Les relations françaises et allemandes sont au coeur de l’Europe et de ses projets. Edouard Husson en tire un livre: Paris-Berlin: la survie de l’Europe.
Au moment où le système politique allemand, si parfaitement huilé, commence à se déliter, le livre solide et courageux d’Edouard Husson offre maintes clés pour comprendre notre voisin d’outre Rhin. Trente ans après la chute du Mur, de nouvelles et profondes fractures menacent l’Europe, le duo franco-allemand qui en a été le moteur, et l’Allemagne elle-même. Face au Brexit ou aux appétits des États-Unis et de la Chine, il est vital que les deux riverains du Rhin rebâtissent leur partenariat. À cet égard le traité d’Aix la Chapelle, signé le 22 janvier 2019, ne fait rien d’autre qu’étendre le nombre de domaines couverts par les consultations intergouvernementales. Il ne change rien aux pratiques. C’est l’une des raisons pour lesquelles la classe politique ne l’a pas pris au sérieux.
Les relations franco-allemandes
Sur ce point Edouard Husson, historien et germaniste, professeur à l’université Cergy-Pontoise où il dirige l’Institut franco-allemand d’études européennes, avance une série de propositions qui méritent d’être examinées avec attention, comme celle de ne pas réduire les sommets franco-allemands aux seules rencontres entre Président français et chancelier allemand, mais de l’étendre au Premier Ministre ainsi qu’aux présidents des Länder et des régions françaises. Mais est-ce seulement envisageable et pas un peu lourd ? Il faut souhaiter en revanche plus de concertation entre les commissions parlementaires du Bundestag, où s’élaboraient les politiques et leurs homologues françaises. En fait, si le tandem franco-allemand n’a pu fonctionner avec plus de rendements c’est que l’Allemagne s’est affirmée, sous le mandat d’Angela Merkel, comme la première puissance économique du continent européen. Mais elle n’a pas voulu ni réussi à exercer un leadership politique sur l’Union européenne, ni une influence constructive sur l’ensemble du continent. Elle s’est opposée aux projets français d’organisation de la façade méditerranéenne. Les Balkans restent une poudrière qui n’est maintenue en paix que par l’OTAN et la présence de troupes américaines. Berlin a des relations tendues avec l’Europe centrale. Les relations avec la Russie sont exécrables. Angela Merkel a été incapable de sortir de sa méthode habituelle du « wait and see ». La réalité est que l’Allemagne a un réel besoin de la France si elle veut préserver ses intérêts européens et donc son équilibre européen au long terme. France et Allemagne doivent réapprendre à se connaître. Or prévaut aujourd’hui un double malentendu : la France observe l’Allemagne avec passion, que ce soit pour la haïr ou l’imiter, tandis que celle-ci hésite entre admiration et condescendance, sans qu’aucune ne comprenne vraiment plus l’autre – notamment les élites françaises qui ont une vision dépassée de notre voisin.
Une mise en perspective
Edouard Husson porte sur l’Allemagne un regard incisif, nourri de sa profonde connaissance de sa culture et de sa politique, d’expériences, et de rencontres. Il la met en perspective depuis la fin du nazisme puis du communisme, en passant par la réunification, jusqu’au long mandat de la chancelière Merkel, confrontée au défi migratoire et à la résurgence de l’extrême droite tandis que le modèle économique et social, autrefois tant admiré, atteint ses limites. Ce plaidoyer nous éclaire sur les pistes que peuvent trouver ensemble Paris et Berlin pour assurer le sursaut de l’Europe. À ses yeux il devient clair que pour donner un nouveau souffle à la grande ambition des pères fondateurs à un moment où les États-Unis et la Chine affichent sans fard leurs intérêts particuliers, il ne suffit plus d’affirmer un volontarisme ; il faut proposer un nouveau projet combinant exigence de cohésion sociale et stratégie internationale. Dans la crise de l’Allemagne et de son leadership sur l’Europe il y a une chance à saisir : notre voisin n’est plus – s’il ne l’a jamais été – cet État infaillible qui devrait nous servir de modèle politique et social. Il est à la fois puissant, innovant et fragile. Si nous voulons Français et Allemands conserver un sens au projet européen, il nous faut admettre avec lucidité nos faiblesses respectives avant de pouvoir recommencer à conjuguer nos forces.