La Côte d’Ivoire est la base arrière de la présence française au Sahel. Hommes et matériels y sont disposés pour intervenir rapidement dans la bande sahélienne ou bien pour rapatrier des Français qui seraient menacés. Cette porte indispensable vers l’Afrique de l’Ouest permet à la France de maintenir son rôle dans une région en pleine ébullition djihadiste.
Dans les années 2000, la France avait encore trois points d’entrée en Afrique de l’Ouest : Dakar, Libreville et Abidjan. C’est cette dernière qu’elle a choisi de privilégier, du fait de son positionnement idéal, d’un camp unique, à Port-Bouët, parfaitement placé sur la lagune et à proximité de l’aéroport. Et évidemment, des quelque 20 000 ressortissants français (22 000 aujourd’hui, mais trois fois moins que les Libanais par exemple) qui vivent dans le pays.
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Dakar et Libreville ont perdu leur statut de bases régionales, et les deux tiers de leurs effectifs (300 chacun contre 1 000 auparavant), pour se transformer en pôles régionaux de coopération. Alors qu’Abidjan a vu confirmée son importance de réservoir de forces prépositionnées. Acclimatées, ses unités sont prêtes à s’engager à tout moment et sans préavis. Elles sont inscrites dans la réalité locale entretenant des rapports de confiance étroits avec les actuelles autorités ivoiriennes dont l’essentiel est fait en transparence totale. Sur ce mode de l’échange, Français et Ivoiriens se bonifient aussi. Les Français apportent le partenariat militaire opérationnel (PMO) afin de renforcer les capacités du bataillon projetable déployé au sein de la Minusma. Le premier est parti au Mali en 2020, et le deuxième s’y prépare, avec l’appui des FFCI, principalement du 43e bataillon d’infanterie de marine (BIMa), mais le service de santé y contribue aussi.
Exemple flagrant, le médecin-chef qui commande les antennes médicales d’Afrique de l’Ouest avait identifié le besoin de développer l’évacuation aérienne de patients, confirmé par ses homologues ivoiriens. La praticienne avait vu l’intérêt des avions de transport Casa 235 ainsi équipés dans un de ses précédents postes, sur la base aérienne 105 d’Évreux, où ils sont basés. Les Ivoiriens ont eux-mêmes acquis un Casa, livré en 2020. Le bien-fondé des premiers contacts et travaux a été validé par une attaque sanglante, en 2020, qui s’est déroulée sur le territoire ivoirien même. Ce fut la première évacuation dans l’urgence. La capacité peut maintenant servir sur les théâtres d’opération des forces armées de Côte d’Ivoire (FACI).
Avec une excellente connaissance des réalités et retour d’expérience des opérations au Mali, les Français peuvent contribuer à épargner les vies des Casques bleus ivoiriens, en matière de lutte contre les IED par exemple, la première source de blessures et de morts au sein de la Minusma.
Les FFCI sont si inscrites dans la réalité locale qu’elles emploient 350 PCRL et n’hésitent pas à les honorer, comme leurs propres militaires. Le 23 mars, une prise d’armes met ainsi en valeur 65 de ces PCRL, qui reçoivent la médaille du travail ivoirienne.
« Sans eux, Port-Bouët ne pourrait pas fonctionner » reconnaît un militaire de passage au 43e BIMa. Le commissaire en charge du soutien ne dit pas autre chose. 250 PCRL sont affectés à toutes sortes de tâches, des incontournables 50 dédiés à la restauration, comme la vingtaine chargés des espaces verts, luxuriants. D’autres assistent le 43e BIMa en matière de soutien mécanique par exemple.
Sans ces préalables, la mécanique opérationnelle du bataillon fonctionnerait beaucoup moins bien.
Dans un cadre plutôt favorable, les militaires des FFCI sont prêts à être injectés là où le chef des armées et le centre de planification et de conduite des opérations (CPCO) le jugeront bon. Régulièrement, c’est à Barkhane, au nord. Le colonel Gauthier, commandant interarmées des FFCI, se souvient ainsi comment fut engagée la compagnie du 2e régiment étranger de parachutistes, en janvier 2020, dans le cadre du « surge » décidé par Emmanuel Macron, après une série de revers des troupes gouvernementales maliennes et nigériennes.
« Nous avons eu un préavis de trois semaines pour planifier, mais nous aurions pu les déployer beaucoup plus vite si besoin était. » À la fin décembre, le chef de corps du 2e REP, déployé avec ses hommes à Abidjan, avait donc un cadeau de Noël inattendu : aller se déployer, à la mi-janvier, au Niger, en totale autonomie.
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Un soutien à Barkhane
L’expérience, réussie par les bérets verts, a établi un nouveau record d’opération avec un soutien minimal, rendu possible par l’aguerrissement préalable des légionnaires parachutistes. Qui étaient engagés en opération après avoir réalisé leur convoi de projection par voie terrestre depuis Abidjan !
Le volume de matériel disponible à Abidjan permet aussi de motoriser un sous-groupement tactique interarmes. C’est une autre option qui a été activée par le passé : les militaires de l’échelon national d’urgence (ENU, ex-Guépard) furent envoyés de France par avion à Gao, et leurs véhicules rallièrent par la route depuis Abidjan. Certes, ils sont sans doute moins adaptés aux opérations que ceux de Gao (pas de brouilleurs anti-IED, pas de surblindage) mais ils offrent néanmoins une protection minimale contre une partie de la ferraille du champ de bataille.
Ce mode opératoire combiné voie aérienne et voie terrestre avait été en partie inauguré dès 2013 au lancement de l’opération Serval, puisqu’une colonne blindée fut envoyée depuis Abidjan pour contribuer à la protection de Bamako, alors que les premiers éléments du 21e RIMa arrivaient de N’Djamena par air, précédant les renforts arrivant de France.
Les FFCI ont aussi régulièrement fourni des moyens héliportés à Barkhane, notamment des Puma.
Cette relation à Barkhane va aussi s’illustrer différemment dans les mois qui viennent : comme en 2014 à la fin de Serval, des matériels vont quitter la bande sahélo-saharienne. Pour cela, deux voies, l’aérien, mais elle est coûteuse, car réalisée avec des avions An-124 loués à prix d’or. La deuxième voie est plus lente : quand le fret ne présente pas un caractère d’urgence, il transite jusqu’à Abidjan, puis retourne en France par la mer, que ce soit à bord d’un des navires Ro-Ro affrété à l’année, ou à bord d’un porte-hélicoptères amphibie qui navigue régulièrement dans le golfe de Guinée dans le cadre de la mission Corymbe, quasi ininterrompue depuis son lancement en 1990 (seulement, en fait, par la Covid-19, en 2020).
Corymbe est une base de projection d’effet en mer, à l’image de ce que les FFCI font à terre, depuis la Côte d’Ivoire. Le ou les navires engagés à Corymbe peuvent venir relâcher à Dakar, Abidjan ou Port-Gentil, mais aussi s’auto-assister. Durant la guerre en Côte d’Ivoire (2002-2005 puis 2011), la France maintenait un navire-amphibie disposant à la fois de capacités offensives et de capacités de recueil de ressortissants, si les tensions rendaient impossible l’usage de l’aéroport.
Les FFCI ont donc forcément une relation particulière à la mer, car c’est une voie d’accès pour des opérations dans toute la sous-région. Pour anticiper les besoins de Paris, mais aussi de ses alliés, les FFCI « s’intéressent à tout, en Côte d’Ivoire et dans les pays limitrophes » reconnaît le colonel Gauthier qui, en bon connaisseur de l’Afrique (notamment 2e passage en Côte d’Ivoire, mais aussi à Djibouti) sait que l’activité est faite d’éléments connus et planifiés, mais surtout « d’imprévus ».
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Les FFCI en capacités
Ces forces interarmées regroupent 900 militaires, essentiellement issus de l’armée de terre. C’est une petite armée en réduction, disposant de trois hélicoptères (deux Gazelle de l’armée de terre et un Fennec de l’armée de l’air), mais sans avion en permanence. Le 43e BIMa (650 militaires) aligne plusieurs centaines de véhicules, de l’increvable VAB en passant par le camion GBC180 et la P4, qui a commencé à être remplacée par le VT4. La composante artillerie dispose de quatre canons Caesar de 155 mm et de mortiers de 120 mm. Le système d’information Scorpion (SICS) y est déployé, ce qui permet déjà de disposer d’un début de bulle de numérisation mobilisant des ressources SATCOM et hertziennes. Aussi essentiel pour progresser vite dans la capitale, le détachement d’intervention et d’aguerrissement lagunaire (DIAL) dispose d’embarcations rapides, hors-bord Zodiac Milpro et pinasses, ainsi que d’un transbordeur pouvant porter un VAB ou deux VBL la capacité de pont-flottant motorisé (PFM) est actuellement en modernisation.