<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Afghanistan, Australie. Et la Chine compte les points

10 novembre 2021

Temps de lecture : 3 minutes

Photo : Afghanistan, Australie. Et la Chine compte les points. Crédit photo : domaine public

Abonnement Conflits

Afghanistan, Australie. Et la Chine compte les points

par

Deux séquences internationales fortes de cet été 2021 marquent un tournant dans les relations entre les États-Unis et le reste du monde, notamment face à la Chine et à l’Europe.

Tout commence en août avec le fiasco américain face aux talibans. Malgré une guerre de vingt ans, près de 2 400 soldats américains tués (90 Français) et plus de 2 000 milliards de dollars dépensés, les Américains ont dû se retirer précipitamment, dans une ambiance de sauve-qui-peut. Évidente au printemps, irrésistible à l’été, la poussée des talibans a tout emporté sur son passage. Le 15 août, leurs combattants faisaient leur entrée dans Kaboul, une capitale (4 millions d’habitants) en état de sidération. Malgré ses équipements modernes et le soutien occidental, l’armée afghane (250 000 hommes face à 80 000 talibans !) s’est évaporée.

Les responsabilités de cette débâcle sont partagées. Il est clair que la majorité des Afghans avait fait le choix d’un prudent attentisme, depuis déjà plusieurs années. Une partie importante d’entre eux, notamment chez les Pachtounes, l’ethnie majoritaire (40 % des 40 millions d’Afghans), souhaitait même la victoire des talibans, au nom du « véritable islam » et du respect intégral de la charia. La classe dirigeante adoubée par les Occidentaux n’aura jamais été à la hauteur, engluée dans une corruption systémique et de féroces luttes de clans.

Du côté américain – les 37 autres pays de la coalition s’étaient alignés sur les décisions de Washington –, les dirigeants successifs (George Bush, Barack Obama, Donald Trump puis Joseph Biden) ont fait preuve de pusillanimité, d’irréalisme et d’obstination idéologique. La méconnaissance du terrain, le refus de sanctionner le Pakistan pour son soutien décisif aux talibans et une foi naïve dans l’application de la démocratie ont miné les bonnes initiatives, malgré le sacrifice des soldats. La défense des droits de l’homme et la promotion des droits de la femme n’étaient pas une priorité des Afghans, même chez les alliés des Occidentaux. Les avertissements des militaires n’ont pas été entendus par les politiques. L’Amérique sort humiliée du plus long conflit de son histoire. Elle a surtout montré ses limites politiques et militaires, dans une région que la Chine, son grand rival, considère comme son arrière-cour. De fait, la victoire des talibans renforce les intérêts chinois. Pékin veut traiter avec eux, notamment pour l’exploitation des minerais stratégiques. L’ONU estime le potentiel afghan à 1 000 milliards de dollars.

L’autre événement international majeur, à la mi-septembre, est la rupture brutale du « contrat du siècle » franco-australien. Ce marché prévoyait la construction et l’entretien de 12 sous-marins d’attaque par le français Naval Group (35 milliards d’euros sur cinquante ans). Il est tombé à l’eau, torpillé par la puissance américaine. La volte-face australienne, orchestrée par les États-Unis, est une trahison évidente pour la France, qui n’a rien vu venir : « C’est un coup dans le dos, cela ne se fait pas entre alliés », commentait Jean-Yves Le Drian, sans cacher la colère et l’humiliation de Paris. Dans cette affaire où la France s’est montrée trop confiante et assez naïve, les Américains ont défendu leur strict intérêt national et obtenu trois succès, politique, industriel et militaire. Ils enchaînent pour longtemps l’Australie aux technologies, aux matériels et au système de défense américain.

Observateurs omniprésents et hyperactifs dans cette zone indopacifique qui tend à devenir le pivot du monde, les dirigeants chinois tirent deux leçons de ces événements. En Afghanistan, ils constatent que l’idéologie en vigueur à Washington, quel que soit le camp, est coupée des réalités et conduit inévitablement au lâchage de ses alliés et à la défaite. Ils notent aussi que la force militaire américaine, considérable, n’est pas soutenue par une force morale suffisante pour prendre des risques et poursuivre un effort dans la longue durée. En Australie, ils observent que l’Amérique peut lâcher un de ses plus anciens alliés, la France, sans aucune concertation ni état d’âme. Les Chinois analyseront les inévitables confrontations à venir – mer de Chine, Taïwan, Pacifique, Moyen-Orient – à la lumière de ces deux observations. Ils agiront en conséquence.

À lire également

Sous-marins. Pourquoi l’Australie a rompu le contrat

Mots-clefs : , ,

À propos de l’auteur
Frédéric Pons

Frédéric Pons

Journaliste, professeur à l'ESM Saint-Cyr et conférencier.

Voir aussi