Les incendies ayant touché la forêt amazonienne cet été ont marqué l’opinion publique internationale, beaucoup se sont empressés de chercher responsables et solutions afin de protéger ce qu’ils considèrent comme un patrimoine mondial. Toutefois, ces considérations d’ordre essentiellement écologique tendent à occulter les enjeux géopolitiques et économiques de la région.
Patrimoine mondial ou national ?
Figurant dans la liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2000, beaucoup voient dans la forêt amazonienne un bien international commun, sur qui chacun aurait un droit de regard. Toutefois, cette vision a priori bienveillante ignore la question de la souveraineté nationale au risque de provoquer des tensions. Ce fut le cas cet été notamment, lorsque Emmanuel Macron considéra un peu précipitamment l’Amazonie comme « notre maison », s’attirant ainsi les foudres de Jair Bolsonaro qui, en marge de la réunion à Leticia (Colombie) le 6 septembre 2019, ne manqua pas de souligner aux autres chefs d’État disposant d’une parcelle de la forêt sur leur territoire, combien une telle affirmation peut être perçue comme une tentative d’ingérence : « L’Amazonie est à nous ! Elle appartient au Brésil, à la Bolivie, à la Colombie, au Venezuela, aux Guyanes, à nous tous. C’est seulement en restant uni, sans céder aux tentations extérieures de laisser un tiers administrer notre territoire, que nous pourrons faire en sorte que notre richesse bénéficie au bien-être de nos pays ».
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En novembre 2007, le sénateur Cristovam Buarque souligna lors d’un discours à l’université du Texas que l’Amazonie n’avait pas davantage vocation à être internationalisée que n’importe quelle autre richesse du patrimoine mondial, et qu’en tant que brésilien, il était inconcevable d’envisager en céder la souveraineté. Cette même idée fut également défendue par le président Lula, en 2008, à l’occasion du lancement du PAS (Plan pour une Amazonie Durable) : « Il y a des gens qui pensent que l’Amazonie doit appartenir à l’humanité… Et nous pensons que c’est le cas. Nous pensons qu’elle est doit être bénéfique pour tous les êtres humains. Mais nous devons dire haut et fort que c’est au Brésil de s’occuper de l’Amazonie. C’est le Brésil qui décide de ce qu’il faut faire en Amazonie. »
Une question qui va au-delà des clivages politiques en somme, et qui met probablement la plupart des Brésiliens d’accord sur un fait, à savoir que la souveraineté nationale ne peut être remise en cause sous prétexte d’externalités environnementales.
Incendies et déforestation en 2019, une année sans précédent ?
Depuis l’arrivée de Jair Bolsonaro au pouvoir en janvier 2019, la déforestation aurait connu une accélération spectaculaire menaçant l’Amazonie comme jamais. Entre janvier et août 2019, près de 6 404,4 km² de forêts ont disparu, ce qui permet d’établir un bilan prévisionnel légèrement inférieur à 10 000 km² pour l’ensemble de l’année. Des chiffres impressionnants qui, pourtant, sont bien loin d’égaler ceux du début des années 2000.
Bien entendu, il est fort probable que le bilan des premières années de la présidence de Lula soit faussé par la politique menée par ses prédécesseurs comme le laisse apparaître la baisse progressive au fil des années, mais le fait est qu’à l’heure actuelle, la déforestation est très loin d’être comparable à celle des années antérieures.
Même constat du côté des incendies de cet été : si l’on se fonde sur les données collectées par l’INPE, à savoir le nombre de foyers détectés par satellites depuis 1998, leur nombre était bien supérieur entre le début des années 2000 et 2010. En d’autres termes, si le lien entre déforestation et incendies est avéré, le gouvernement Bolsonaro n’est pas, à l’heure actuelle, nécessairement plus nocif que l’ensemble de ses prédécesseurs d’un point de vue forestier.
Une mine verte
L’exploitation des terres et la déforestation ne sont en rien une nouveauté en Amérique latine, dans la mesure où l’économie de l’ensemble des pays qui occupent le continent a longtemps été fondée sur l’agro-exportation depuis approximativement la fin de l’ère coloniale, chacun adaptant sa production en fonction de ses spécificités territoriales.
Si l’on prend pour exemple le Brésil qui possède 63% de la forêt amazonienne, en 2017 ses exportations ont représenté 219 milliards de dollars, soit un peu plus de 10% de son PIB [simple_tooltip content=’Chiffres de la Banque mondiale’](1)[/simple_tooltip]. La culture du soja représentait près de 26 milliards de dollars (2017). Essentiellement produite dans la zone sud-ouest du pays (États du Mato Grosso, Mato Grosso do sul, Rondônia et Goias), elle est particulièrement décriée par les écologistes en raison de la déforestation qu’elle provoque, soulignant ainsi les divergences d’intérêts entre agro-business et écologie, ou plus officieusement, entre les priorités des pays du nord vis-à-vis de ceux dits en voie de développement.
Même constat concernant le marché de l’emploi. D’un côté, le taux de chômage atteignait les 12% pour le second trimestre 2019 et 7% de citoyens se trouvaient dans une situation de pauvreté extrême, d’un autre, le secteur de l’agro-business représentait 18 millions d’emplois parmi un peu plus de 90 millions d’actifs l’année précédente. Il va sans dire qu’il s’agit là d’un secteur clé de l’économie brésilienne.
D’autre part, si les enjeux écologiques sont de plus en plus considérés comme prioritaires au sein des pays du nord, la tendance est récente et n’est pas ou peu partagée par la majorité des pays latino-américains dont l’Amazonie occupe une partie du territoire, où les préoccupations d’ordre sécuritaires, économiques et sociales dominent. Le meilleur indicateur se situe probablement dans le résultat des récentes élections. En 2018, la Colombie et le Brésil ont vu Ivan Duque et Jair Bolsonaro arriver au pouvoir, le premier souhaitait essentiellement réajuster l’accord de paix avec les Farcs et accentuer la lutte contre le narcotrafic, le second avait fait des impératifs sécuritaires sa priorité, alors que de leur côté, les Européens ont vu le nombre de députés écologistes siégeant à Bruxelles passer de 52 à 78 lors des élections de 2019.
Ainsi, il ne fait aucun doute que les récentes tensions autour de la forêt amazonienne sont davantage le fait de conflits d’intérêts, écologiques pour les uns, économiques pour les autres, mais géopolitiques pour les deux, dans la mesure où le risque principal est de continuer à accentuer le clivage entre pays du nord et pays du sud.