L’Institut français des Relations Internationales, l’IFRI, comme on le dénomme, qui a été classé à deux reprises à la deuxième place dans le monde parmi les think tanks spécialisés en relations internationales et en géopolitique, fête cette année ses quarante ans d’existence. Il est la première institution en France d’une ampleur comparable aux grands think tanks nés aux États-Unis et en Grande-Bretagne au lendemain de la Première guerre mondiale avec une ambition méthodologique adaptée à ses fins.
Les initiés savent qu’il a pris la suite du Centre d’Étude de Politique étrangère (CEPE) fondé en 1935. Sabine Jansen, professeur des universités au CNAM et rédactrice en chef de la revue Questions internationale, décrit en détail la genèse de ce qu’elle nomme le premier think tank français. Elle en décrit bien la motivation initiale qui était d’offrir aux chefs d’État et de gouvernement étranger de passage à Paris un cadre non officiel, plus libre et ouvert, où ils pourraient rencontrer des hommes politiques, des hommes d’affaires, des experts et universitaires. En dehors de cette fonction de contact et d’échanges, une des modalités du soft power, il convient de disposer d’un instrument de réflexion crédible et puissant, situé entre administrations et universités, orientées vers l’action.
Une aventure de 40 ans
C’est cette aventure qui a été menée à bien par Thierry de Montbrial qui avait, à la demande de Michel Jobert, créé le Centre d’analyse et de prévision, le CAP, au Quai d’Orsay. Il faut en convenir en quelques courtes années entourées d’une équipe au départ restreinte, Thierry de Montbrial a créé cet outil d’excellence, une des rares réussites françaises en ce domaine. L’IFRI a réussi à acclimater au jardin français le modèle américain des think tanks, en s’appuyant sur le secteur privé lui permettant de ne pas dépendre du seul secteur public dont on connait le poids en France.
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Dans son avant-propos Thierry de Montbrial s’étend sur cette notion de think tank, qui doit être traduit par réservoir d’idées et non de laboratoire d’idées. Il s’agit à ses yeux d’une structure ouverte, construite autour d’un socle permanent de chercheurs, se donnant pour mission d’élaborer sur des bases objectives des idées (et non des « pensées) relatives à la conduite des politiques et des stratégies privées ou publiques qui s’inscrivent dans une perspective d’intérêt général. Le métier de think tank se distingue nettement de ceux plus ou moins connexes de consultants en tout genre (stratégie, communication lobbyisme, des journalistes ou encore des spécialistes de l’intelligence économique ou du renseignement), dont l’intentionnalité est différente. La tâche primordiale de l’IFRI est donc de décrire les idées, les faits, les événements ayant trait au système international qu’on les regarde au télescope ou avec un microscope. Mais une analyse n’est pas une fin en soi, son utilité réside dans les prévisions qu’on peut en tirer et l’usage qu’on peut en faire. Elle doit également se situer à la bonne échelle de temps. À cet égard, l’échelle temporelle du think tank est le méso- la période qui va du moyen terme passé au moyen terme futur, celle que doit embrasser l’homme d’action. Ainsi peut-être sommairement défini l’activité de l’IFRI, être à la fois un institut de recherche (analyse et prévision) et de débat sur les pays qui constituent la trame du monde contemporain et sur leurs relations. Ajoutons également les grandes questions transversales, qui se sont multipliées ces dernières décennies : aux questions politico-stratégiques et énergétiques, se sont ajoutées les questions comme le développement durable.
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Associer la réflexion et l’action
Le présent ouvrage propose donc de suivre quarante ans de vie internationale à travers le condensé de réflexions qu’a présenté chaque année le Ramsès, son rapport annuel, depuis 1981, qui a été le plus visible de ses outils. On y trouvera le plus souvent des extraits des Perspectives de Thiery de Montbrial, qui ouvrent traditionnellement cette publication, ainsi que des extraits des thèmes retenus chaque année, échos des approches du monde privilégiées par l’équipe des chercheurs. Quarante ans après les débuts de l’IFRI, le monde dans son ensemble s’est métamorphosé davantage sans doute que dans n’importe quelle tranche équivalente de temps dans le passé. S’il est vrai que de 1939 à 1979, le monde a connu bien des bouleversements, son cadre spatial et surtout les multiples problèmes de toute nature auxquels il est confronté dont bon nombre étaient inconnus se sont considérablement élargis de 1979 à 2019.
L’assise internationale de l’IFRI s’est élargie décisivement avec la création, en 2008, de la World Policy Conférence qui entend dépasser les chaos de la mondialisation pour dégager les conditions d’une nouvelle gouvernance mondiale. Le plus international des think tanks français, le plus français des think tanks internationaux est l’un des visages de la France dans le monde, son seul but est de créer de « l’intelligence au double sens anglais et français » et de le mettre à la disposition d’une large palette de partenaires, mais aussi d’une partie de la société civile, car les relations internationales, dans le monde d’aujourd’hui ne sauraient être l’exclusivité de cénacles restreints, même s’il exige expertise, hauteur de vue, vision à long terme, discernement et ouverture aux autres. Toutes qualités parmi tant d’autres dont a fait preuve l’IFRI depuis sa création.
Sous la direction de Dominique David, Avant-propos de Thierry de Montbrial, Une histoire du Monde, 40 ans de relations internationales, Dunod, 2019.