Les pères des indépendances en Afrique appartenaient tous à la société civile. Leur subrogation par les militaires dans des conditions souvent antidémocratiques a propulsé au sommet des États, en un demi-siècle, une centaine de présidents en treillis pour un résultat le plus souvent déplorable. Coups d’État, corruption, violences contre le peuple et déroute au combat ternissent l’image des armées africaines, on le voit bien au Sahel, en RDC et en bien d’autres endroits.
C’est un bilan sans fard que livre Souka SOUKA, diplômé de Saint-Cyr (promotion 1977- 1979), breveté de l’École supérieure de Guerre (Paris, 1994) ancien professeur à l’Université Paris XIII (Villetaneuse), en jetant un regard implacable sur ses collègues, chefs, amis dont il dresse des profils professionnels et psychologiques emprunts de finesse et de perspicacité. Ce faisant il livre un panorama désenchanté de ses pairs, leur reprochant de se préoccuper plus de la prise du pouvoir que du bien-être de leurs peuples.
Les causes du mal
Les nations n’ont cessé de s’appauvrir… Est-ce dû aux seuls prétoriens ? Retrouver le patriotisme, le professionnalisme et l’empathie qui sied au bon soldat oblige les armées africaines à recourir au processus qui a permis la réussite des pays émancipés, loin des thérapies cathartiques à l’africaine. Oublie-t-il que l’Amérique Latine a été gouvernée par des militaires durant une quinzaine d’années ? Des solutions simples et efficaces existent affirme -t-il. On aimerait bien qu’il en soit ainsi, mais la réalité est autrement plus compliquée. Il prône tout d’abord un plus grand professionnalisme des armées africaines, une amélioration de leurs conditions, une meilleure insertion dans le tissu social, comme une plus grande éthique. Mais comment faire comme il le souhaite et le préconise pour que les affrontements armés, la plupart intraétatiques, soient remplacés par le dialogue ?
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L‘exemple du Sahel le montre bien. La situation sécuritaire dans la zone sahélienne, apparaît extrêmement complexe, enchevêtrée, mouvante et préoccupante. Au Mali, on ne compte pas moins de 17 groupes politico-militaires, en dehors même de la nébuleuse djihadiste, ainsi que quatre armées, dont trois étrangères. Il y a tant de fusils d’assaut au Mali que leur prix est tombé en deux ans de 600 $ à 260$. La tentation est grande de s’en prendre à la présence de ces forces étrangères qui n’auraient pas fait le travail et l’effort de pacification nécessaire. Celle-ci ne peut provenir que de la conjonction des efforts de l’armée malienne, cette dernière devant être profondément réorganisée, et des forces étrangères. Le Ministre malien des Affaires Etrangères n’a pas éludé la question de l’élargissement du cadre actuel du G5 Sahel, qui peut paraitre en effet étroit face à une menace djihadiste qui se répand dans de vastes territoires du Golfe de Guinée à la Somalie et à la Libye.
Des solutions possibles
L’émergence de la zone Sahel apparaît possible à terme dès lors que la situation sécuritaire aura été maîtrisée et à la condition que soient surmontée une série de défis bien identifiés.
- faire de la jeunesse tout d’abord un atout grâce à une transition démographique maîtrisée et à une éducation mieux adaptée aux besoins de l’économie ;
- financer les investissements de manière endogène, améliorer la fiscalité, bancariser,épargner, attirer les investissements étrangers dans des secteurs clefs;
- infrastructures : rattraper le retard en électrification, transports, urbanisation ;
- favoriser l’ouverture internationale et l’élargissement des marchés africains ; diversifier l’économie
- déclencher une révolution agricole et foncière, à la fois juridico-institutionnelle (droit de propriété) et technique ;
- ouvrir les institutions et améliorer la gouvernance, le cas échéant par des ruptures ; réformer les systèmes éducatifs nationaux.
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C’est à ces différentes tâches que convie aussi Souka Souka, les prétoriens, quitte à transformer l’armée de force combattante en force bâtisseuse et organisatrice. Les exemples historiques ne manquent pas, en Chine, au Vietnam. Tel semble le redoutable défi qui attend les armées africaines, mais pour le moment les impératifs de sécurité apparaissent, pour beaucoup, les plus pressants. C’est bien à dépasser ce dilemme que nous convie l’auteur, ce qui paraît la seule voie envisageable.