Adrien Eyraud (né en 1982) appartient à cette nouvelle génération de peintres qui s’est trouvée intérieurement libre de choisir son chemin singulier dans l’art. L’impérieuse obligation de suivre les voies, devenues banales de la rupture et de la déconstruction, n’ayant plus autant de prise sur eux.
La Galerie Mazarine Variations. 26 rue Mazarine 75006 Paris. Exposition du 3 février au 9 mars 2024
Ce qui a été à l’origine de sa liberté a été le malheur d’un accident de voiture à 16 ans qui provoqua la paralysie de son bras gauche. Après une telle épreuve, sa projection dans l’avenir ne fut plus la même. Tout lui devint sensible, urgent ! Un deuxième choc se produisit lors d’un voyage à Florence : un émerveillement devant ses chefs d’œuvres ! Le désir impérieux lui vint de se frayer un chemin neuf, inconnu, inaccessible à sa génération, vers la peinture. Certes, il a déjà depuis l’enfance le goût du dessin, mais pas l’idée de tout y consacrer. Des études plus conventionnelles déjà prévues n’ont pas résisté à son aspiration nouvelle de peindre… pour surmonter l’infirmité, on exige tout, on ose tout, on s’offre le privilège de suivre ce que le cœur désire en dehors des chemins balisés.
Une formation atypique
Le cursus des Beaux-Arts en France ne le tenta pas. Il aurait fait de lui un prêcheur des valeurs sociétales, un dé-constructeur de civilisation ou un critique institutionnel de la société. Où donc apprendre un savoir académique exigeant ? L’idée folle de se présenter au concours d’entrée à l’Académie des Beaux-Arts de Saint-Pétersbourg s’imposa à lui. Il fut reçu.
Il fallait tout apprendre, y compris le russe ! Il fut le seul Français à suivre, au début des années 2000, cette formation. Sept ans d’apprentissage. Il y rencontra des étudiants venus de toute la Russie, et même d’Asie, d’Europe et d’Amérique.
Le retour en France fut une épreuve : tout son savoir, son ardeur étaient inutiles, sans valeur, voire suspects, même pour un poste de professeur qui permettrait de transmettre et survivre ! Il ne put demeurer à Paris et commença une œuvre, en ermite, loin de la capitale.
La Galerie Mazarine Variations, située dans cette petite rue qui longe l’Académie, accueille aujourd’hui son œuvre. L’espace y est harmonieux et donne toute sa résonance à la peinture d’Adrien Eyraud silencieuse et austère. En passant la porte, le visiteur entre dans le monde des âmes.
On verra des portraits émergeant d’une obscurité dense et profonde. Ces visages semblent prendre le dernier rayon solaire avant la nuit. En les regardant plus attentivement, on voit la lumière s’inverser, jaillir de l’intérieur de ces portraits intenses et vivants. Leur présence impressionne. Chaque portrait forme un mystérieux dytique avec des feuilles mortes qui s’évanouissent aussi dans l’ombre.
Cette galerie à l’espace discontinu et imprévisible offre un écrin, un refuge aux âmes peintes par Adrien Eyraud. L’agencement parfait de l’accrochage permet au visiteur de jeter un regard contemplatif sur le mystère de ces portraits de personnes âgées,si réelles, si différentes les unes des autres. Ce peintre en pleine jeunesse s’est approché du mystère de la vie et de la mort. En peignant, il apprivoise et découvre la paradoxale beauté : visages travaillés par la vie, le temps, portant douleurs, bonheurs, certitudes et doutes. La beauté se révèle unique et diverse à la fois, mais toujours inattendue, surprenante, brulante de vie.
Grâce au peintre l’âme invisible a surgi de ces visages. Il les a ainsi rendus intemporels et pérennes.
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