Afrique du Sud : élections dans un pays en dépression 

25 mai 2024

Temps de lecture : 4 minutes

Photo : Election posters from various political parties are displayed on poles in Pretoria, South Africa, May 16, 2024. (AP Photo/Themba Hadebe)/TCH102/24137259156594//2405160922

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Afrique du Sud : élections dans un pays en dépression 

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Fin mai, près de 28 millions d’électeurs sud-africains se rendront aux urnes pour élire leurs représentants aux parlements nationaux et provinciaux. Cette septième élection générale démocratique pourrait marquer un tournant historique, avec la possibilité pour l’African National Congress (ANC) de ne pas atteindre la majorité absolue pour la première fois en trois décennies.

Le 29 mai, l’Afrique du Sud est appelée à renouveler son Parlement national et ses assemblées provinciales. Pour la première fois depuis la fin de l’apartheid (1994), l’ANC pourrait obtenir moins de 50 % des voix, selon certains sondages. Cette perspective marque un tournant après trente ans de domination politique pour un parti aujourd’hui confronté à de vives critiques. Un mouvement qui fait face à une opposition en rang serré et à de nombreuses divisions internes. L’ANC, autrefois symbole de la lutte contre la ségrégation raciale et pilier de la transition démocratique, doit également composer avec une population de plus en plus désillusionnée par sa gestion du pays.

80 meurtres par jour

L’arrivée de Cyril Ramaphosa à la présidence en 2018 avait suscité de grands espoirs de changement et de renouveau. Un mandat cependant marqué par des défis économiques et sociaux majeurs. La hausse de la criminalité (en moyenne 130 viols et 80 meurtres par jour au cours des trois derniers mois de 2023), un chômage qui reste un problème endémique, atteignant 32 % l’année dernière (plus de 60 % des jeunes âgés de 15 à 24 ans sont sans emploi), des inégalités économiques qui persistent, creusant un peu plus les barrières raciales loin d’avoir disparues depuis la chute du régime afrikaner, et des allégations de corruption, touchant même les plus hauts échelons de l’État, ont terni l’image de son administration, qui s’est aggravée durant la pandémie de Covid-19. 

De plus, les fréquentes coupures d’électricité ont exaspéré la population, sapant la confiance en la capacité du gouvernement à fournir des services de base contraignant même Cyril Ramaphosa à déclarer « le pays en état de désastre nation ». Face à la pression croissante de ses électeurs, l’ANC a tenté de se défendre et n’a eu de cesse de vanter ses réussites depuis la fin de l’apartheid. Le parti affirme que les niveaux de pauvreté ont diminué, que davantage de Sud-Africains vivent dans des logements décents et que l’accès aux soins de santé s’est amélioré. Une perception qui est loin d’être ressentie au quotidien par les Sud-africains qu’il peine à convaincre. En promettant de créer des millions d’emplois supplémentaires au cours des cinq prochaines années, l’ANC s’est engagé également à stimuler les investissements, à soutenir le secteur privé et à intensifier la lutte contre la corruption, espérant pouvoir se maintenir avec une majorité stable.

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Une possible coalition 

L’Alliance démocratique (DA), dirigée par l’afrikaner John Steenhuisen, se pose comme l’alternative au pouvoir en place. Accusant l’ANC d’avoir fait sombrer le pays dans le chaos, la DA propose une libéralisation de l’économie et une privatisation accrue. Le parti promet de créer deux millions de nouveaux emplois se plaçant face aux réalités économiques d’un pays où le Rand ne vaut quasiment plus rien face à l’euro ou le dollar, de mettre fin aux coupures d’électricité et de réduire de moitié le taux de crimes violents. Sa campagne, marquée par des messages alarmistes (son clip de campagne montre le drapeau de la nation arc-en-ciel se consumer doucement sous un fond sonore parlé très angoissant) et des propositions concrètes, cherche à convaincre les électeurs qu’un changement de direction est nécessaire. Les sondages indiquent d’ailleurs que la DA pourrait augmenter sa représentation parlementaire, ouvrant la voie à la formation d’une vaste coalition. 

En effet, pour gouverner, la DA pourrait s’allier avec des partis tels que le Freedom Front Plus (FF+) qui défend le droit aux Afrikaners à prendre leur propre destin en main (le parti s’est allié au CapXit, un mouvement qui réclame un référendum pour la sécession de la province du Cap, la seule dirigée par la DA) et l’Inkhata Freedom Party (IFP) qui a récemment perdu son leader historique, le prince Mangosuthu Buthelezi. Ces partis, et d’autres plus mineurs, ont signé une Charte multipartite pour l’Afrique du Sud, s’engageant à diriger le pays ensemble si leurs voix combinées dépassent les 50 %. Une telle coalition pourrait redessiner le paysage politique sud-africain, traditionnellement dominé par l’ANC.

L’Economic Freedom Fighters (EFF), dirigé par Julius Malema, incarne une voix radicale et de plus en plus influente sur la scène politique. Avec des propositions telles que la redistribution des terres aux plus démunis (la majorité étant toujours aux mains des afrikaners) et la nationalisation des secteurs clés de l’économie, l’EFF attire les électeurs les plus marginalisés de la société sud-africaine. Malema, connu pour sa rhétorique incendiaire et son béret rouge emblématique, promet, à qui veut l’entendre, une société plus juste. 

Julius Malema en embuscade

Ses discours, teintés d’un racisme anti-blanc assumé, trouvent un écho dans une population noire où le taux de pauvreté reste alarmant : plus de 60% chez les noirs contre 1% pour les Blancs et 6% chez les Indiens selon les statistiques avancées par la South African Human Rights Commission (SAHRC). Toutefois, les diverses enquêtes d’opinion montrent une certaine stagnation de son électorat et il est peu probable qu’il puisse remporter ces élections, ni être un solide allié à l’ANC qui refuse toujours de le considérer comme un interlocuteur crédible. 

Dans ce même crédo populiste, Jacob Zuma, ancien président (2009-2018) et figure controversée de la politique sud-africaine. Il a fait son retour sur la scène avec le parti Mkhonto we Sizwe (MK), du nom de la branche armée de l’ANC durant la lutte contre le régime de ségrégation raciale. Évincé par Ramaphosa, mis en cause dans plusieurs affaires de corruption et emprisonné pour outrage au tribunal, Zuma reste une figure influente, surtout dans la province du Kwazulu, sa région natale. Dans son manifeste, il affirme être en mesure de créer cinq millions d’emplois et de lutter contre la corruption, se posant paradoxalement en redresseur de torts. Malgré une faible intention de vote au niveau national, il pourrait surprendre dans des bastions locaux où sa popularité demeure intacte et jouer les faiseurs de roi dans une province traditionnellement et férocement disputée entre l’ANC et l’IFP.

L’Afrique du Sud, dotée d’institutions démocratiques robustes, fait face à une élection cruciale pour son avenir. Les résultats détermineront non seulement la prochaine direction politique du pays, mais aussi sa capacité à surmonter les défis économiques et sociaux persistants comme à reprendre un leadership à l’international terni par un soutien à la Russie et à la Palestine.

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Frédéric de Natal

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