<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Le Rwanda, un partenaire stratégique incontournable sur la scène africaine ?

22 juillet 2019

Temps de lecture : 8 minutes

Photo : RWANDA-KIGALI-TRANSFORM AFRICA SUMMIT (c) Sipa 00907883_000004

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Le Rwanda, un partenaire stratégique incontournable sur la scène africaine ?

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« Deuxième pays africain où il est le plus facile de faire des affaires[1] », « pays avec la capitale la plus propre d’Afrique[2] », « pays avec la proportion de femmes au parlement la plus élevée du monde[3] », « Suisse de l’Afrique[4] », les qualificatifs élogieux et les superlatifs ne manquent pas dans la presse et les classements internationaux pour désigner le Rwanda ces dernières années. En peu de temps, ce petit pays africain de 12 millions d’habitants semble ressuscité pour devenir ce que certains appellent déjà -non sans critiques- le miracle rwandais. Avec des personnalités politiques rwandaises à la tête de plusieurs organisations régionales et internationales et courtisé par de grandes puissances, le pays semble mieux positionné que jamais dans le concert des nations. Le Rwanda serait-il en passe de devenir un des pays les plus stratégiques du continent africain ?

 

Le Rwanda, un partenaire stratège et stratégique sur la scène africaine et internationale

 

Investi dans de nombreuses organisations régionales et internationales, le Rwanda semble vouloir se tailler la part du lion dans l’attribution des postes stratégiques. Le 10 février 2019, Paul Kagame quittait la présidence tournante de l’Union africaine après un an de mandat pour prendre la tête de la Communauté d’Afrique de l’Est. De son côté, l’expérimentée ancienne ministre Louise Mushikiwabo a pris ses fonctions de secrétaire de l’Organisation internationale de la Francophonie en janvier. Un choix surprenant, au regard du tournant anglophone du pays depuis une dizaine d’années, mais soutenu par Paris qui voit dans sa nomination une opportunité de rapprochement entre les deux États. À la fois membre de l’OIF et du Commonwealth depuis 2009, le Rwanda use de partenariats stratégiques pour se positionner tactiquement dans les relations internationales.

Le pays est devenu ces dernières années une puissance militaire incontournable du continent africain. En effet, il est, en 2019, le troisième fournisseur de troupes onusiennes pour des missions de maintien de la paix avec 6 535 soldats et policiers déployés notamment au Soudan du Sud, en Centrafrique ou encore en Haïti[5].

Présenté comme un modèle de développement avec une croissance de 7,2% en 2018, le Rwanda est un État qui sait communiquer. D’une économie majoritairement agricole, il ambitionne d’effectuer une transition vers une économie de services et devenir un pays à revenu intermédiaire d’ici 2020. Même s’il existe des accusations de gonflement des statistiques, le Rwanda parvient régulièrement à se placer au sommet des classements internationaux. La presse internationale fait l’éloge d’une nation égalitaire entre hommes et femmes, innovante, sûre, parvenant à améliorer le bien-être de sa population et à l’administration incorruptible. Les Occidentaux, séduits, investissent de manière croissante dans le pays. Malgré la multiplication par 3,8 des volumes de l’aide publique au développement à destination du Rwanda entre 2000 et 2017, le pays souhaite assurer son indépendance stratégique en réduisant progressivement la part des subsides étrangers dans le budget total de l’État. [6] Profitant d’une popularité globalement forte en Afrique, le gouvernement de Paul Kagame s’est aussi lancé dans la création inédite d’une agence de coopération sud-sud, la Rwanda Cooperation Initiative.

Pour l’historien Gérard Prunier « Paul Kagame est le maître du Rwanda, le seul chef d’État africain à pouvoir parler d’égal à égal avec les grands de la planète, et capable de peser sur les décisions de la plupart des tribunaux internationaux[7] ».

L’histoire contemporaine tragique du pays, clé de lecture des tensions franco-rwandaises

 

Qui pourrait aujourd’hui imaginer, en se promenant dans le centre-ville de Kigali entre gratte-ciels, magasins achalandés, et végétation urbaine, qu’il y a 25 ans se jouait un des épisodes sombres de l’histoire du pays ? En avril 1994, à la suite de l’assassinat du président rwandais Juvénal Habyarimana, l’explosion des tensions raciales ancrées de longue date dans le pays engendrait des tueries de masse. En juillet 1994, les troupes du Front Patriotique Rwandais du Général Kagamé reprenaient le contrôle du pays, faisant fuir les génocidaires vers le Zaïre voisin (actuelle RDC) et mettant ainsi un terme à trois mois d’un génocide ayant couté la vie à 800 000 Tutsis et Hutus. Le pays était ravagé, la région complètement déstabilisée.

Après ces événements, les relations entre le Rwanda et la France se sont envenimées. Cette dernière est encore fréquemment accusée par le gouvernement de Paul Kagamé d’avoir participé au génocide en sympathisant avec le régime génocidaire, en lui fournissant des armes et en ayant permis aux criminels de fuir le pays. C’est à la suite d’une instruction ouverte par la justice française contre des proches du président Kagamé et aux demandes d’un juge français de poursuivre le président rwandais devant le Tribunal pénal international en 2006[8] que le Rwanda rompt ses relations diplomatiques avec Paris. Elles se normalisent en 2009 après la visite du président Sarkozy à Kigali, mais n’en demeurent pas moins complexes comme l’illustre la démolition de l’Institut français à Kigali en 2014[9]. Un réchauffement des relations est toutefois observable depuis mai 2018, dû la visite du président Kagamé en France, sous le signe de l’apaisement. Cependant, le président Macron reconnaissait lui-même « Je ne suis pas naïf, nous n’allons pas régler le passé en une annonce et quelques signes[10] ».

Lire aussi :Bernard Lugan, Atlas historique de l’Afrique

Violations des droits de l’Homme et tensions régionales

En parallèle d’un tableau international plutôt positif, l’ONG Human Rights Watch a rapporté, ces dernières années, de nombreux cas de violations des droits de l’Homme au Rwanda : détentions militaires illégales, actes de torture, exécutions extrajudiciaires et incarcérations d’opposants viennent s’ajouter à la longue liste d’accusations déjà dressée par l’ONG pour non-respect des libertés et droits fondamentaux. S’est engagé un bras de fer entre l’organisation et le gouvernement, qui dément en menant des contre-enquêtes et menace ne pas renouveler les accords avec Human Rights Watch.

Jusqu’à présent, les réactions de la communauté internationale sont restées modestes. La sympathie pour le régime reste inchangée. Washington et Bruxelles se sont contentées de dénoncer dans des rapports la situation des droits de l’Homme au Rwanda sans pour autant changer leurs positions envers le pays. De son côté, Paul Kagamé balaie la critique de la main : « la démocratie n’est pas du prêt-à-porter[11] ».

Par ailleurs, les efforts du Rwanda sur la scène internationale pourraient bien être sapés par les relations tendues du pays avec la plupart de ses voisins. Depuis les deux guerres du Congo (1996-1997 et 1998-2003), la géopolitique de la région des Grands Lacs a été profondément redessinée. Malgré des rapports améliorés entre le Rwanda et la RDC, l’invasion des troupes rwandaises sur le territoire congolais et les effets déstabilisateurs de celle-ci ont laissé un souvenir amer à Kinshasa. Le Burundi, quant à lui, accuse Kigali de soutenir des rebelles pour ébranler le pouvoir du président Nkurunziza. Enfin, les relations avec l’Ouganda se sont fortement dégradées ces derniers mois. Le pays reproche au Rwanda de violer les règles de libre circulation en vigueur dans la Communauté d’Afrique de l’Est en fermant la frontière entre les deux pays.

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Kagamé se tourne vers l’orient

 

Pour pallier ce déficit régional, le gouvernement rwandais tente de consolider et diversifier ses liens commerciaux internationaux avec de nouveaux partenaires depuis les années 2000. En visitant Kigali, on mesure toute l’importance de la présence chinoise dans le pays. Les panneaux de chantier de la China Star et la CCECC (China Civil Engineering Construction Corporation) fleurissent aux abords des travaux des prochains hôpitaux, banques et administrations du pays.  L’année dernière, le Rwanda a su mettre habilement à profit la concurrence entre la Chine et l’Inde dans la négociation d’accords de prêts d’un montant total de 300 millions de dollars[12]. En parallèle, Jack Ma, président du géant chinois Ali Baba décidait d’ouvrir à Kigali la première plateforme du commerce numérique en Afrique. L’occident n’a plus le monopole économique au Rwanda.  D’ailleurs, 43% des importations du pays proviennent du continent africain et 34,5% de l’Asie avec la Chine en tête.  Et si les États-Unis restent toujours la première destination des exportations rwandaises (19%), de nouveaux partenaires émergent aujourd’hui comme la Chine (13%) ou le Pakistan (15%)[13].

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Enfin, le pays a entrepris de nouveaux accords avec la Corée du Sud dans le domaine des nouvelles technologies ou avec Israël qui a ouvert dernièrement une ambassade à Kigali. L’État hébreu s’est ainsi engagé à soutenir le pays en matière de santé et d’éducation. Pourtant les relations entre les deux pays ont récemment fait l’objet de vives critiques. En cause un accord confidentiel de 2018 permettant à Israël d’expulser des réfugiés et demandeurs d’asile vers le Rwanda. Jusqu’où le gouvernement rwandais est-il prêt à aller pour obtenir de nouveaux partenariats [14] ?

Ainsi, malgré des tensions régionales et les critiques répétées de non-respect des droits et libertés fondamentaux, le Rwanda mène avec succès une stratégie de diversification et de réorientation de ses rapports extérieurs et s’impose comme un acteur stratégique du continent capable de composer avec la multipolarité des relations internationales contemporaines. Le cas du Rwanda permet en effet de comprendre les stratégies d’extraversion[15] mises en place par les États africains et la transformation des modalités d’intégration de ces pays au système international postcolonial. Pour le politologue Jean-François Bayart, « Le trait saillant qui se dégage en définitive des trois derniers siècles est, non pas l’intégration croissante de l’Afrique à l’économie-monde occidentale, mais au contraire l’impuissance de celle-ci à faire basculer le continent dans son champ d’attraction[16] ».

Lire aussi : Paul Kagamé se protège-t-il de ses crimes ? 

Sources:

Abou Ez Éléonore, Rwanda, le parlement qui compte le plus de femmes FranceTV info, mars 2015

Aglietti Stéphanie, RFI: Kigali a démoli le centre culturel franco-rwandais, juillet 2014

Bayart Jean-François L’Afrique dans le monde : une histoire d’extraversion. In : Critique internationale, vol. 5. 1999, Mémoire, justice et réconciliation

Bayart, Jean-François L’État en Afrique, la politique du ventre, Fayard 2006

Châtelot, Christophe A Paris, les présidents Macron et Kagame jouent l’apaisement Le Monde, mai 2018

France TV Info, Vidéo. Comment Kigali est devenue une des villes les plus propres d’Afrique, 2018

France24: Israël ouvre une ambassade au Rwanda, allié stratégique de l’État hébreu, février 2019

Gérard Prunier, Rwanda, 1959-1996, Histoire d’un génocide, Dagorno,1997.

Gicquiau, Adrien Kigali, la capitale du Rwanda « où l’on vit aussi bien qu’à New York » Le Figaro,  octobre 2017

https://atlas.media.mit.edu/en/profile/country/rwa/

Kimonyo, Jean-Paul Rwanda demain ! Une longue marche vers la transformation, Karthala 2017

Le Parisien : Rwanda: Sarkozy reconnait « les graves erreurs » de la France, février 2010.

Prunier, Gérard Portrait de Paul Kagame – président de la République du Rwanda, Institut Montaigne, décembre 2018

Reuters: Rwanda signs $300 million in loan deals with China and India, juillet 2018.

RFI: Francophonie: le Rwanda na jamais semblé si fort fans le concert des nations, octobre 2018.

RFI: La Chine et le Rwanda, une longue histoire bilatérale, juillet 2018.

RFI: Rwanda: HRW accuse l’armée de recourir à la torture, octobre 2017.

Smolar Piotr Rwanda: le juge Bruguière met en cause le président Kagamé, Le Monde, novembre 2006.

World Bank, Ease Of Doing Business Index 2018.

 

[1]  World Bank, Ease Of Doing Business Index 2018.

[2] France TV Info, Vidéo. Comment Kigali est devenue une des villes les plus propres d’Afrique, 2018.

[3] Abou Ez Éléonore, Rwanda, le parlement qui compte le plus de femmes FranceTV info, mars 2015.

[4] Gicquiau, Adrien Kigali, la capitale du Rwanda « où l’on vit aussi bien qu’à New York » Le Figaro,  octobre 2017.

[5] Global Fire Power Index, 2017.

[6] Banque Mondiale, 2017, 2018.

[7] Prunier, Gérard Portrait de Paul Kagame – président de la République du Rwanda, Institut Montaigne, décembre 2018.

[8] Smolar Piotr Rwanda: le juge Bruguière met en cause le président Kagamé, Le Monde, novembre 2006.

[9] Aglietti Stéphanie, RFI: Kigali a démoli le centre culturel franco-rwandais, juillet 2014.

[10] Châtelot, Christophe A Paris, les présidents Macron et Kagame jouent l’apaisement, Le Monde, mai 2018.

[11] Kimonyo, Jean-Paul Rwanda demain! Une longue marche vers la transformation, Karthala 2017.

[12] Reuters: Rwanda signs $300 million in loan deals with China and India, juillet 2018.

[13] https://atlas.media.mit.edu/en/profile/country/rwa/

[14] France24: Israël ouvre une ambassade au Rwanda, allié stratégique de l’Etat hébreu, février 2019.

[15]  Pour les États, «le recours délibéré à des stratégies d’extraversion, mobilisant les ressources que procurait leur rapport – éventuellement inégal – à l’environnement extérieur » Jean-François Bayart. L’Afrique dans le monde : une histoire d’extraversion. In: Critique internationale, vol. 5. 1999. Mémoire, justice et réconciliation. pp. 97-120

[16] Bayart, Jean-François L’État en Afrique, la politique du ventre,  Fayard 2006.

 

Article rédigé par Arnaud Dupuis, vainqueur du concours des Diplo’Mates.

Arnaud Dupuis est étudiant en 4e année à l’Institut d’études Politiques de Lyon en Affaires Internationales. Ayant voyagé et travaillé en Afrique de l’Est, il souhaite se spécialiser en études du développement, tout particulièrement sur le continent africain.

 

Crédit photo : Sipa Reportage. 

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Diplo’Mates est l’association de géopolitique d’Em Lyon business school. Fondée en 2014, son but est de promouvoir la géopolitique et la diplomatie auprès des étudiants de l’école pour en faire des managers conscients des problématiques du monde qui les entoure. Diplo’Mates organise de nombreux événements : une simulation de négociations aux Nations Unies, le Diplo’Mun, qui réunit des étudiants de toute la France autour de débats centrés sur une question géopolitique, mais aussi des visites des hauts lieux de la diplomatie européenne.

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