<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Distinguer le terrorisme de la guérilla

20 juillet 2020

Temps de lecture : 5 minutes

Photo : La police anti-émeute monte la garde à côté d'un immeuble où des forces anti-terroristes françaises ont effectué des raids, à Argenteuil, à l'ouest de Paris, le jeudi 21 juillet 2016. © (AP Photo/Thibault Camus)/XTC104/16203560259354/1607211740

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Distinguer le terrorisme de la guérilla

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Le terrorisme et la guérilla sont deux formes de guerre irrégulière, se fondant sur une logique asymétrique, c’est-à-dire du faible au fort. Serait-ce à dire qu’il y a similarité entre ces modes d’action ? Si la guérilla peut être apparentée avec le terrorisme, ces deux phénomènes sont classiquement à distinguer, même si aujourd’hui, on peut partiellement y voir un rapprochement, notamment eu égard au caractère « hybride » de Daech.

Les objectifs politiques représentent le premier élément de convergence. Rappelons que, comme l’analysait Carl von Clausewitz, la guerre n’est pas simplement un acte politique, mais véritablement un instrument politique, une continuation des rapports politiques, la réalisation des rapports politiques par d’autres moyens.

La guérilla à des fins de lutte de libération nationale est un acte de nature politique. En effet, la population constitue par elle-même l’objectif, et les opérations visant à s’assurer de son soutien ou à la maintenir au minimum dans un état de soumission sont essentiellement de nature politique. Même s’il y a un vernis religieux avec le terrorisme islamiste, le terrorisme d’extrême gauche poursuivait bel et bien des objectifs politiques. Au-delà de ce vernis religieux, le terrorisme islamiste poursuit bien un objectif politique d’expansion et de soumission, le salafisme servant dès lors d’instrument politique.

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De plus, guérilla et terrorisme utilisent l’asymétrie, un rapport de forces inégal dans tous les domaines. Dans le cadre du terrorisme, l’asymétrie repose sur l’idée que l’État qui se protège doit se concentrer sur un nombre très important de points sensibles à protéger en plus de la population tout le temps et partout, et cela à l’encontre d’un nombre limité d’agresseurs mobiles.

Ainsi, le terrorisme et la guérilla sont des luttes du faible au fort, où le minimum de moyens en hommes et en matériel doit infliger le maximum de dégâts. Si, dans un conflit symétrique, la victoire décisive est recherchée, au contraire, « le combattant asymétrique tire sa gloire de la victoire sur son adversaire[1] ». Entre les attentats du groupe islamiste égyptien Al-Gamaa Al-Islamiyya et de l’IRA provisoire, commis respectivement à Wall Street et Manhattan en 1993, et à la City de Londres en 1992 et 1993, les dégâts ont occasionné des milliards de dollars à deux pôles de l’économie mondiale.

De même, les conséquences économiques directes du 11 septembre 2001 ont été la disparition de 3 500 milliards d’euros de capitalisation boursière. Pour les attentats du 13 novembre 2015, alors que les terroristes n’auraient pas dépensé plus de 30 000 euros pour leurs attaques, c’est toute l’économie nationale française qui a été touchée, sans compter les dépenses investies pour renforcer les mesures de sécurité. L’impact économique se serait mesuré à hauteur de 300 millions d’euros pour la SNCF, et environ 815 millions d’euros pour l’État français.

Cette situation s’observe aussi dans le cadre de la guérilla où les moyens dépensés contre les insurgés pour maintenir l’ordre sont nettement plus importants que les moyens dépensés par les insurgés eux-mêmes pour mener leur guérilla. Pour exemple, lors du conflit en Algérie, le budget du FLN ne dépassa jamais 30 à 40 millions de dollars par an. Cette même somme correspondait à ce que les forces françaises dépensaient en deux semaines seulement.

Et quelles différences ?

Alors que le terrorisme s’analyse comme un acte politique violent de revendication, la guérilla se focalise sur le contrôle géographique du territoire, car elle est généralement appréhendée comme une guerre de libération nationale. Cela a été le cas en Europe avec l’IRA ou l’ETA, qui se voit comme une petite nation tentant de combattre l’oppresseur, l’État central.

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À la différence de la guérilla, non seulement le terrorisme se fonde sur l’action d’une minorité sans vouloir acquérir l’assentiment des masses, mais il y a aussi le souhait d’appliquer une logique de peur collective à l’ensemble de la population. Cette séparation d’avec le peuple était présente concernant le terrorisme d’extrême gauche, et l’idée que l’action terroriste devait se mener avec une élite révolutionnaire.

Par ailleurs, les guérilleros se fondent essentiellement sur un corpus doctrinal marxiste-léniniste. C’est par une doctrine, par de la théorisation que la guerre révolutionnaire justifie à la fois les moyens entrepris, les raisons et les nécessités de la guerre révolutionnaire. Parmi les différents textes de la guerre révolutionnaire, il y a entre autres, Mao Ze Dong, La guerre révolutionnaire ; Vo Nguyên Giap, Guerre du peuple et art militaire Le peuple du Sud-Vietnam vaincra ; Nguyên Van Tiêu, Notre stratégie de la guérilla. Cette théorisation de la guerre révolutionnaire a même été développée au sein de l’armée française. Le colonel Lacheroy (alias Ximenès) publia un Essai sur la guerre révolutionnaire pour exposer les conceptions du guérillero après les avoir observées au Vietnam, et l’utiliser à l’avantage de l’armée française en Algérie.

Dernière différence, le partisan ou guérillero préfére l’utilisation d’armes de guerre ordinaires (fusils, mitrailleuses, mortiers) tandis que le terroriste utilise – en principe – plus fréquemment des bombes artisanales ou des voitures piégées dans le cadre de ses actions. Par exemple, l’attentat d’Oklahoma City à la voiture piégée du 19 avril 1995 a tué 168 personnes et a été le plus sanglant des États-Unis avant le 11 septembre 2001.

 

Cette dernière différence entre totalement en cohérence avec les deux méthodes employées, car les guérilleros fonctionnent dans le cadre d’unités militaires. Au niveau opérationnel, et plus particulièrement dans les mouvements de type marxiste – les cellules sont généralement organisées sur des trinômes : un observateur, un homme de couverture et un tireur. Un exemple de ce type de structure est illustré par la section Viet-Minh[2]. Les partisans peuvent enfin parfois se déployer dans le cadre d’une compagnie et plus rarement d’un bataillon (comme les régions militaires ou Wilayas du FLN). De leur côté, les terroristes fonctionnent en petits groupes pouvant se réduire jusqu’à un assassin ou un poseur de bombes, ou aujourd’hui, un simple agresseur au couteau.

Un rapprochement avec Daech ?

Nous disions précédemment que l’arme de guerre était l’apanage de la guérilla. Dorénavant, les terroristes utilisent aussi des armes de guerre (comme le 13 novembre 2015) et non plus seulement l’attentat à la bombe, même si des voitures béliers et des attaques au couteau peuvent survenir. On peut l’observer notamment avec Daech. Cette organisation terroriste s’inspire des éléments de la guérilla par ses méthodes, comme la volonté de conquête du territoire, ce qui se conçoit bien étant donné que les réels dirigeants sont des anciens officiers de Saddam Hussein, tout sauf religieux[3]. Ce territoire n’est pas conquis en vue d’une libération nationale ou de l’indépendantisme, mais par la volonté d’asseoir un califat et d’imposer leur religion sur un maximum de territoire, sans aucune considération pour les non-croyants, athées et apostats.

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Le rapprochement s’arrête là, car les terroristes actuels ne sont pas dans une logique d’assentiment de la population, simplement de conquête, de terreur et de mort, à défaut de conversion ou de soumission.

 


Nota bene : Il n’a été fait état ici que de la guérilla classique, et non de la guérilla urbaine. Il n’y a pas réellement de lien entre les deux, hormis peut-être avec la Rote Armee Fraktion (RAF) ou Fraction Armée Rouge, influencée par la guérilla des Tuparamos (Mouvement de libération national tuparamo, MLNT). Ce mouvement uruguayen de 1962 entra dans la clandestinité et se fonda sur la guérilla urbaine et la lutte armée (évasions, enlèvements et assassinats).

 

[1] Jacques Baud, Djihad. L’asymétrie entre fanatisme et incompréhension, Lavauzelle Graphic, 2009, p. 13.

[2]Gérard CHALIAND et Arnaud BLIN (dir.), Histoire du terrorisme, Fayard, Paris, 2006, p. 31.

[3]RAUFER (X.), « Iran, Syrie, chi’ites et ‘alaouites’ – plus l’État islamique : survie et stratégie indirecte », Sécurité globale, n°10, été 2017, p. 17.

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Photo : La police anti-émeute monte la garde à côté d'un immeuble où des forces anti-terroristes françaises ont effectué des raids, à Argenteuil, à l'ouest de Paris, le jeudi 21 juillet 2016. © (AP Photo/Thibault Camus)/XTC104/16203560259354/1607211740

À propos de l’auteur
Alexis Deprau

Alexis Deprau

Docteur en droit de la sécurité et de la défense.
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