La peinture à l’encre, ayant source et tradition en Chine, est aujourd’hui un des courants artistiques qui circule dans le monde au-delà des frontières originelles. Sa pratique, en perpétuelle métamorphose, est aujourd’hui objet d’échanges, d’emprunts, de réception internationale. Son principe n’est pas une reproduction du réel en deux dimensions mais sa saisie à travers le prisme de l’âme, rendu par un geste communiquant un souffle vital. C’est un art contemplatif, un art d’être. Un exemple de ces circulations artistiques, nous est donné par une courte exposition à Paris
Une fleur deux mondes
Yuha Shouzhi Wang
Musée des Art décoratifs – Palais du Louvre -103 Rue de Rivoli – Hall des Maréchaux –
Le 11 et le 12 octobre 2019
Yuha Shouzhi Wang s’inscrit dans la riche autant que tragique histoire de la peinture à l’encre au XXe siècle. Comme beaucoup d’artistes ses aînés ou contemporains, elle a vécu intérieurement deux épreuves initiatiques : celle de la rencontre avec d’autres univers picturaux venus de l’extérieur de la Chine et celle de la destruction de son art à l’intérieur de ses frontières. Peinture vivante et pluri millénaire, elle a cependant continué à vivre et à se métamorphoser. Ce siècle tourmenté s’achève par une Renaissance : la peinture à l’encre ancienne et nouvelle est aujourd’hui reconnue et célébrée autour du monde.
L’aventure picturale de Yuhua Shouzhi Wang est un exemple. Elle naît en 1966 alors que commence la Révolution culturelle qui dure dix cruelles années. La peinture à l’encre est détruite, les peintres persécutés, l’enseignement interdit. Elle atteint cependant l’âge des apprentissages au moment où cette violence faiblit et où la peinture à l’encre reprend sa place. Elle appartient à la première génération de jeunes gens, artistes et intellectuels qui peuvent quitter la Chine pour compléter leur formation au loin, après trente ans de frontières hermétiques. Elle rejoint l’Europe et de l’Amérique. Elle achèvera un doctorat en Sciences humaines à l’Université de Maning en Irlande et sera diplômée de l’Université d’Auburn en Amérique où elle établira sa demeure pour y enseigner.
Yuhua Shouzhi Wang suit une double voie : celle de la connaissance et celle de l’art. C’est dans l’ordre des choses en Chine. Le peintre est lettré et poète. Il recherche la connaissance et mieux encore la sagesse. La peinture à l’encre n’est pas seulement un savoir-faire, elle est un savoir-être. Elle accompagne un parcours spirituel qui engage la personne tout entière. Par la main qui tient le pinceau passe le souffle spirituel qui seul peut donner naissance à une image vivante, autant qu’à une pensée profonde.
Virtuose dans son art, elle connaît au seuil du nouveau millénaire, une reconnaissance de sa peinture en Amérique. Prestigieuses institutions, fondations, universités, musées, écoles d’art, dont la New York Academy of Art, rendent hommage au maître de la peinture à l’encre qu’elle s’est révélée être, ayant pourtant définitivement quitté la Chine. Plus récemment sa notoriété a dépassé l’Amérique pour trouver un écho en Europe, à Londres notamment. Sa confrontation avec l’Occident a révélé le peintre.
Elle a choisi le chemin le plus dépouillé : grâce et simplicité. Ces sujets sont ceux de la contemplation paisible : aussi simples qu’une fleur, des fruits, un oiseau. Elle ne craint pas le « peu de choses ». On ne sait comment, c’est son génie propre, il semble en surgir un immense espace.
Tant de silence… et cependant si vaste langage ! Le noir traditionnel a aussi enfanté, sur ses pages blanches, les couleurs jadis bannies et leurs résonances mystérieuses… chacune agit sur l’âme à sa manière.
Yuhua maîtrise aussi comme une évidence le monde mystérieux des contraires : le noir, le blanc, les couleurs entre elles, le trait qui dessine avec si grande précision et les formes qui se perdent dans les nuages de l’imprécision. Ainsi sur une si petite feuille de papier, ou sont posées des fleurs si fragiles, on croit les voir soudain déborder et envahir le monde. Les opposés irréductibles à peine posés achèvent leur combat dans un lit de noces où noir et blanc deviennent fluorescents et ruisselants.
La voie de Yuhua Shouzhi Wang est intemporelle, essentielle, silencieuse. Elle s’exprime en trois mots : un unique trait de pinceau, jailli du cœur, accomplit l’œuvre.