Andrès Allamand, le ministre des Affaires étrangères du Chili, était en visite officielle en France le 2 décembre 2020. Il a accordé un entretien exclusif à Conflits pour évoquer la situation sociale au Chili et la coopération avec la France.
Entretien conduit par Jean-Baptiste Noé. Voir la biographie d’Andrès Allamand.
Traduction : Fernando Mulley
Où en est la situation sociale au Chili ? La situation est-elle aussi difficile qu’à l’automne 2019 ?
Le Chili a eu le mérite de canaliser l’explosion sociale de 2019 à travers une procédure très démocratique, participative et institutionnelle, loin de la violence. Nous pensons que c’est ainsi qu’il faut aborder les crises politiques : avec plus de démocratie et plus de participation. Et nous avons actuellement un processus qui devrait nous conduire à une nouvelle constitution qui, d’une certaine manière, façonnera l’horizon du pays pour les prochaines décennies.
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Quelle est la suite du processus institutionnel ? Comment la constitution va-t-elle être rédigée ?
Le processus chilien comprend trois étapes. D’abord, un référendum d’entrée, par lequel les Chiliens ont décidé qu’ils voulaient une nouvelle constitution, laissant l’ancienne en arrière. Ensuite, en avril, une convention constituante de 155 membres sera élue. La commission durera 9 mois, avec possibilité d’extension d’un an, et devra rédiger la nouvelle constitution. Enfin, il y aura un deuxième référendum, un référendum final ou de sortie, dans lequel le processus sera ratifié afin qu’il devienne un processus participatif, démocratique et institutionnel.
Si le projet de texte constitutionnel n’est pas ratifié, faudra-t-il recommencer le processus ?
Non, et c’est une très bonne question. Si le texte n’est pas ratifié, cela signifie que la constitution actuelle reste en vigueur. Ainsi, puisque les Chiliens ont décidé qu’ils voulaient une nouvelle constitution, cela incitera les membres de la convention à rédiger un texte que les citoyens approuvent.
La convention aura lieu dans un environnement politique très actif. Les Chiliens ont hâte de savoir quel sera le contenu de leur constitution, à quoi ressemblera le régime politique et, surtout, comment leurs droits sociaux seront garantis. En particulier, comment le droit à l’éducation, le droit à la santé et le droit à la sécurité sociale seront établis. Ce sont les domaines qui requièrent le plus d’attention.
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Quelles sont les causes de cette instabilité sociale ? En France, on a évoqué la hausse du prix de ticket de métro de Santiago comme cause principale. Est-ce la réalité ?
Je pense que le cas du Chili devrait attirer l’attention à l’étranger car, sous la surface des bons résultats économiques et sociaux des trente dernières années, des troubles sociaux ont été installés petit à petit. Ce malaise s’est exprimé très fortement en 2019. Voilà une leçon importante pour tous : les explosions sociales ne se produisent pas seulement dans les pays qui connaissent de graves problèmes économiques et sociaux, mais aussi dans les pays qui ont une histoire de réussite. Par exemple, les manifestations sociales peuvent se produire dans des pays qui ne sont pas sur une trajectoire de développement prospère. Cela peut être dû à la corruption ou à la faiblesse du progrès social. Je pense en particulier à certains pays de la région qui sont dans une très mauvaise situation économique. Et, bien sûr, à certains pays d’Afrique et d’Asie. Dans le cas particulier du Chili, il s’agit des manifestations dans un pays qui suit une trajectoire de réussite. Aucun pays n’est donc à l’abri de la contestation sociale. Le Chili est une démocratie solide, elle respecte les droits individuels, et elle est intégrée dans le monde. Et, malgré cela, il a subi des manifestations. Les gouvernements doivent donc être particulièrement attentifs aux causes qui, parfois, sont submergées, mais qui surgissent soudainement avec une grande force.
Comment pensez-vous faire l’unité de la nation chilienne indépendamment des présidents, des gouvernements, etc. Comment voyez-vous les années à venir ?
La politique mondiale actuelle est une politique de grande polarisation et de grande confrontation. Regardez les États-Unis : ils sont plus polarisés que jamais dans leur histoire. Par conséquent, l’une des tendances de la politique mondiale est ce type de polarisation. Le Chili a la possibilité de vaincre la polarisation grâce à une nouvelle constitution, car elle peut être un outil d’unité pour le pays. Toutes les démocraties fortes du monde respectent leur constitution et y travaillent, elles n’en discutent pas. C’est pourquoi nous espérons que le résultat final du processus politique chilien sera une constitution qui unit la nation.
La France et le Chili sont voisins avec le Pacifique. Comment est-ce que l’on peut penser l’intégration franco-chilienne dans le Pacifique, par rapport à la Chine et à l’Australie ? Comment peut-on envisager la coopération franco-chilienne dans ce cadre ?
Le Chili et la France ont un vaste champ de coopération, au-delà même des investissements et du commerce, qui sont très importants. Les entreprises françaises ont un rôle à jouer au Chili dans de nombreux domaines, des transports publics à l’énergie. Mais la coopération bilatérale doit aller plus loin et, par exemple, inclure une action de protection en Antarctique, où les deux pays ont un rôle et des accords importants. Des accords sur la sécurité et la défense, ainsi que sur l’articulation dans des troisièmes destinations, telles que l’Indo-Pacifique ou le Pacifique. Le Chili a une très forte présence dans le Pacifique depuis l’APEC (Coopération économique pour l’Asie-Pacifique) dans lequel nous sommes intégrés depuis plusieurs décennies. Nous promouvons actuellement le projet technologique le plus important dans cette région, à savoir un câble à fibres optiques qui reliera l’Amérique du Sud à l’Asie, en passant par l’Australie. C’est un projet majeur qui reliera fortement l’Amérique latine au Pacifique, et à vrai dire, nous aimerions que des investisseurs français participent à ce mégaprojet que le Chili promeut.
Peut-il y avoir une coopération sur les questions énergétiques, comme la géothermie ?
Actuellement, le domaine de coopération le plus fort concerne les énergies renouvelables, fondamentalement le solaire et l’éolien. La France est déjà très présente au Chili dans ces deux secteurs. La prochaine étape dans ce domaine sera la fabrication d’hydrogène vert. Le Chili est à la pointe du développement de projets qui conduiront à la production et au traitement de l’hydrogène vert, qui est le carburant du futur. C’est un espace où il y a déjà une présence française, et nous aimerions qu’elle soit encore plus importante. Comme vous voyez, le ministre des Affaires étrangères est très pro-France !