<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> L’exception latine

5 juillet 2020

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L’exception latine

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Depuis leur découverte par les conquistadors, les immenses territoires qui s’étendent du Mexique à la Terre de Feu vivent intensément l’art en relation avec l’Europe, latine et catholique. Ce nouveau monde ne rejette pas pour autant ses racines autochtones ni celles des nouvelles populations venues progressivement le rejoindre. L’Amérique latine assume sa diversité et, malgré différences et contradictions, elle est attachée à ses identités. Pendant des siècles ses artistes se sont confrontés, formés, fait reconnaître en Europe. Après 1945, celle-ci, affaiblie, s’est effacée de leur horizon. Les États-Unis ont travaillé intensément à y étendre leur influence et ses artistes ont plutôt pris le chemin de New York.

2010-2020 – L’art latino-américain visible du monde entier

Au cours de cette dernière décennie, l’Amérique latine est entrée dans la boucle du système mondialisé de l’art contemporain (AC)[1] référencé à New York. Elle s’est munie des institutions nécessaires pour entrer en conformité avec NY/ foires, galeries importantes, maisons de vente, musées d’AC. Le Mexique et le Brésil tout particulièrement ont conquis ainsi une visibilité internationale. Ces pays avaient déjà eu une vie artistique intense et un art moderne reconnu dans le monde.

Le Mexique est aujourd’hui le dixième producteur du monde de pétrole et ne manque pas de millionnaires nécessaires pour acheter de l’AC et présider à son mécénat. On connaît dans ce domaine la renommée de Carlos Slim. En 2008, à Mexico, est créé le Musée d’art contemporain répondant aux critères du label « international » : MUA. Cette dernière décennie a vu apparaître les musées privés tels que la Casa Barragán, la fondation Jumex créée en 2013 par le collectionneur Eugenio López. Les « laboratoires de créativité », tels que SOMA créé en 2009, forment les artistes émergents aux protocoles et normes de l’AC. Les galeries se multiplient, certaines de dimension internationale comme OMR et Kurimanzutto sont acceptées par les grandes foires internationales. La foire « Zona Maco », ouverte en 2002, attire aujourd’hui 120 galeries de 22 pays, dont certaines parmi les plus importantes du monde. En 2018, les résultats sont là : Damián Ortega et Abraham Cruzvillegas, deux conceptuels dans la norme internationale, ont commencé leur tournée de résidences, de bourses, grandes foires et institutions.

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Le Brésil a conquis le sixième rang de l’économie mondiale et constitue un nouveau gisement de millionnaires, grâce à cela, il est le deuxième pays d’Amérique à faire son apparition sur les cartes et agendas de l’art global. Le Brésil a lui aussi un passé artistique fort. C’est à São Paolo, en 1958, qu’a été inaugurée pour la première fois une foire commerciale d’art. Modèle qui ne se développera vraiment en Europe qu’à la fin des années 1960 et surtout après 1970.

Depuis 2002, les collectionneurs brésiliens ont pris l’habitude d’aller à Miami pour la foire succursale de Bâle. Mais en 2005 se crée à São Paulo la foire SP Arte qui en dix ans va conquérir le label « international » grâce à la participation des galeries multinationales anglo-saxonnes. Elle réunit actuellement 160 galeries, dont 97 brésiliennes, 63 venant de 17 pays latino-américains, des États-Unis, Europe, Asie, Afrique du Sud. C’est la foire la plus importante du sous-continent. Pour les collectionneurs, l’avantage par rapport à sa concurrente de Miami : moins de taxes et pour les résidents, une loi permettant aux entreprises mécènes de défiscaliser. Une antenne de Christie’s s’est installée à São Paulo ainsi qu’une succursale de la White Cube Gallery. Cela a permis à New York, en 2015, de consacrer des artistes sud-américains lors des ventes chez Christie’s, Sotheby’s et Phillips. Beatriz Milhazen, artiste brésilienne, y a franchi, la première, le seuil du million de dollars, suivi d’Adriana Varejão et Vik Muniz. D’autres artistes latino-américains y sont présents tels que l’artiste cubain, Felix Gonzalez-Torrés. Pour les autres pays d’Amérique latine, les plus hautes cotes culminent, exceptionnellement, entre 100 000 et 900 000 dollars telles celles de l’Argentin Guillermo Kuitca, de l’Uruguayen Atchugarry, du Mexicain Gabriel Orozco et des Cubains Roberto Fabelo, Tomes Sanchez ainsi que du collectif Los Carpinteros. Tous ont suivi la filière new-yorkaise et y ont souvent vécu et travaillé. Dès lors les musées Reina Sofía à Madrid, Tate Modern à Londres et MoMA à New York achètent ces artistes pour fournir l’obligatoire département international que doit avoir tout musée portant la marque : « Musée d’art contemporain international ».

Effervescence transcontinentale 

Après 2010, les foires se multiplient : au Pérou la PArC et ArtLima, en Colombie ArtBo, en Argentine, ArtBA, au Chili, Ch.ACO. En raison de l’absence de nombreux millionnaires, la règle des trois tiers n’est pas respectée : 1/3 nationales, 1/3 pays limitrophes et 1/3 anglo-saxonnes. Mais les liens intercontinentaux se créent et se retissent avec des galeries originaires de l’Europe latine. Par ailleurs, les grands collectionneurs sud-américains accoutumés au voyage annuel à la foire de Bâle-Miami prennent maintenant aussi le chemin de la foire madrilène ARCO. Créée en 1981, elle compte aujourd’hui 203 galeries dont, en 2019, 44 viennent d’Amérique latine, 64 d’Espagne, 15 d’Italie, 12 de France et 21 d’Allemagne et quelques autres pays. Afin de « construire un espace ibérique », elle a essaimé en 2016 au Portugal et crée ARCO Lisbonne. Celle-ci prend à son tour dans sa boucle des galeries émergentes d’Angola et de Mozambique. L’histoire réactive les liens rompus ! Ils sont forts aussi avec la foire de Milan, MI Art, qui attire aussi galeries et clients sud-américains. Ils sont attendus et honorés, ils aiment se retrouver sur le vieux continent, l’Alma mater ! Le prix à payer est que les galeries géantes du marché international ne daignent pas y venir ! Ces foires ne sont pas à leur goût assez « globales » ! Il faut noter que les galeries et collectionneurs d’Amérique latine sont très absents des foires du nord de l’Europe aux normes anglo-saxonnes : foire de Bâle, Fiac et Frieze.

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Évolutions, innovations, dissidences

Par nature, l’Amérique latine ne s’enferme pas, elle regarde les autres continents, car ses racines sont là et ailleurs. Elle aspire au voyage initiatique vers les sources. Le modèle anglo-saxon du multiculturalisme globalisant ne lui convient pas, car il traite les autres cultures et civilisations comme des minorités « folkloriques ». Le multiculturalisme sud-américain est tout autre !

La férule nord-américaine est perçue par les artistes et les intellectuels, elle est acceptée de façon opportuniste, sans plus. Il existe une dissidence, aujourd’hui connue au-delà des frontières latines qui se manifestent par une critique argumentée du système de l’AC. C’est le cas notamment des écrits de la Mexicaine d’Avelina Lésper.

La création de BienalSur en 2015 par Anibal Jozami, collectionneur, président de l’université de Muntref à Buenos Aires, exprime cette indépendance. Elle a pour ambition de tisser une toile entre les pays latins d’Amérique. La première biennale du continent réunit 16 pays et 32 villes. Sans moyens financiers ni but commercial, elle repose sur le soutien de municipalités, universités et quelques sponsors privés. Un immense travail de connexion physique et numérique permet à cette foire de se dérouler simultanément dans plusieurs villes. Sa diversité artistique échappe aux normes du mainstream ! L’art sud-américain est devenu, en 2020, de moins en moins soluble dans l’art global.

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Les pays d’Amérique du Sud tentent par différents moyens de diversifier leurs contacts avec le reste du monde. Si la confédération économique créée en 1991, Mercosur, n’a pas prévu   d’accords liés à la circulation de l’art, l’alliance Brics, passée en 2011, relie quelques pays d’Amérique latine à la Chine, à l’Inde, à la Russie, à l’Afrique du Sud, dans le but d’une prise de distance avec les États-Unis après le krach financier de 2008. Sont tissés non seulement des liens économiques, mais aussi artistiques et culturels. Ces divers pays prévoient des échanges, bourses, séjours, expositions aux artistes. Les liens et échanges s’intensifient également avec l’Europe. Le monde de l’art évolue vers la poly pluralité.

 


[1] AC : Sigle pour art contemporain, terme qui ne désigne pas tout l’art d’aujourd’hui, mais validé par le haut marché de NYC.

 

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À propos de l’auteur
Aude de Kerros

Aude de Kerros

Aude de Kerros est peintre et graveur. Elle est également critique d'art et étudie l'évolution de l'art contemporain.
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