30 ans après la chute du mur, une nouvelle génération de « airshows » (Moscou, Zhuhai…), ont détrôné les traditionnels salons européens du temps de la Guerre froide (Le Bourget, Farnborough). Ces trublions incarnent l’industrie aéronautique des nouvelles puissances mondiales ou régionales (Russie, Chine) qui se sont imposées sur l’échiquier géostratégique du nouveau siècle.
De magnifiques salons aéronautiques ont marqué l’Europe des années cinquante. Ils incarnaient l’âge d’or de l’industrie de l’aviation en France, et au Royaume-Uni. Aux États-Unis, il n’existait aucun événement du genre, du fait de l’éloignement géographique de l’île américaine par rapport aux marchés de l’armement polarisés en Europe, avec l’OTAN. Paris Le Bourget et Farnborough, en Angleterre, étaient les seuls forums commerciaux de l’aviation. Ils proposaient des pavillons, des espaces dédiés aux expositions statiques de matériels, et aussi des démonstrations aériennes quotidiennes. Dès les années soixante, on y a commencé à recevoir des délégations militaires venues d’Asie ou du Moyen-Orient, des clients potentiels, des princes, et des émirs. Sous les « trente glorieuses », des industriels tels que Marcel Dassault ou Bréguet sortaient presque tous les ans, des prototypes dont le potentiel était présenté en vol à l’occasion du Bourget. Il s’agissait de marquer l’avance de la technologie nationale par rapport aux États-Unis.
Des salons vitrine de la puissance
Les salons servaient tout autant d’outils de propagande pour justifier auprès des visiteurs les budgets publics engloutis dans les besoins militaires. En pleine Guerre froide, Farnborough n’a jamais fait l’économie de grandes formations de bombardiers quadriréacteurs nucléaires « Vulcan » pour donner un visage public à la dissuasion. Et finalement, le pont aérien de Berlin de juin 1948 à août 1949 n’a-t-il pas été le plus grand « show » de la guerre froide, soit la plus grande opération de promotion des États-Unis dans la période, avec son spectacle ininterrompu sur douze mois de gros porteurs ? Plus de 275.000 DC-3 et DC-4 ont livré près 2,34 millions de tonnes de vivres, bien plus qu’il n’en fallait en réalité, pour nourrir tous les Berlinois. Quel spectacle.
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Avec la fin du rideau de fer, les budgets militaires de l’OTAN ont implosé. Les marchés de l’armement captifs pour les Occidentaux se sont rétrécis. Les expositions d’armes se sont peu à peu déplacées au plus près des clients, à Dubai, en Malaisie, en Indonésie, et à Singapour. Toutefois, les activités de l’aviation civile et commerciale se sont polarisées dans les salons d’Europe. Alors, des événements déroutants ont eu lieu en cette période, telle que la participation d’avions de chasse soviétiques, à Farnborough et au Bourget. De 1988 à 1992, les ailes marquées de l’étoile rouge ont suscité des passions auprès des médias, fait couler beaucoup d’encre, et débiter des kilomètres de pellicules photo. L’adversaire d’hier faisait le spectacle dans les pays de l’OTAN. Quelle ironie. Ces Russes ont même participé à ILA, le salon de Berlin recréé en 1992, soit trois ans après la « chute du mur ». Autrefois dans la démesure, puis incapables de se relancer sans faire la promotion de l’adversaire, les « airshows » monstres de la guerre froide se sont donc endormis dans l’Histoire.
Nouvelles étoiles et « soft power »
Trente ans plus tard, de nouvelles puissances bousculent la scène aéronautique : la Chine, la Russie, l’Inde, et dans une moindre mesure, les BRICS, et les membres de l’OCS (Traité de Shanghaï). Ces trublions font voler en éclats l’ordre ancien de la Guerre froide et la « Pax Americana » des années 1990. La Chine et la Russie ont ouvert leurs salons sur leur territoire : MAKS à Moscou en 1991, et en 1998, Airshow China, organisé à Zhuhai, à une heure de navette maritime de Hong-Kong.
Ces forums ont le rôle de vitrines pour ces nouvelles puissances auxquelles les États-Unis et l’Europe ont dû céder une part de leur hégémonie. À grand renfort de présentations aériennes et d’exposition de drones, et sous les yeux des experts étrangers, les nouvelles puissances démontrent qu’elles sont autosuffisantes en équipements de défense. Elles développent et produisent elles-mêmes en série tous les matériels qui répondent aux besoins de leurs forces armées. La Chine le prouve : elle dispose de ses propres moyens de déploiement de forces à l’étranger, avec la démonstration à Zhuhai, en 2018, du quadriréacteur de transport Y-20. En procédant ainsi, elle affiche ses ambitions en prévenant les Occidentaux : ils n’auront plus le monopole des opérations extérieures dans quelques années.
Les avions de combat indigènes, quant à eux, sont présentés, en vol, pour afficher le plancher technologique atteint par la nation qui reçoit le public étranger. C’est le cas, encore en Chine, de la présentation en vol à Zhuhai, de l’avion de chasse Chengdu J-10 B, doté d’une technologie d’hyper-manœuvrabilité plus avancée que les systèmes en service sur les avions de chasse en Europe. Le même jour, l’empire du Milieu dévoile aussi son J-20, un biréacteur apte à percer un dispositif militaire adverse an ayant toutes les chances, par sa discrétion radar, de ne pas être détecté avant l’instant où il aura frappé son objectif. Ici, le J-20 devient un super « show » de dissuasion toujours adressé aux observateurs étrangers. Une technique inventée il y a quelques décennies par les Soviétiques, qui organisèrent de rares « meetings » aériens, à Tushino, puis a Domodedovo. Le 9 juillet 1967, Domodedovo était la vitrine du MiG-25 capable de franchir Mach 2,83 et d’intercepter les avions espions de l’OTAN. Une opération psychologique alors réussie puisque le vol très sommaire de ce biréacteur suscita l’inquiétude dans l’OTAN.
Les nouvelles puissances aériennes
Les nouvelles puissances modernes ont aussi la capacité de réinventer sur leur territoire, ce qui fit le succès des salons occidentaux dans les années soixante. Les salons russes comportent en effet plus de cinq heures de spectacle aérien par jour, culminant avec des formations de chasseurs lourds, d’avions géants, de la pyrotechnie, et des mises en scène grandioses improbables ailleurs. C’est un peu l’héritage soviétique de Domodedovo, qui relevait pourtant davantage du défilé aérien que du salon. En effet de nos jours, les chasseurs russes sont présentés au public local du salon MAKS, en situation de combat aérien et par groupes de quatre.
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En Occident, ce style de spectacle n’est plus pratiqué depuis quelques décennies, en salons commerciaux. Les grandes opérations de soft power aéronautique sont désormais du côté des nouvelles puissances. Cela étant, les grands salons de l’aviation civile et commerciale, où s’affrontent Airbus et Boeing, demeurent une spécialité européenne, Le Bourget en étant le champion toutes catégories, du point de vue des carnets de commandes qui y sont annoncés.
Une vision artistique de la géopolitique de l’aviation
AIRSHOW est le premier livre français à présenter ensemble, les salons représentatifs des grands pôles militaires et de défense émergents en 2018 : Russie, Chine, Eurasie, Asie. Cet album est « la photo » du monde aéronautique multipolaire aux évolutions étonnantes, tel qu’il se dessine au XXIe Siècle. Qu’on le veuille ou non, il ne répète pas l’image d’Épinal d’une domination américaine écrasante dans le domaine militaire qui caractérisait le monde connu entre 1946 et 1991 : malgré le shift of power des États-Unis vers la Chine, cette image est restée ancrée dans la culture collective. C’est avec un sac de 12 kg de matériels photos, et une dose de système D pour le reportage sur le terrain que l’auteur vous propose de le suivre aux antipodes, à la chasse aux images graphiques et colorées de ces espaces aériens exotiques. Les avions de combat, de transport militaire, et hélicoptères, sont présentés dans les grands « airshows » de Chine, de Russie, et d’Asie, tous photographiés en action et sous des angles inaccessibles au public.
Airshow : Les nouvelles puissances, de la Russie à l’Asie du Sud-Est, de François Brévot.