Malade et sans perspectives, le géant du Maghreb vit depuis huit mois une crise politique sans précédent. Une vague de contestation populaire rejette le système mis en place en 1962. Le pays est paralysé, au seuil d’un affrontement qui serait ravageur pour ses voisins. La France est directement concernée. Explications.
Commencée le 22 février 2019 par des manifestations populaires spontanées contre un éventuel cinquième mandat du président sortant Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis vingt ans, la crise politique qui secoue l’Algérie fait tanguer ce géant du Maghreb (43 millions d’habitants), frontalier de six pays (Maroc, Mauritanie, Mali, Niger, Libye, Tunisie). Après huit mois de crise, la vie politique est paralysée, l’économie tourne au ralenti.
Initialement prévu le 18 avril, le scrutin présidentiel a été reporté après la démission forcée de M. Bouteflika, le 3 avril. Âgé de 82 ans, aphasique depuis son accident vasculaire cérébral de 2013, il venait d’être destitué par le général Ahmed Gaïd Salah, 79 ans, le chef d’état-major de l’armée. Nommé en 2004, il avait été un serviteur fidèle de ce régime pendant quinze ans. Enfermé dans une résidence médicalisée, Abdelaziz Bouteflika ne pèse plus rien. Son éviction a entraîné la quasi-disparition de son clan, laminé en quelques mois. Une tempête judiciaire s’est abattue sur son frère cadet Saïd et ce réseau, naguère si puissant dans l’armée et les affaires. Saïd et d’autres personnalités viennent d’être condamnés à des années de prison, pour corruption ou atteinte à la sûreté de l’État. Cette opération « mains propres » a déjà des effets en cascade : gel des comptes, blocages des salaires, licenciements. Une bombe sociale et économique est en train de s’amorcer.
En anéantissant le clan Bouteflika, le général Gaïd Salah et ses amis ont réussi à se maintenir au pouvoir, mais sans arriver à étouffer la contestation. La pression populaire ne faiblit pas. La rue n’accepte aucun compromis. Elle exige le départ des « voleurs » et la « fin du système ». Gaïd Salah et ses pairs résistent. Ils parlent de « nécessaire consensus ». Leurs adversaires n’y voient qu’une tentative de sauver cette caste militaro-politique, installée aux affaires en 1962.
« L’effondrement de l’Algérie pourrait entraîner celui du Sahel »
L’armée exige le respect de la Constitution et cherche à prendre de vitesse la contestation. La nouvelle élection présidentielle fixée au 12 décembre lui semble la meilleure issue, d’autant que l’opposition piétine, sans programme alternatif ni chefs incontestés. Chaque vendredi, des millions de personnes continuent de se mobiliser dans les rues, pour rejeter ce scrutin organisé sur les règles de l’ancien système, sous le contrôle de l’armée. Ce mouvement « dégagiste » – d’où les islamistes ont pour l’instant été écartés – rassemble toutes les générations, jusque-là sans violence. Le pouvoir espère l’usure du mouvement.
Le pourrissement de la situation durcit inexorablement les positions. La perspective d’une trop faible participation et d’un nouveau président sans légitimité annonce un scénario d’affrontement. Déjà affaiblie par un profond marasme social, pénalisée par la baisse des cours du pétrole du gaz (95 % des revenus en devises, 60 % des recettes fiscales), l’Algérie ne va plus pouvoir assurer les énormes budgets sociaux qui maintenaient la paix sociale. En cinq ans, les réserves de change ont fondu de 194 à 72 milliards de dollars. Ce « trésor » ne couvre qu’un an d’importations, alors que l’Algérie importe 70 % de ce qu’elle consomme. L’inflation galope, la croissance stagne, le chômage explose.
A lire aussi : Les redécouvertes américaine et française du stratège atypique David Galula
Le Maghreb et l’Europe retiennent leur souffle. Des projections inquiétantes évoquent la possibilité de mouvements migratoires de grande ampleur (jusqu’à 1 million de départs). La France est directement concernée. Deuxième partenaire de l’Algérie (10,9 % de parts de marché) et premier investisseur (hors hydrocarbures), elle est la première destination de l’émigration légale ou clandestine algérienne.
Avec elle, les États engagés dans l’assistance aux pays du Sahel depuis 2013 redoutent l’affaissement de l’Algérie. Ce serait une nouvelle catastrophe pour la région, huit ans après l’implosion de la Libye. Cette nouvelle instabilité menace précisément le Mali, le Niger et la Libye, qui partagent près de 3 700 km de frontières terrestres avec leur grand voisin. Déjà sans perspectives claires de succès, les fastidieuses opérations militaires menées dans la bande sahélo-saharienne deviendraient alors une mission impossible.