’autres temps certes, de brûler sa capitale plutôt que de négocier avec Napoléon.
À titre de comparaison, Israël offre l’exemple de ce qu’est une véritable stratégie multi milieux multichamps, en combinant la neutralisation stupéfiante de plusieurs centaines de cadres du Hezbollah par piégeage de leurs moyens de communication et actions plus classiques de frappes aériennes et terrestres pour aboutir à un effet de sidération psychologique et la désorganisation durable et profonde des capacités militaires du proxy iranien.
Troisième hypothèse et sans doute la plus probable : cette élimination est un coup médiatique destiné à ramener la question du soutien occidental à l’Ukraine à l’ordre du jour. Il ne s’agit sans doute pas de remuer les opinions occidentales déjà acquises à la cause, mais néanmoins lassées de la guerre, mais d’interpeller les dirigeants et leur prouver la capacité de l’Ukraine à poursuivre le combat avec leur aide. C’est de bonne guerre et cela a déjà prouvé son efficacité par le passé.
Néanmoins, à quelques semaines de l’investiture de Donald Trump à la Maison-Blanche et donc de possibles négociations, cette action, s’inscrivant dans un contexte manifeste d’escalade[2], vise peut être à provoquer la colère du maître du Kremlin et le pousser à commettre l’irréparable, justifiant ainsi l’élargissement du conflit que certains semblent appeler de leurs vœux depuis bientôt trois ans.
[1] Nucléaire, radiologique, bactériologique, chimique
[2] Et d’ailleurs vivement critiqué par le futur locataire de la Maison-Blanche, mis ainsi devant le fait accompli.