Le 3 septembre 2013, l’Arménie a signé la feuille de route qui prépare son adhésion à l’Union douanière qu’ont constitué la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan appelée à devenir une Union eurasienne.
Erevan souhaitait entrer dans l’Union eurasienne tout en profitant du Partenariat oriental [simple_tooltip content=’Partenariat oriental : accord d’association conclu entre l’Union européenne et l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie, la Moldavie, l’Ukraine, et la Biélorussie en 2009.’](1)[/simple_tooltip] proposé par l’Union européenne, mais cette dernière lui a fait savoir que les deux adhésions étaient incompatibles (comme elle a l’a indiqué à l’Ukraine, au risque de provoquer la crise que l’on sait voir). Une position fermement défendue par Peter Stano, porte-parole du commissaire européen à l’élargissement, et Linas Linkevicius, ministre lituanien des Affaires étrangères.
Cet alignement sur l’espace eurasien sonne le glas de la politique étrangère dite de « complémentarité » prônée par l’ancien ministre des Affaires étrangères de 1998 à 2008, l’arméno-américain Vardan Oskanian. Erevan entretenait alors simultanément des rapports étroits avec Moscou et Téhéran, tout en conservant de bonnes relations avec les États-Unis et la France, ces dernières abritant une importante diaspora arménienne.
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Que l’Arménie se tourne vers la Russie n’était pourtant pas si évident. Contrairement aux Ukrainiens et aux Biélorusses orthodoxes et de culture slave, les Arméniens ont su préserver leur caractère national et résister aux tentatives d’assimilation prônées par le pouvoir tsariste, puis soviétique. L’attachement à des symboles forts tels l’alphabet national et le caractère autocéphale de l’Église apostolique ont favorisé le maintien d’un lien transnational avec une diaspora numériquement plus importante que l’actuelle population de l’Arménie actuelle.
Une adhésion pragmatique
Mais le pouvoir arménien a pesé le pour et le contre, tablant sur une vision pragmatique des relations géostratégiques bilatérales. C’est à Gumri, au nord du pays, que se trouve l’unique base russe de Transcaucasie (le bail a été renouvelé jusqu’en 2044). Et, depuis 1992, des soldats russes sont postés le long de la frontière avec l’Iran et la Turquie. Par ailleurs, Erevan dépend à 100 % de ses fournisseurs russes pour son approvisionnement énergétique. Surtout Moscou bénéficie d’une indiscutable aura en Arménie comme « bouclier anti-turc » et garante du statu quo concernant le conflit du Haut-Karabakh (le cessez-le-feu date de 1994). La Russie a par ailleurs tenté, en vain, d’appuyer les revendications d’Erevan envers la Géorgie qui peine à respecter les droits culturels de l’importante minorité arménienne du Djavakhk.
Pays charnière, coincé entre la Turquie et l’Iran, soumis au blocus turco-azéri, mise à l’écart du tracé des principaux gazoducs régionaux, l’Arménie avait-elle le choix ? Si la notion d’eurasisme demeure encore floue et peu familière des cercles de décision qui y voient une nouvelle alliance de raison avec la Russie, elle suscite à Erevan un débat entre les think tanks pro-gouvernementaux et ceux de l’opposition. Selon les analyses du centre d’études stratégiques Noravank (pro-gouvernemental), l’Eurasie constitue tout au plus un bouclier supplémentaire dans l’arsenal de défense contre l’irrédentisme panturc, à l’heure où l’adversaire azéri turcophone accroît de manière constante son budget de la défense (+ 0,9 % en 2014 pour une enveloppe de 1,4 milliards d’euros) [simple_tooltip content=’www.defensenews.com/article/20121130/DEFREG04/311300002/’](2)[/simple_tooltip].
Ainsi, l’enjeu eurasiatique offre un boulevard de possibilités pour une élite politique en mal d’idéologie. Les gains à percevoir de l’Union douanière se calculent par centaines de millions de dollars, investis par l’entregent de la banque eurasienne de développement dans divers projets d’infrastructures (chemin de fer, construction d’une deuxième centrale nucléaire et modernisation de la première, possibilités de nouveaux débouchés pour la production industrielle). Ajoutons à ces perspectives l’annonce de la réduction de 30 % du tarif de gaz.
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Signe fort, l’Union douanière a été accueillie comme une douche froide à Bakou. Outre la possibilité d’accorder une assurance-vie à une Arménie enclavée, l’intégration eurasiatique permettrait de dépasser les traumatismes d’une histoire nationale meurtrie par le génocide de 1915 et la perte consécutive des deux tiers du territoire de l’Arménie historique. Perchée aux confins des empires sur la route des invasions, l’Arménie aspire à rejoindre un bloc géopolitique stable.