Arménie / Azerbaïdjan, reprise de la guerre

13 septembre 2022

Temps de lecture : 7 minutes

Photo : November 13, 2020 - Shushi, Nagorno-Karabakh. Armenian soldiers retrieve dead Azeri soldiers in order to return them to Azeri troops a few hundred yards away. (photo by Jonathan Alpeyrie/Sipa Press)//ALPEYRIEJONATHAN_0304.10332/2011142319/Credit:Jonathan Alpeyrie/SIPA/2011142328

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Arménie / Azerbaïdjan, reprise de la guerre

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L’armée azerbaidjanaise a déclenché dans la nuit du 12 au 13 septembre une offensive de grande ampleur sur différents points de la frontière avec l’Arménie, provoquant de graves dommages matériels et la perte d’une cinquantaine de soldats arméniens. Retour sur les événements et une mise en contexte des enjeux de ce conflit.

Le terrible scénario de la guerre lancée il y a deux ans contre l’Artsakh est-il en train de se rejouer avec cette fois l’Arménie dans le viseur de l’Azerbaïdjan ? La question se pose alors que l’armée azérie a lancé le 12 septembre une offensive qui a déjà fait au moins une cinquantaine de morts. Le nouvel acte d’une guerre interminable se déroule, à présent non pas autour du Karabagh, mais sur le territoire souverain de la République d’Arménie.

Goulot d’étranglement qui unit l’Arménie à l’Iran, l’étroite bande montagneuse du Siunik / Zanguezour est l’objet d’un litige entre les deux voisins ennemis. Mais ce bastion du nationalisme arménien est aussi et surtout le dernier verrou stratégique qui barre la jonction entre l’Azerbaïdjan, son exclave du Nakhitchevan, elle-même reliée au territoire turc par une bande de 9 kilomètres de frontière obtenue en 1921 par les traités de Kars et de Moscou conclus entre bolchéviques et kémalistes. Depuis lors, les Azéris, qui considèrent ce territoire comme historiquement leur, ne se sont jamais satisfaits de cette situation et cultivent depuis des générations une forme d’irrédentisme aux accents belliqueux. Si les Azéris parviennent à mettre la main dessus, l’Arménie se retrouvera privée d’accès à la fois au Haut-Karabagh et à l’Iran. Autrement dit, menacée dans ses entrailles.

La récente guerre du Karabagh qui s’est soldée par un cessez-le-feu aux conditions léonines pour la partie arménienne n’avait pas satisfait les Azéris. Tout d’abord, ils se sont vus contraints d’accepter sur place la présence d’une force russe de maintien de la paix, perçue par l’opinion azérie comme une armée d’occupation ; ensuite ils n’ont pas obtenu l’écrasement total du Karabagh arménien, enfin depuis novembre 2020, ils s’acharnent à obtenir de gré ou de force un corridor souverain dans le Siunik. Pourtant, le texte de l’accord de cessez-le-feu du 9 novembre ne fait pas allusion explicitement à un corridor mais parle d’ouverture de voies de communication. Enfin Bakou qui considère que le différend arméno-azéri ne se règlera que par les armes, considère que pour obtenir l’abandon du Karabagh par l’Arménie et l’obtention d’un corridor souverain dans son flanc sud ne pourra être obtenu que dans le cadre d’une capitulation totale d’Erevan. Ce faisant, les Azéris ont tout à gagner en poussant jusqu’au bout l’adversaire profitant d’un rapport de force avantageux et de l’isolement diplomatique de l’adversaire.

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Retour sur une offensive hautement prévisible

Dans la nuit du 12 au 13 septembre, les populations civiles arméniennes des zones frontalières ont été réveillées par un déluge de bombardements intensifs, de tirs d’artilleries lourdes contre des positions militaires arméniennes dans le Syunik, en direction des villes de Goris, Varténis et Jermuk, connue pour sa station thermale et son eau minérale.

Dans la région du Gegharkunik, des drones turcs Bayraktar ont aussi été repérés. Et plus au sud, à Kapan, des tirs ont été entendus, ainsi qu’à Martouni, près du lac Noir, et à Sotk.
Depuis le lancement de cette offensive azérie sur plusieurs fronts à minuit heure d’Erevan, les tirs se poursuivent avec la même intensité avec de l’artillerie, des mortiers, des drones et des armes à feu de gros calibre indique le ministère de la Défense à Erevan qui précise que tant les infrastructures militaires que civiles sont prises pour cible. Et de fait, des obus sont tombés sur Sotk mais n’aurait causé que des dégâts matériels.

Dans certaines directions, les unités azéries ont pris des mesures pour faire avancer leurs positions. Le ministère arménien de la Défense faisait état à 10h00 heure de Paris de 49 victimes dans les rangs de l’armée arménienne et l’on peut redouter que ce bilan s’alourdisse dans les heures qui viennent si rien ne vient stopper l’intervention azérie. Le Premier ministre arménien Nikol Pachinian s’est entretenu cette nuit avec Antony Blinken. Le chef de la diplomatie a fait part de l’extrême inquiétude des États-Unis concernant ces attaques et a exhorté à une cessation immédiate des combats.

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Un désaveu pour Nikol Pachinian

De toute évidence, cette offensive intervient comme une claque de désaveu pour le Premier ministre arménien Nikol Pachinian. Cet ancien journaliste, arrivé au pouvoir au terme d’un mouvement de désobéissance civique hâtivement baptisé « révolution de velours » avait conduit la récente guerre de façon erratique ; avant de prôner un agenda de la paix en visant une normalisation avec la Turquie dans l’optique de desserrer l’étau azéri et de se rapprocher des États-Unis et de l’Union européenne. Or, force est de constater que la visite récente du ministre arménien de la Défense Suren Papikian à Washington n’aura fait qu’irriter davantage la Russie sans obtenir les gains escomptés en matière de sécurité pour l’Arménie plus vulnérables que jamais.

Autre question majeure en suspens, pour des raisons qui restent à élucider l’armée arménienne n’est pas en état de combativité. Fortement ébranlée par la défaite militaire de l’automne 2020, cette armée de conscrits et de contractuels n’a pas fait l’objet d’un réapprovisionnement de ses arsenaux. Ni d’un changement de doctrine en vue de la sanctuarisation d’un territoire rendu plus vulnérable que jamais en raison du déploiement de forces azéries supérieur en nombre et en matériel tout le long d’une frontière au démarquage litigieux. Plusieurs centaines de kilomètres carrés ont été grignotés par les troupes azéries au cours de cette période de guerre à basse intensité sans que la Russie et les pays occidentaux ne s’émeuvent davantage, ces derniers étant plus tributaires que jamais des approvisionnements de Bakou en hydrocarbures dans un contexte de guerre russo-ukrainienne. On apprenait le même jour où l’Azerbaïdjan organisait une attaque sur les territoires de l’Arménie, que le ministre de l’Énergie azéri a assuré que les exportations de gaz en Europe allaient augmenter de 30% cette année[1].

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Une offensive prévisible

Prévisible, l’offensive azérie l’était comme à chaque fois que Bakou prépare une guerre. Tout d’abord, on note la multiplication de communiqués officiels accusant l’Arménie d’agression et de provocation sur son territoire.

Comme par coïncidence, des exercices militaires conjoints avec l’armée turque se déroulent. En 2020, d’importantes manœuvres avaient eu lieu entre les deux armées sœurs dans le Nakhitchevan, cette année nous avons eu droit à l’exercice « Turaz Qartali- 2022 »[2] entre les forces aériennes turques et azerbaïdjanaises quelques jours avant le déclenchement de l’attaque. D’importantes quantités de matériels étant restées sur place, l’occasion de tester le niveau des défenses antiaériennes arméniennes.

L’Azerbaïdjan a justifié cette offensive contre les positions arméniennes en accusant l’Arménie d’« actes subversifs à grande échelle » qui aurait causé des pertes dans les rangs de l’armée azérie près des districts de Dashkesan, Kelbajar et Lachin à la frontière. Des unités de commando arméniens ont traversé ces sections frontalières pour tenter de poser des mines terrestres près des postes de l’armée azérie, ce que dément fermement l’Arménie, rappelant que l’Azerbaïdjan ne cesse de diffuser de telles informations pour justifier ses attaques contre les positions arméniennes comme cela s’était déjà produit il y a quelques jours.

Comprendre le jeu russe 

Dans la foulée, Erevan a immédiatement fait appel à l’ONU, mais surtout à l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), censée se porter solidaire de tous ses États membres victimes d’une agression. À l’heure où nous écrivons ces lignes, c’est l’Arménie qui se retrouve à nouveau isolée, car il semblerait que Moscou est davantage préoccupée à éteindre l’incendie en s’agitant dans une sinueuse diplomatie de couloirs. Seule la base militaire russe n°102 a été mise en état d’alerte, mais sans que des forces russes soient déployées dans la zone des combats.

L’Arménie a également fait part de sa demande, lors de son appel à Vladimir Poutine, auquel il a fourni des détails sur l’agression azérie soulignant l’importance d’une réaction adéquate de la communauté internationale. Aucun élément n’a été communiqué sur la réponse apportée par le président russe alors que son homologue français Emmanuel Macron, également appelé par le Premier ministre a considéré qu’une nouvelle escalade de la tension était inacceptable et a souligné la nécessité de désamorcer la situation.

Mais une chose paraît évidente aux yeux de la Russie, il va falloir adopter une position hautement risquée. Depuis le cessez-le-feu de 2020 dans le Haut-Karabagh, Moscou avait pu obtenir un gain de taille : son retour dans son précarré. La politique de Moscou consiste à rester de manière indéfinie dans la région. Mais pour rester sur place, encore faut-il qu’il y ait une population arménienne à protéger. Peu importe son nombre : 100 000, 80 000 ou même 50 000 Arméniens, cela suffit.  Peu importe le cadre juridique, le statut de l’Artsakh, tout cela aux yeux de Moscou ne sont que des détails techniques ; tant qu’une présence arménienne demeure, les Russes manifesteront leur droit de rester. Rester pour les beaux yeux des Arméniens ? Les Russes considèrent la région comme un avant-poste stratégique majeur sur leur flanc sud. Leur intérêt est qu’il n’y ait le moins possible d’acteurs extérieurs dans leur zone d’influence traditionnelle (États-Unis, France, Grande-Bretagne, OTAN, Iran, Turquie…).

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Si l’Arménie vassale constitue un avant-poste dans le Caucase, l’Azerbaïdjan pèse davantage aujourd’hui dans la balance des calculs du Kremlin. Il y a l’importance de la frontière terrestre russo-azerbaïdjanaise, les voies de communication routières et ferroviaires, etc.  On comprend mieux pourquoi les Russes voient d’un œil favorable l’ouverture d’un corridor dans le sud de l’Arménie qu’ils contrôleront entièrement et qui permettra d’assurer une nouvelle liaison terrestre depuis leur territoire jusqu’à la Turquie.

De la même façon, il est tout à fait logique vu de Moscou de comprendre pourquoi la Russie n’a pas reconnu et ne reconnaîtra sans doute pas dans une période proche l’indépendance de la république autoproclamée de l’Artsakh (ex-Haut Karabagh), alors qu’elle reconnaît les autres entités sécessionnistes de son ancien empire (Transnistrie, Abkhazie, Ossétie du Sud).

Or le pire des scénarios est en train de se produire. Si les Azéris déclenchent une nouvelle guerre, ils seront obligés de prendre position ce qu’ils veulent éviter à tout prix.

Sans surprise la Turquie s’est alignée sur les positions azerbaïdjanaises, tandis que de son côté, la République islamique d’Iran par la voix du président Rayessi a déclaré qu’une nouvelle guerre dans le Caucase comme une remise en cause des frontières internationales étaient inadmissibles. Nous verrons dans les prochains jours quelle est la ligne rouge de Téhéran et si les gardiens de la révolution masseront leurs forces le long de la frontière avec l’Azerbaïdjan et l’Arménie…

Malgré les discussions autour d’un traité de paix entamée sous l’égide de l’Union européenne et les apparents efforts de Bakou vers une stabilisation de la situation (cinq prisonniers de guerre arméniens emprisonnés depuis près de deux ans ont été libérés il y a quelques jours), Ilham Aliev a manifesté récemment son impatience à instaurer un corridor entre le Nakhitchevan, exclave azérie à l’ouest de l’Arménie, et le reste de son territoire. Une situation qui reste donc hautement inflammable.

[1] https://www.rferl.org/a/azerbaijan-increase-eu-gas-exports/32029812.html

[2] https://apa.az/en/military/azerbaijans-mod-turaz-qartali-2022-exercises-ended-video-384400

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À propos de l’auteur
John Mackenzie

John Mackenzie

Géopolitologue et grand reporter, John Mackenzie parcourt de nombreuses zones de guerre.

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